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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Un jeune prêtre assassiné dans son église de Barr

26 Mars 2014 , Rédigé par PiP vélodidacte Publié dans #anecdote

Un jeune prêtre assassiné dans son église de BarrLe moine Richer de Senones vivait au treizième siècle.

Il nous a laissé une belle chronique, très vivante et souvent haute en couleurs, des faits qu’il a pu connaître, retiré dans son abbaye au fond d’une vallée vosgienne. Nous nous penchons aujourd’hui sur un meurtre commis dans l’église de Barr le 27 octobre 1258.

Laissons parler Richer de Senones !

‘En Aussay et en l’ évêché de Strasbourg se trouve une petite ville que l’on nomme Barr, assez remplie d’honnêtes hommes. Là vivait un prêtre, jeune et honnête, qui desservait l’église du lieu. Or, il avait un paroissien, qui toutes les fois que les Avents de Notre Seigneur, ou le Carême, ou autres jeûnes advenaient au long de l’année, ne voulait pas jeûner. Il retrouvait deux ou trois autres qu’il savait être semblablement adonnés à la gourmandise. Ils entraient dans une taverne ou ils mangeaient et buvaient publiquement, jusqu’à être pris de vin.
Le prêtre qui avait la charge de la paroisse connaissait cet homme. Il voulut d’abord le convaincre, de façon privée, de cesser cette mauvaise habitude ( car il faisait pêcher beaucoup d’autres avec lui, et les villageois en étaient scandalisés). Mais lui, contre toute attente, répondit au prêtre qu’il n’avait pas l’intention de jeûner, puisque Dieu avait créé le pain et le vin afin que les hommes en usassent selon leur volonté. Et comme le prêtre l’avait admonesté maint fois à ce sujet, et vu qu’il n’y profitait en rien, le prêtre décida de le faire venir en l’église, afin que chacun des paroissiens pût juger de son forfait.
Ainsi, cet homme vint à l’église et ne présenta aucune excuse, il dit seulement qu’il voulait user des biens que Dieu lui avait donnés, quand, comment, et en quel lieu il voudrait. A ces mots, des hommes d’armes qui assistaient à la scène, le tancèrent, lui remontrèrent que cela lui seyait mal d’user de tels propos en public, et de plus en l’église. Et l’ayant admonesté une fois, puis deux, puis par trois fois, et voyant qu’il n’en profitait aucunement, le prêtre l’excommunia selon la coutume de l’Eglise, comme inobédiant, et le chassa.
Peu de temps après, il advint qu’à la veille de la fête des apôtres Saint Jude et Saint Simon, ce prêtre se transporta à l’église pour y célébrer la messe. Or auprès de cette église était une taverne, à l’entrée de laquelle se tenaient l’excommunié et quelques uns de ses complices. Et mangeant et buvant, ils discutaient de la sentence d’excommunication. Et lorsque le curé fut passé auprès d’eux pour entrer au cimetière, l’un d’eux reprocha à l’excommunié de ne pas se venger de ce prêtre qui passait. Mais regardant çà et là, il dit qu’il n’avait point d’armes pour exécuter sa volonté. Alors l’un d’eux, enflammé d’un venin diabolique, lui va dire : ‘ Prends ce dard, il est bien propre pour ce faire’. Et l’excommunié le prit en sa main, et se hâtant, il rattrapa le prêtre. Avant qu’il s’en fut aperçu, ce misérable le perça de part en part avec son dard. Mais le prêtre se sentant blessé, mit la main sur le dard. Le meurtrier voyant qu’il ne pouvait retirer le dard pour frapper derechef, se saisit d’un couteau bien aigu qu’il avait, et en donna si furieusement au pauvre prêtre, qu’il tomba demi mort à terre. Ceci fait, ce malheureux homicide quitta la ville, ne comparut plus en présence de personne.’

Chronique de Richer de Senones, Livre V, Chapitre II

La chronique de Richer continue sur plusieurs pages et nous raconte les suites de cet assassinat qui semble soulever un important émoi en Alsace. Nous vous proposons un court résumé de la suite des évènements.
Un jeune prêtre assassiné dans son église de Barr

Les prêtres présents à Barr et la famille du martyr se présentent à Strasbourg, munis que la robe ensanglantée du prêtre assassiné, devant l’évêque de la Ville, lors du synode annuel. Ils réclament justice. L’évêque de Strasbourg est alors Henri de Stahleck, évêque guerrier que nous avons déjà croisé à plusieurs reprises dans les articles de ce site. Voici la sentence rendue par l’évêque Henri.

 

  • Le meurtrier et ses complices sont ‘excommuniés et rejetés du giron de la Sainte Eglise Catholique. Expulsés et séparés comme le traître Judas, qu’ils soient condamnés comme coupables aux peines infernales.’. Soit !
  • Mais la suite est plus étonnante. L’église Saint-Martin de Barr est frappée ! L’évêque interdit qu’on y dise la messe, excepté pour l’âme du prêtre défunt, qui sera enseveli dans l’église. Les services religieux de Barr seront célébrés, trois fois par semaine, par le chapelain de ‘Berchem’, donc vraisemblablement à Mittelbergheim. Richer ne nous dit pas combien de temps cet interdit frappa la paroisse. Grandidier qui rapporte les mêmes faits n’en dit pas plus.

 ‘Ces choses furent faites après l’incarnation de nostre Seigneur, mil deux cent cinquante huict.’ conclut benoîtement le moine Richer de Senones.
La réaction de l’évêque ne cesse de nous surprendre ! Suspendre une église, la priver de messes. Les clercs de Barr et leurs ouailles étaient pourtant innocents. Henri de Stahleck n’eût-il mieux fait de s’en prendre au tenancier de l’estaminet qui servait de l’alcool les jours de Carême, à proximité directe de l’église ? Enfin, il me semble…

L’église Saint-Martin de Barr

A cette époque, l’église de Barr était comme ses voisines un édifice roman. Posée sur la colline, proche du château des Wepfermann qui protégeait la ville, l’église était entourée d’un cimetière fortifié, disposant de murs et de fossés, nous dit Silbermann. C’était le lieu de refuge des Barrois en ses temps troublés.
Un jeune prêtre assassiné dans son église de BarrCette église primitive fut remaniée à plusieurs reprises :

  • La base de la tour est datée de la fin du douzième siècle
  • Saint-Martin est mentionnée en 1258 comme ‘ecclesia matrix’
  • La nef est reconstruite en 1569
  • Elle voit sa taille doublée en 1661
  • Elle est rénovée en 1754

Un jeune prêtre assassiné dans son église de BarrLa destruction de la nef est décidée en 1850 : l’édifice avait énormément souffert de la Révolution. De plus, sujette à une forte humidité, l’église était délabrée. L’église actuelle date de 1852. Grâce à quelques citoyens clairvoyants, la tour a été préservée de la démolition qui était prévue…
De l’ancienne église nous reste une belle lithographie de A. Schwalb, datée de 1850. L’édifice gothique était élégant et plein de charme.
A l’intérieur de l’église, vous ne trouverez plus le tombeau du prêtre assassiné. Par contre, la pierre tombale de Nicolas Ziegler mort en 1527 est toujours présente et nous rappelle la Guerre des Paysans. Celle de Heinrich Wepfermann est un souvenir des maîtres du château de Barr, le Wepferburg.

La tour romane de Saint-Martin

Seuls, les quatre niveaux inférieurs sont romans. Le cinquième étage fut construit à la période gothique. La partie inférieure est en pierre de taille.
La décoration romane est composée de pilastres et d’arcades lombardes. On retrouve la simplicité des lignes de Saints-Pierre-et-Paul de Rosheim. La base des arcades repose sur des consoles en forme de cul de lampe. Aux niveaux supérieurs, les consoles sont sculptées.
Les pilastres portent trois sculptures romanes en bosse, malheureusement leur ‘rénovation’ ne fut pas des plus heureuses.

  • Au sud-est, un saint tient un livre en main et bénit l’assistance. Sans doute une figuration de Saint Martin, patron de la ville.
  • Au nord-est, un lion couché écrase un homme qu’il tient dans ses griffes. On retrouve là un thème traité à Rosheim, dans les acrotères qui dominent l’édifice.
  • La troisième sculpture est fort endommagée. S. Braun y voit un ours, R. Will un lion.

Un jeune prêtre assassiné dans son église de Barr

 

Les consoles des niveaux intermédiaires offrent des décors variés : masques, visages aux expressions diverses, damiers, feuillages, entrelacs, feuilles d’eau.

La plus belle sculpture montre deux visages souriants regardant de part et d’autre de la console.

Face nord, le dernier étage porte trois têtes barbues grimaçantes. Ces sculptures sont un ajout tardif datant vraisemblablement d’une restauration.

 

 

Après la visite de Saint-Martin, on se promènera longuement dans les rues de Barr. La vieille ville offre un décor charmant, de nombreuses maisons anciennes, dans un calme fort agréable, reposant. Trop souvent méconnu.

 

 

Un jeune prêtre assassiné dans son église de Barr
Sources
  • Richer de Senones, Chroniques, Livre V, Chapitre II, ~1260Un jeune prêtre assassiné dans son église de Barr  ( Transcription en français d’aujourd’hui, PiP)
  • Philippe Grandidier, III, p 204, 1777
  • Johannes Andreas Silbermann, Beschreibung der Odilienberg, 1835
  • Robert Will, Répertoire de la sculpture romane en Alsace, 1955
  • Marcel Krieg, La tour romane de l’église Saint-Martin de Barr, SHABDO, 1972
  • Suzanne Braun, Alsace Romane, 2010
Illustrations
  • Photographies de l’église de Barr, PiP
  • Lithographie de la Ville de Barr, Silbermann, 1835
  • Lithographie de l’ancienne église, A.Schwalb, 1850

 

 

Nous avons déjà cité les chroniques de Richer de Senones dans deux articles :

Un jeune prêtre assassiné dans son église de BarrNous avons également rencontré Henri de Stahleck à plusieurs reprises :

 

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G
Même si l'histoire laisse des doutes ! Les articles sont toujours captivants et fort intéressant.
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P
Le moine Richier était très bien renseigné, son texte est fort précis...
R
Bonjour,<br /> Les photos actuelles que vous avez mises dans l'article ne sont pas celles de l'église catholique St Martin de Barr mais celles du temple protestant de Barr.
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P
Certes !<br /> L'histoire racontée par le moine de Senones se passe en 1258. L'église dont il est question était bien l'église catholique de Barr. Elle est aujourd'hui dédiée au culte protestant. <br /> Certes.
M
il est tres interessant cet article et facile d acces.<br /> merci pip
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P
Barr n'est pas suffisamment reconnue. C'est une ville fort sympathique. Et puis, le moine Richer raconte tellement bien....