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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Le Grand Interrègne autour du Mont-Sainte-Odile

8 Avril 2014 , Rédigé par PiP vélodidacte Publié dans #anecdote

Le Grand Interrègne et ses suites autour du Mont-Sainte-Odile Frédéric II de Hohenstaufen, pour asseoir son pouvoir, s’était appuyé sur les Villes, puissances montantes de l’Empire. Il leur avait accordé de nombreux droits nouveaux, souvent au détriment des évêques et de la noblesse. A sa mort en 1250, le trône impérial reste vacant de longues années, c’est le Grand Interrègne. Le nouvel évêque de Strasbourg, Walther de Geroldseck, cherche à recouvrer ses avantages et engage une lutte terrible contre la Ville de Strasbourg. Les conséquences pour le Mont-Sainte-Odile et ses environs seront lourdes.

Walther de Geroldseck, les prémices du conflit

Le Grand Interrègne et ses suites autour du Mont-Sainte-Odile L’évêque Walther est élu à 29 ans, c’est un homme jeune. Les chroniques le décrivent comme emporté, passionné, voire violent. Il est issu de la branche badoise des Geroldseck, dont le château de Forêt Noire domine la plaine du Rhin. Les Geroldseck sont possessionnés sur les deux rives du fleuve. Ils sont les seigneurs de Schwanau. Walther succède à Henri de Stahleck, un évêque, certes guerrier, mais qui a su néanmoins négocier entre l’empereur Frédéric et la Ville. Qui a ménagé les uns et les autres, conscient de la force naissante des Villes. Walther est à l’opposé de cette politique : dés son intronisation la confrontation sera directe. Walther de Geroldseck veut rétablir les droits anciens des évêques sur la Ville de Strasbourg. Il veut en revenir aux prérogatives édictées en 982 à Salerne par l'empereur Othon II. C’est fort méconnaître les bourgeois de Strasbourg !
La première action militaire de la Ville sera la prise du château épiscopal de Haldenburg, proche de Strasbourg. Les bourgeois rasent la forteresse et comblent les fossés. Walther réplique en prononçant l’ interdit sur la Ville. Les messes ne seront plus servies, les sacrements administrés, ni mariage, ni baptême ! L’évêque ordonne aux membres du clergé de quitter la Ville. Le cortège des clercs, munis de leurs richesses, or, argent, vaisselle, réserves de vin et de blé, est arrêté aux portes par les bourgeois qui s’emparent des biens des prélats.
Nous en sommes à l’automne 1261. C’est la trêve annuelle qui permet de rentrer les moissons et les vendanges. Les deux partis sont alors bien déclarés.
L’évêque Walther a réuni les siens à Dachstein et à Molsheim. Il a reçu le soutien de l’évêque de Trèves, des abbés de Murbach et de Saint Gall, de l’ensemble de la noblesse d’Alsace, les Lichtenberg, les Huhneberg, les Ochsenstein et Rodolphe de Habsbourg. L’appui des abbés n’est pas négligeable : Koenigshoven nous dit que Berthold, abbé de Saint-Gall, avançait mille cavaliers, et son confrère Berthold de Murbach cinq cents ! La noblesse du Mont-Sainte-Odile a également choisi son camp. Longtemps partisans des Hohenstaufen, les nobles dans cette période de vacance du pouvoir, ont opté pour l’évêque : les Andlau, les Landsberg, les Hohenstein, les Guirbaden sont aux côtés de l’évêque.
La Ville de Strasbourg semble bien isolée. Les bourgeois ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Toute la noblesse et le clergé ont quitté la Ville. Selon les chroniques, seul le vieux sire Berthold d’Ochsenstein, malade serait resté en ville, et aussi, singulièrement, Henri de Geroldseck, parent et opposant de l’évêque, ‘cantor’ de la cathédrale. Henri est membre de la branche alsacienne des Geroldseck, dont le château domine Saverne. Henri était bien isolé dans sa décision, mais Henri était un visionnaire !

Le retournement de Rodolphe de Habsbourg

Le Grand Interrègne et ses suites autour du Mont-Sainte-Odile Walther et ses alliés marchent sur Holtzheim, ils occupent le château de Lingolsheim. Ses troupes avancent même sur Strasbourg. Ils essuient un sérieux revers aux portes de la Ville. C’est alors qu’intervient un retournement crucial pour la suite du conflit : en septembre 1261, Rodolphe de Habsbourg déserte le camp de l’évêque pour soutenir la Ville de Strasbourg. Avec lui, nombre de nobles de la Haute Alsace viennent rejoindre les Strasbourgeois. La donne est alors toute autre.
Délaissant Strasbourg pour un temps, Walther rassemble un maximum de troupes et décide de marcher sur Colmar et Kaysersberg. Ses succès seront de courte durée. Colmar, pourtant tombée, rejoindra rapidement les Habsbourg sous l’influence du prévôt Raffelmann. Kaysersberg, puis Mulhouse se joignent également aux opposants de l’évêque. Alors, l’impétueux Walther de Geroldseck va jouer son va-tout.

La bataille d’Hausbergen

 

La bataille d' Hausbergen

La bataille d' Hausbergen

Les Strasbourgeois savent l’attaque imminente. Déjà, il ont détruit le Haldenburg, mais ils pensent que le cimetière fortifié de Mundolsheim peut être une menace, ils prennent le lieu dans l’intention de démanteler le clocher qui surveille les routes de Brumath et d’ Haguenau. C’est à ce moment que Walther se décide à attaquer la ville. A la tête de 300 chevaliers et de 5000 hommes à pied, il quitte Dachstein pour marcher sur Strasbourg.
Ceux de Mundolsheim, commandés par Reinbolt Liebenzeller, se replient vers la Ville. Les bourgeois de Strasbourg sortent en masse, sous le commandement de Nicolas Zorn, pour les secourir. La rencontre se fera à Hausbergen. Elle sera à l’image de nombreux combats de cette période : les cavaliers de l’évêque négligent d’attendre la piétaille et se présentent, seuls, contre les Strasbourgeois. Les chevaux seront la cible facile des archers de la Ville. Désarçonnés par les gardes, les armures ne seront d’aucun secours contre les gens à pied. Bien au contraire, c’est la déroute complète de l’évêque Walther de Geroldseck. Walther, homme de son temps, s’est présenté à la bataille à la tête de ses troupes, couvert de sa cotte de maille, coiffé de son heaume, la dague au poing. Selon la chronique, il a deux chevaux tués sous lui, avant de devoir fuir piteusement et de se retirer derrière les murs de Dachstein. La Ville de Strasbourg a vaincu son évêque. C’était le 8 mars 1262.

Le lendemain de la bataille d’Hausbergen

Le Grand Interrègne et ses suites autour du Mont-Sainte-Odile La bataille d’Hausbergen a été racontée avec forces détails dans la chronique d’Ellenhard, qui participe au combat en tant que ‘wartman’ de la Ville. Le Wartman était un chef de l’avant-garde des troupes. Ellenhard devint plus tard directeur de l’Oeuvre Notre Dame, à laquelle il légua tous ses biens. Son récit, en latin, fut fidèlement rapporté par Closener et Koenigshofen. On y apprend que sur les 300 chevaliers présents, 60 sont morts sur le champ de bataille et 76 sont emmenés prisonniers par les Strasbourgeois. L’évêque enverra des émissaires plaider pour la libération des prisonniers et particulièrement pour celle de son frère Hermann, qu’il croit captif. Le corps d’Hermann sera retrouvé parmi les cadavres, nus et dépouillés par les Strasbourgeois.
Au nombre des morts, Hermann de Geroldseck, le comte de Thierstein, un Beger, un Furdenheim et bien d’autres. Au nombre des captifs, le Landgraf de Werde, le Marshall de Huhneberg, trois Landsberg et Andlau…selon la chronique de Ellenhard. D’autres sources permettent de compléter la liste des vaincus d’Hausbergen. Parmi eux, citons les seigneurs proches du Mont-Sainte-Odile : Wilhelm et Albrecht Beger, Ulrich de Guirbaden, Remich de Rodesheim.

Les suites du conflit pour l’Alsace
  • L’évêque vaincu se retire avec ses fidèles à Dachstein. Ses rêves de puissance sont anéantis, et Walther de Geroldseck est profondément touché de cet échec. Il meurt l’année suivante et est enterré auprès de son frère Hermann dans la chapelle Saint-Jean à Dorlisheim.
  • Ironie de l’histoire, c’est son ‘cousin’ Henri de Geroldseck qui lui succède. Henri se révèle un homme posé qui saura négocier avec la Ville. Henri oublie bien vite les prétentions de Walther, l’interdit est levé et Strasbourg retrouve le statu d’immédiateté (Reichs Unmittelbarkeit) que lui avait accordé Frédéric II de Hohenstaufen.
  • Rodolphe de Habsbourg avait fait le bon choix en s’alliant avec la Ville. Fin politique, il continue ses alliances, jouant comme les Rois de France les villes contre les féodaux. Quelques années plus tard, Rodolphe devient le premier empereur de la famille de Habsbourg. Ainsi se termine le Grand Interrègne.

Nous vous proposons les quelques vers de la Chronique de Herzog qui couvre de louanges ce monarque.
Le Grand Interrègne et ses suites autour du Mont-Sainte-Odile

Les conséquences pour le Mont-Sainte-Odile

On l’a vu, les féodaux du Mont Sainte Odile avaient choisi le camp de l’évêque. Ce sont les vaincus d’Hausbergen. Dans les chroniques sont cités les Andlau, les Landsberg, les Kagen, les Beger, les Guirbaden. Plusieurs sont prisonniers des bourgeois de Strasbourg et devront attendre la conférence d’Haguenau pour recouvrer leur liberté.
Pourtant les débuts de l’Interrègne avaient été conquérants pour l’évêque autour du Mont-Sainte-Odile. Les Beger avaient construit le château de Birkenfels, les Kagen avaient fait de même en érigeant le Kagenfels. Les Andlau étaient venus mettre le siège devant le château de Stein et celui de Lutzelbourg à Ottrott. Les tours de siège furent transformées en deux nouvelles forteresses à la fin du conflit. Et on peut supposer qu’il en fut de même au Waldsberg (Hagelschloss).
Le Grand Interrègne et ses suites autour du Mont-Sainte-Odile
Quant à la Ville d’Obernai, son sort fut paradoxal. La majorité des Villes faisait face à l’évêque et soutenait Strasbourg. Au tout début de l’Interrègne, l’évêque Henri de Stahleck avait conquis la ville et détruit son château, le Burg. A l’avènement de Walther de Geroldseck, Obernai était du parti épiscopal et ceci lui valut un calme relatif tout au long du conflit. Par contre, une fois l’évêque vaincu, la vengeance des Strasbourgeois fut sévère. Voici le récit de Godefroy de Enzingen, rapporté par Gyss.

 

‘Après la moisson, les citoyens de Strasbourg sortirent en grande force, se dirigeant sans rencontrer de résistance sur Ehenheim Supérieur, qui n’était pas encore fortifié comme il l’est maintenant, et dévastèrent complètement la dite ville par l’incendie. De là, ils se rendirent à Ingmarsheim, Bischofsheim, Doroltzheim et dans beaucoup d’autres qui appartenaient à l’évêque et les détruisirent tous. Molsheim qu’ils visitèrent également se racheta moyennant une somme d’argent’.

Godefroy de Enzingen

Deux mauvais choix politiques en quelques années, la Ville d’Obernai se vit tour à tour incendiée par l’évêque Henri, puis par les Strasbourgeois. Méditant cette leçon, Obernai profitera de la période de calme relatif du règne de Rodolphe de Habsbourg pour se relever. Sagement, les Obernois construiront les deux lignes de remparts qui la protégeront, plusieurs siècles, des guerres et des invasions.

La conclusion de Jakob Twinger de Koenigshoven

Terminons ce récit de l’Interrègne en donnant la parole à Jakob de Koenigshoven. Le chroniqueur alsacien conclut sa narration dans son style personnel, mais aussi par une analyse qui ne manque pas de sens politique.

 

‘Ainsi prit fin cette guerre afin que les bourgeois assurassent et conquissent utilité et honneur pour la Ville, et pour eux mêmes et tous leurs descendants, grandes liberté et félicité. Car si l’évêque avait conquis les droits et libertés qu’il croyait avoir en Strasbourg, la Ville lui eût appartenu et eût été en son pouvoir comme Molsheim et Dachstein, à quoi cependant Dieu et sa mère chérie, laquelle est patronne de la cathédrale et de la Ville, n’ont pas voulu consentir, et ce qu’ils ne permettront jamais, comme nous en avons pleine confiance en eux. Au nom de Dieu, amen !’

Jakob Twinger de Koenigshoven

Sources
  • Chronique de Ellenhard, 1290
  • Chronique de Closener, 1420
  • Chronique de Koenigshoven, 1420

Les textes de ces trois chroniques ont été publiés par la librairie Silbermann, dans le Code Historique et Diplomatique de la Ville de Strasbourg, 1843

  • Chronique de Herzog, 1592
  • Histoire de Ville d’Obernai, J. Gyss, 1866
  • Dictionnaire de biographie, F.E.Sitzmann, 1909
Illustrations
  • Château de Birkenfels, photo PiP
  • Armes de Walther de Geroldseck, B.Herzog
  • Château d’Andlau, photo GaD
  • La bataille de Hausbergen, lithographie E.Beyer, ~1840
  • Château de Landsberg, photo FrP
  • Extrait de la chronique de B. Herzog, 1592
  • L’évolution du système castral du Mont-Sainte-Odile, PiP

 

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