La tapisserie de Sainte Attale
Dans un article récent, nous vous avons présenté la Tapisserie de Sainte Odile. Tissées à la même période, deux autres fragments de tapisseries anciennes retracent les miracles attribués à Attale, nièce de Sainte Odile. Toutes sont exposées au Musée de l’ Œuvre Notre-Dame à Strasbourg. Allez-y !
Retracer les généalogies de personnes vivant au VIIème ou au VIIIème siècle est un travail hasardeux. Le plus simple est de s’en tenir aux sources anciennes. Voici celle publiée par Schilter concernant le duc Adalric et ses successeurs directs.
Schilter nous donne là un aperçu bien succinct ! Adalric et Bereschwinde ont eu plus de deux enfants. Outre le jeune Hugues, tué par son père selon la Légende d’Odile, Roswinde fut religieuse à Hohenburg, et deux autres frères Batachon et Etichon sont cités par Grandidier. Adelbert, fils d’Adalric, succède à son père vers l’an 690. Il devient duc d’Alsace et est décrit comme un homme très pieux. Attale est l’une de ses filles, donc nièce d’Odile.
Adelbert fonde à Strasbourg le couvent de Saint Etienne (Sankt Steffan) et le monastère de Honau sur une île du Rhin. Ses filles sont éduquées à Hohenburg sous la direction d’Odile. Attale devient abbesse de Saint-Etienne, ses sœurs Eugénie et Gundelinde, respectivement abbesses de Hohenburg et de Niedermunster, les deux couvents du Mont-Sainte-Odile.
La légende des reliques de Sainte Attale
Attale meurt en 741 dans son couvent de Saint-Etienne. Elle est alors une abbesse aimée et respectée. Les chroniques nous disent peu de choses sur sa vie, par contre le devenir de sa sépulture semble pour le moins mouvementé. La narration la plus ancienne nous vient, une nouvelle fois, de Koenigshoven, qui dans ses chroniques en langue latine, retrace les évènements. Le plus simple est de vous proposer ce texte dans son ensemble. Puis d’en éclairer, par quelques notes, le contenu étonnant.
Lisons donc Jakob Twinger von Koenigshoven.
Cet Athic (1) avait une fille du nom d’Odile et un fils nommé Adelbert. Cet Adelbert a épousé la fameuse Gerlinde et ils eurent une fille Attale et d’autres enfants, dont Eugénie et Gundelinde (2).
Cet Adelbert, père d’Attale, inspiré par la grâce divine, a décidé d’édifier un couvent dans un lieu qui était sien. Et il a choisi Argentorum (3), où, dans un endroit délaissé, sur les ruines de l’ancienne muraille, au bord de la Bruche, il a construit un couvent pour trente nonnes et quatre chanoines, pour servir Dieu et honorer Saint Etienne. Et c’est là qu’il a établi Attale, qui fut désignée abbesse par l’ensemble de la communauté. Elle vécut là de manière fort louable et y termina sa vie, dédiée aux bonnes œuvres. Après sa mort, il y eut de nombreux miracles, comme la raconte sa Légende, parmi eux, je n’en citerai brièvement que quelques-uns.
L’abbesse de Hohenburg Werentrudis a engagé un voleur, nommé Werner, pour qu’il lui rapporte une relique de Sainte Attale. Alors, Werner lui coupa la main, mais il fut pris sur le fait, pourtant on le relâcha.(4)
L’évêque de Strasbourg Widerolfus voulait, en ce temps, enterrer très profondément les reliques d’Attale, qu’elles pourrissent et que leur souvenir se perde. (5) Mais un certain Trutmann, diacre, désigné par révélation divine, a dissimulé le corps sous la terre, dans un endroit caché que nul ne connaissait. Plus tard, l’évêque fut dévoré par les souris (6). Et Trutmann, parti en Terre Sainte, est mort à Jérusalem. C’est ainsi que le corps est resté caché à tous et ce, jusqu’à l’an 1172 !
C’est à cette date qu’Attale est apparue à un vieux chevalier, Alberon, et lui a indiqué comment elle pouvait réapparaître. Le chevalier s’est alors rendu auprès d’Hedewig, l’abbesse de ce temps, et lui suggéré de faire creuser pour rechercher le corps, ainsi que Sainte Attale le lui avait ordonné. Mais l’abbesse refuse de se donner cette peine et surtout d’en subir les énormes dépenses. Après sa mort, Berthe fut élue à sa place. Avec ses sœurs, Berthe se rendit auprès de l’évêque Rodolphe et le pria de bien vouloir l’aider, afin que l’on retrouve ces reliques. Celui-ci leur accorda son aide avec confiance et géra la dépense. (7)
Mais avant que l’on trouve le corps de Sainte Attale on déterra tout d’abord le cadavre de la vierge Savine, sa sœur bien aimée, ensuite celui de Gerlinde, mère d’Attale, celui de Bachildis, la deuxième épouse du duc Adelbert, épousée après la mort de Gerlinde et du vivant d’Attale. Ensuite, ce fut le corps d’Adelbert, avec celui de sa petite fille Albine, ensuite le corps de Childéric, ancêtre d’Attale. Et enfin, grâce à la persévérance d’une religieuse du nom de Hemma, on trouva l’endroit où Attale et ses reliques étaient dissimulées, dans un reliquaire, car ils étaient enterrés ainsi, et ainsi ils les trouvèrent. Ils étaient recouverts de terre depuis plus de 250 ans. (8)
Alors jaillit une source où de nombreux malades se sont plongés ou se sont lavés, et ils ont retrouvé la santé (9)…
- Note 1 - Athic est un des noms du duc d’Alsace Adalric, père de Sainte Odile : Athic, Adalric ou Etichon suivant les auteurs.
- Note 2 - ~720 -Eugénie fut la deuxième abbesse de Hohenburg, et Gundelinde la deuxième abbesse de Niedermunster. Hohenburg et Niedermunster sont les deux couvents créés par Odile sur le Mont-Sainte-Odile.
- Note 3 - Argentorum est le nom latin de Strasbourg. Le couvent de Saint-Étienne est devenu aujourd’hui un collège.
- Note 4 - 741 - Werentrude est la troisième abbesse de Hohenburg, elle succède à Odile et à Eugénie sa nièce. Nous sommes alors à l’époque, où les reliques sont fort convoitées. Werentrude voulait attirer les pèlerins et leurs dons à Hohenburg, signe de la vénération qu’inspirait alors Attale…et signe aussi de la rivalité entre les monastères d’alors.
Selon d’autres chroniques, le voleur Werner n’est pas surpris lors de son délit, mais il s’égare dans la nuit en rejoignant le Mont-Sainte-Odile. Et Werner se présente, au petit jour, par erreur, à Saint-Étienne ! Consternation des nonnes ! Mais comment Werner aurait-il pu confondre un couvent situé en ville avec notre Hohenburg perché sur la montagne ?
- Note 5 - ~970 - Widerolfus est évêque en l’an 970, plus de deux cents ans après la mort d’Attale. Il semble qu’il soit excédé par le succès des reliques d’Attale qui drainent l’afflux des pèlerins vers le couvent de Saint-Étienne, loin de sa cathédrale. Selon Bernardt Herzog, Widerolfus spolia le couvent Saint-Étienne de bon nombre de ses biens.
- Note 6 - Nous n’avons retrouvé aucune explication sur cette assertion, pourtant réaffirmée par Herzog qui ajoute les rats. Widerolfus meurt, son cadavre est dévoré par les souris et le rats, punition divine pour avoir fait disparaître les reliques de Sainte Attale ?
Le départ à Jérusalem et la mort du diacre Trutmann, seul à connaître la cache, explique que les reliques soient restées perdues si longtemps.
- Note 7 - 1173 - Rodolphe est évêque de Strasbourg de 1163 à 1179. On note que l’abbesse Edwige regardait à la dépense et que Rodolphe, lui, décide et finance les recherches, témoignage qu’Attale n’était pas oubliée plus de quatre cents ans après sa mort.
- Note 8 – Les dépouilles de la sœur, de la mère et de la belle-mère d’Attale sont retrouvées. Ainsi que celle du roi Childéric, grand-père maternel d’Attale. Pourtant Childéric était mort bien avant la fondation du couvent Saint Etienne. ( ?)
- Note 9 – Si la source est aujourd’hui tarie, le puits où furent retrouvées les reliques d’Attale se situe dans la chapelle du collège Saint Etienne. Le reliquaire contenant la main d’Attale, également.
Chaque épisode de cette légende est transcrit fidèlement dans les deux moitiés de tapisseries présentées ci-dessus. Comme pour Sainte Odile, ces deux chefs d’œuvre dédiés à Attale ont été tissées pour l’abbaye Saint-Étienne. Au départ, elles étaient d’une pièce et ornaient le chœur de l’église abbatiale lors des cérémonies. On y retrouve les blasons de Rathsamhausen zum Stein et de Hewen, vraisemblablement les donateurs. Elles datent de la moitié du quinzième siècle.
Fond rouge presque uni, cortège de fleurs, phylactères en lettres gothiques portés par des anges, la tapisserie d’Attale est un véritable chef d’œuvre. Indépendamment du thème traité, nous sommes en présence d’une réussite artistique remarquable. Unité de ton, mise en relief des détails, les artistes ont su donner à la tapisserie d’Attale une dimension rarement égalée.
Attale reçoit des mains de son père, le duc Adelbert les clefs du couvent. Derrière le duc, peu mérovingien mais habillé et coiffé plutôt à la mode Renaissance, on croit reconnaître Gerlinde, son épouse. Au fond, le couvent Saint-Étienne ressemble à un château fortifié plus qu’à un monastère. ‘Wie herzog Obrecht sante Athal siner dochter disen stift befalch und gewalt dar über gab’ nous explique l’inscription. ‘C’est ainsi que le Duc Adelbert offrit à sa fille Attale cette fondation et lui en donna la direction’.
Le corps d’Attale repose sur son lit de parade. Tout autour, les nonnes, absorbées par leurs prières, lisent leur bréviaire. Werner se penche sur le corps et tranche la main. En bas de l’image, le blason des Rathsamhausen zum Stein. Le phylactère explicite le dessin : ‘Wie Athala starb unf auf der borf lag und ir die hant abgesnit wart’. Ce qui signifie : ‘Attale mourut et, couchée sur son lit de mort, on lui coupa la main.’
Note pour les lecteurs attentifs : la main coupée sur la tapisserie est la main gauche, la main du reliquaire est une main droite. Simple licence poétique ou facilité des auteurs de la tapisserie ?
Devant quatre sœurs émerveillées, les deux ouvriers armés de pelles découvrent le reliquaire précieux contenant la main d’Attale. Une cinquième religieuse se penche sur la relique. Il s’agit sans doute d’Hemma, citée par Koenigshoven. Le texte en gothique nous dit : ‘ wie sant Athalen hant funden wart in einem schrine’. Pour nos amis d’Outre-Vosges, ‘Ainsi on retrouva la main de sainte Attale dans un écrin’.
La deuxième partie de la tapisserie raconte en deux tableaux la découverte des restes de la famille d’Attale et se termine par une représentation en pied de Saint Etienne, saint patron du monastère d’Attale. Etienne porte un vêtement richement brodé. Il tient dans la main droite la palme du martyre et dans la gauche des pierres. Saint Etienne est mort lapidé devant Jérusalem en l’an 33.
- J. Twinger von Koenigshoven, Chroniques Latines, 1419
Le texte présenté plus haut est une traduction des Chroniques en latin, telles qu’elles sont présentées par Schilter dans son édition de 1698. (Anmerkung 8)
- B. Herzog, Chroniques d’Alsace, 1592
- P. Grandidier, Histoire de l’Eglise de Strasbourg, 1780
- X.Ohresser, les Tapisseries de l’Eglise Saint-Étienne de Strasbourg, 1968
Le livre de monsieur Ohresser est toujours disponible au musée de l’Œuvre Notre Dame. Il fourmille de détails. N’hésitez pas lors de votre visite au musée.
- Généalogie d’Attale, Schilter,1698
- Frise romane du monastère de Saint-Étienne, photo M.H.
- Reliquaire de Sainte Attale, dessin de J.J.Arhardt, 1650, Photo M.H.
- Tapisserie d’Attale et détails.
Retrouvez la Tapisserie de Sainte Odile et comparez. ( cliquez sur le lien )
Un fragment de la Tapisserie d’Attale fut séparé lors de la dernière restauration en 1950. Il représente un homme que le chanoine Ohresser qualifie de ‘sauvage’. Cet homme, bizarrement vêtu, est accompagné d’un faucon et d’une licorne. Ce fragment était situé à l'opposé de Saint Etienne, il débutait l' histoire et donnait à l'ensemble sa cohérence. L'homme 'sauvage' apprend, est édifié par la vie d'Attale, et atteint la sagesse d'Etienne. Cette partie de la Tapisserie serait conservée au collège Saint-Étienne. Pourquoi ne pas la présenter au public ?