Complot au Guirbaden
En 1475 se trame au château de Guirbaden un complot qui menace les villes impériales d’Obernai et de Rosheim. Les Hohenstein veulent s’allier à Charles le Téméraire dans sa tentative de conquête de l’Alsace.
La Guerre de Bourgogne
Charles le Téméraire est Duc de Bourgogne. Il possède également les Flandres, le Luxembourg et la Lorraine. Charles rêve de réunir ces différentes principautés pour en faire un véritable royaume. Il veut annexer l’Alsace. L’empereur Frédéric IV réunit les Villes Impériales et organise la défense. En septembre 1473, Frédéric est à Obernai, lorsque Charles entre en Alsace. Colmar ferme ses portes au Téméraire et celui-ci échoue au siège de Mulhouse. Charles se retire pour préparer une attaque par le nord et laisse Pierre de Hagenbach, son homme de confiance mener la lutte en Alsace du Sud. Hagenbach met le siège devant Bâle, alliée aux Suisses. Les Villes organisent la riposte. Alliées aux Evêques de Bâle et Strasbourg et aux Suisses, les troupes impériales entrent en Bourgogne et enlèvent Héricourt. Pierre de Hagenbach est arrêté à Breisach, jugé, passé à la question et décapité.
Le ressentiment du Téméraire, contre les Villes Alsaciennes est à son comble.
Les Hohenstein sont originaires de la vallée de la Hasel, où se dresse le château dont ils portent le nom. Le burg est situé au dessus d’Haslach, où les évêques de Strasbourg résident fréquemment. Les démêlés entre Hohenstein et l’évêché sont nombreux et hauts en couleurs. Le plus marquant est l’enlèvement de l’évêque Berthold en 1337. Le prélat, qui avait préalablement attaqué et pris le burg des Hohenstein, est capturé à Haslach puis séquestré dans le château de Rodolphe. Les relations ne sont pas meilleures en 1398, où on voit le même Rodolphe aux prises avec l’évêque Guillaume devant les remparts de Boersch. Au fil des années, Rodolphe de Hohenstein obtient pourtant de l’ empereur Charles IV de nombreux avantages : en 1395, il reçoit le Guirbaden, Rosenwiller et Mollkirch. En 1404, Rodolphe est prévôt à Sélestat. En 1437, il est confirmé à Guirbaden, cet immense château qui domine la Magel.
En 1465, Suzanne de Hohenstein est abbesse de Hohenburg, le couvent de Sainte Odile.
Lors de la Guerre de Lorraine, Jacques de Hohenstein est le représentant de la famille. Comme de nombreux nobles alsaciens, Jacques n’apprécie pas le rôle croissant des Villes et de la bourgeoisie. Ses préférences dans le conflit vont donc au Duc de Bourgogne. En 1475, alors que le Téméraire assiège Neuss près de Cologne, Jacques de Hohenstein propose d’ouvrir un nouveau front en Alsace.
Jacques projette de livrer au Téméraire ses châteaux de Guirbaden et du Kagenfels, puis à partir de ces deux places fortes, de marcher sur Rosheim et Obernai. Niedernai et le château des Landsberg font partie des cibles annoncées. Alors la menace bourguignonne sur la Ville de Strasbourg serait bien réelle.
Les négociations semblent être bien avancées puisque Jacques touche 10.000 florins des Bourguignons ! Mais, les conjurés ne sont guère prudents et l’ Evêque Ruprecht est mis au courant de l’affaire. Il organise avec les Strasbourgeois une attaque rapide du Guirbaden, qui est enlevé par surprise. Jacques de Hohenstein est arrêté et enfermé au château de Dachstein. Cette péripétie avortée aurait pu être lourde de conséquences pour Obernai et Rosheim. Selon Gyss, une trentaine de nobles, dont le comte palatin Frédéric, faisaient partie des affidés du complot.
Voir en fin d'article le texte imagé de la chronique de Johannes Knebel , contemporain des faits.
Tournant décisif du conflit, René de Lorraine rejoint la coalition. Charles assiège alors Nancy… et prend la ville, malgré l’aide apportée par les Villes Impériales. C’est une véritable panique en Alsace, où on craint les représailles. Obernai renforce ses remparts : une nouvelle tour est érigée au ‘swal’ supérieur, les bastions sont renforcés et on achète de nouvelles arquebuses…
Mais le Téméraire se tourne vers la Suisse, où il se fait battre à Granson puis à Morat. L’armée des Villes entre alors en Lorraine et libère Nancy. C’est en tentant de reprendre cette ville que Charles de Téméraire meurt sous ses murs, le 6 janvier 1477.
L’Alsace est sauve.
On accède au Guirbaden à partir du village de Mollkirch par une rude montée sous les châtaigniers.
Dans les ruines, on admirera le donjon carré de Frédéric II, construit sur deux magnifiques arcs de décharge. L’accès à la cour du donjon est des plus périlleux, de nombreuses pierres sont en équilibre instable. On préférera se rendre dans l’immense salle au centre du site. Il ne subsiste aujourd’hui qu’une seule baie en place. Les autres fenêtres ont été déplacées, avec sculptures et colonnes, dans le parc des Dartein à Ottrott. Une colonne romane a été transformée en bénitier et se trouve dans l’église de Muhlbach. Le tour complet des remparts par l’extérieur offre des vues insolites sur l’immense forteresse. Dans les extensions du XIIIème siècle, se dresse un deuxième donjon, isolé, étonnant.
Sur les traces de Jacques de Hohenstein, le marcheur peut se rendre à Oberhaslach et monter à Hohenstein où la vue sur la vallée de la Hasel est superbe. ( Copinage : isolée, calme, l’auberge du Hohenstein propose un accueil sympathique et une terrasse ombragée). Non loin de là, les ruines oubliées du Ringelstein permettent de boucler une bien belle promenade. Point de vue exceptionnel sur la plaine d’Alsace.
- Joseph Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
- John Forster Kirk, Histoire de Charles le Téméraire, 1866
- Marcel Brion, Charles le Téméraire, 2006
- Sitzmann, Dictionnaire des hommes célèbres d’Alsace, 1910
- Johannes Knebel, Chronik aus des Burgunderkriegs, 1475
- Carte du complot, PiP
- Guirbaden, chapiteau de colonne, dans l'église de Muhlbach sur Bruche
- Guirbaden, archère
- Plan des ruines, PiP
- Guirbaden, baie à colonne, parc d’Ottrott
- Lithographie de Engelmann
- Donjon et arc de décharge du Guirbaden
Bref historique du château
Xème siècle Château des Eguisheim
1137 - première mention du Guirbaden
1162 - destruction du burg par Frédéric Barberousse, reconstruction par les Eguisheim
1199 - destruction du burg par Philippe de Souabe
1218 - agrandissement par Frédéric II de Hohenstaufen
1220 - construction du donjon carré sur les arcs de décharge
1226 - le Guirbaden passe aux Evêques de Strasbourg. Dès lors, le château sera inféodé à de grandes familles de l' aristocratie locale : Balbronn, Andlau, Müllenheim et Hohenstein
1445 - les Armagnac tentent de s'approprier par la force le château. Les Hohenstein résistent avec succès.
1475 - Complot du Guirbaden. Le château passe alors à la famille des Rathsamhausen.
1525 - le château résiste aux attaques des Rustauds.
1618-1648 Lors de la guerre de Trente Ans, Guirbaden subit les attaques des deux camps, Suédois et Impériaux. Il ne reste que des ruines. Relevé une dernière fois par les Rathsamhausen, le Guirbaden est démantelé par les français en 1657.
Un noble alsacien, un certain Jacques von Hohenstein, dévoré par l’avarice, avec d’autres nobles qui étaient attachés au Duc de Bourgogne, voulait mettre entre les mains du Duc, les châteaux de Kagenfels, de Guirbaden ainsi que les Villes Impériales d’Ober-Ehenheim, Unter-Ehenheim et Rosheim et de cette manière ouvrir le pays aux Bourguignons. Le Duc a payé 10.000 Gulden pour ce service. Mais le seigneur Ruprecht, évêque de Strasbourg, duc de Bavière l’apprit, il en informa les Bourgeois de Strasbourg, qui envoyèrent aussitôt leurs meilleurs soldats. Ceux-ci se cachèrent de nuit dans une forêt non loin du Guirbaden, attendant jusqu’au matin que quelqu’un en sorte et leur donne la possibilité de s’y introduire. Alors qu’ils attendaient à l’aube, des valets sortirent pour quérir du bois. Ils les assaillirent et les retinrent dans la forêt. Des soldats revêtirent alors les vêtements des valets et poussèrent les charrettes de bois jusqu’au château, ils tuèrent les gardes de l’entrée, mirent les chariots en travers de la porte et firent signe aux leurs. Ceux-ci se précipitèrent, et entrèrent dans la place, ils y trouvèrent le dénommé Jacques von Hohenstein, l’arrêtèrent et le ligotèrent. Prévenu, l’évêque envoya une récompense aux soldats. Le château resta en son pouvoir et le prisonnier fut enfermé dans un cachot dans le château de Dachstein. Interrogé sur ses complices, il aurait cité les noms de trente nobles alsaciens bien connus, qui étaient tous du parti du Duc de Bourgogne et de Frédéric le Comte Palatin. Cet infâme Hohenstein ne peut ou n’ose se soulever ouvertement contre l’Empire, mais il pousse en secret les autres à le faire. J’espère qu’ une juste peine ne lui sera pas épargnée !