La Guerre des Caves à Rosheim
Attaque surprise des Lorrains sur Rosheim. La ville est prise, mais la suite des événements est des plus inattendues. Un moine de Senones nous raconte toute l’histoire où il est question du bon vin d’Alsace et de ses effets en temps de guerre.
Au début de son règne, Frédéric II doit reconquérir ses fiefs occupés par les partisans d’Otton de Brunswick. Les Landsberg tiennent la ville d’Haguenau. Frédéric fait appel au Duc de Lorraine, Ferry II. Il lui demande son aide moyennant 4000 marcs d’argent. Mais Frédéric n’a pas les fonds nécessaires, il engage la Ville de Rosheim en échange de l’aide lorraine. Ferry remplit sa part du contrat et libère Haguenau. Mais la dette de Frédéric court toujours.
Quelques années plus tard, après la mort de Ferry, son fils Thibault devient duc de Lorraine. A Bouvines, Thibault était aux côtés d’ Otton de Brunswick et s’oppose donc à Frédéric II. De plus, Thibault a des ambitions en Alsace, il a épousé l’héritière des Dagsbourg et souhaite prendre possession du comté de son épouse. Il décide de commencer sa campagne en occupant Rosheim et entre en Alsace à la tête de son armée. Son intendant Lambyrin d’Arches précède le duc avec une petite troupe. Lambyrin trouve Rosheim sans défense, et pénètre dans la cité, où il trouve force munitions, viandes et bon vin !
La suite de l’histoire est amusante. Elle nous est rapportée par le moine Richer de l’abbaye des Senones, un contemporain des faits.
Iceux voyant que nul ne les contredisait entrèrent dans les caves et les trouvèrent pleines de vin, s’assirent, mangèrent et burent tant qu’ils voulurent. Et comme cette sorte de gens rustiques a de coutume, ayant trouvé quantité de vin, de s’enivrer, d’autant qu’en leur logis ils en boivent peu souvent, ceux-ci s’enivrèrent tous, et chancelant à toute démarche, se heurtaient partout et tombaient par terre. Ce qu’ayant aperçu quelque gentil soldat nommé Otton, qui était de la ville même, et ayant rassemblé la plus grande partie de ses conbourgeois, leur dit : ‘Courage, amis, ne voyez vous pas ces rustiques tous ivres morts ? Prenez donc vos armes car sans difficulté nous les étrillerons bien.’ Ceux-ci, donc, tous forcenés, comme les allemands ont cette façon de faire, sortant de leurs maisons, se jetèrent sur les rustiques qui pensaient mettre la main sur leurs armes, mais ne purent, d’autant qu’ils ne savaient seulement se tenir debout. Quelques uns pensant se mettre sur pied, tombaient lourdement à terre. Les autres voulant se rendre à merci, bégayaient si fort qu’à peine ils pouvaient proférer un mot correctement. Et puisque les allemands ne savent pas pardonner à ceux dont ils prennent le dessus, ils commencèrent à les ravager si impétueusement, que sans vergogne ils les outrèrent et massacrèrent de leur coutelas jusqu’au nombre de sept vingt. Lambyrin, toutefois, et quelques autres mieux avisés, ayant monté leur chevaux, s’enfuirent par la porte de Brustanual. Une part d’entre eux apercevant la défaite de leurs gens, le long des rues prirent la fuite jusqu’aux montagnes toutes proches. Les autres ivres ou blessés gisaient dans les jardins. Et la nuit qui suivit, marchant comme ils le pouvaient, ils retournèrent dans leur pays. Les allemands entrant dans leur caves en trouvèrent encore quelques uns qui n’avaient pas dessaoulé, et ils les achevèrent. De sorte que de la multitude des gens de Lambyrin, il n’en resta que bien peu. Lambyrin donc ayant trouvé le duc Thibault qui était proche avec son armée, tout près de Brustanual et de Vicha lui raconta la piètre défaite de ses gens. Mais le duc fâché par ces nouvelles se retira avec son armée.
A la lecture, on peut soupçonner le moine lorrain d’un léger parti pris contre les ‘allemands’ de Rosheim… Nous préférerons retenir de cette histoire que le vin de Rosheim devait, déjà au treizième siècle, être bon ! Nos excellents crus du Westerberg et du Fleckstein se sont révélés plus efficaces qu’une troupe armée. Prosit !
Les Lorrains sont vraisemblablement arrivés par la vallée de la Bruche et ‘Vicha’ doit être notre Wisches. Par contre, je n’ai pas trouvé de localité correspondant à ‘Brustanual’…. Si une porte de la ville porte ce nom, ce ne devrait pas être bien loin, si quelqu’un a une idée, merci… Retenons simplement que Rosheim, ville des Hohenstaufen, était déjà fortifiée en 1218.
Le nombre de victimes de la Guerre des Caves donné par Richer n’est pas bien clair. ‘Sept vingt’. Est-ce à dire sept cent vingt ? Ceci peut paraître élevé pour l’avant-garde du Duc de Lorraine. Vingt sept ramène notre guerre à une simple escarmouche. Faute d’éléments, nous ne trancherons pas. Néanmoins, si le Duc avait réellement perdu plus de sept cent hommes dans une ville non défendue, n’y aurait-il pas eu de représailles de sa part, lui qui était à quelques kilomètres et à la tête d’une véritable armée en ordre de marche ?
S’il délaisse Rosheim, Thibault ravage le nord de l'Alsace en représailles et en particulier les vignobles appartenant à Frédéric II. L’année suivante, Frédéric décide de se venger, il entre en Lorraine, assiège Thibault au château d’Amance et fait mettre le feu à Nancy. Vaincu, prisonnier, emmené en Allemagne, Thibault doit céder et voit ses rêves alsaciens lui échapper. Du moins, croit-il au pardon de Frédéric et regagne sa Lorraine. C’était mal connaître le Hohenstaufen.
Mais, redonnons la parole à Richer de Senones, qui, dans son style fleuri, nous dit le fin mot de cette histoire.
Ainsi donc le Duc eut passé le Rhin, joyeux qu'il approchait de ses terres, estimant qu'il était remis en la grâce du Roy, trouva peu après qu'il était bien loin du compte. Car le Roy, qui n’avait rien oublié, envoya après lui une certaine paillarde, que l'on nommait Sodanne, laquelle passant une nuit avec lui et discourant de propos assez facétieux, comme de telles femmes peuvent faire, mêla du venin en son vin et le fit boire au Duc, comme le Roy lui avait ordonné. Ceci fait, le lendemain, elle s'en retourna. Le Duc ne la fit guère longue après, mais expira. Il fut enseveli au monastère de Stultzeborn, ordre de Citeaux…...
On reste un rien surpris et amusé par la bonne connaissance de notre bon moine de Senones sur les façons des dames de mauvaise vie, qu’il nomme ‘paillardes’. Et, on note que c’est une seconde fois le vin qui mena le Duc à sa perte. Gewurztraminer ou Riesling ?
On ne sait quelles étaient les fortifications de la ville au début du treizième siècle. Le texte de Richer est le premier qui les laissent supposer. Salch propose deux remparts distincts enserrant séparément les églises Saint Pierre et Saint Etienne. (Peu probant). Par la suite, la ville fut cernée par deux lignes de murs concentriques. Le plan proposé montre cette situation au XVIème siècle. La partie Sud des fortifications est encore en place, et un petit chemin les longe, bordé par le Rosenmeer. La promenade est courte, facile et agréable.
Quatre portes fortifiées sont encore visibles. La Niedertor ( à l’est ) et la Löwentor, porte du lion ( au nord) sont les plus anciennes. L’une d’elles vit peut-être la fuite peu glorieuse de Lambyrin d’Arches.
On continuera la promenade dans les ruelles de la vieille ville, où de nombreuses maisons alsaciennes attireront le regard. Près de la Tattor et de la Mairie, admirez le magnifique puits renaissance. Montez jusqu’à la Maison Romane, souvenir du passage de Frédéric le Borgne. On terminera par l’église romane des Hohenstaufen. Les proportions de l’édifice, sa ligne sobre et sa statuaire hors du commun raviront chacun. Voir l'article dédié à l’ Eglise Saints Pierre et Paul de Rosheim.
L’accès en vélo à Rosheim est aisé. De belles pistes joignent la ville à ses voisines : Molsheim, Obernai, Griesheim.
- Chronicon Senonense, Richer de Senones, livre III, chapitres 19 à 23
- Rosheim XII –XIIIèmes siècles, Charles-Laurent Salch, CECFS
- Armoiries de Lorraine
- Armoiries de Rosheim
- Le moine Richer, selon le frontispice du texte de Jean Cayon
- Erker sur la Porte du Lion
- Scène de siège, Hortus Deliciarum
- Porte du Lion
- Plan des remparts de Rosheim - PiP
- Lion présentant les armes de Rosheim, puits renaissance Rosheim