Les Monstres dans l’Hortus Deliciarum
Le manuscrit d’Herrade de Landsberg renferme de nombreuses images de monstres et d’animaux fantastiques. Les miniatures dédiées à la fin du monde sont riches en dragons. Parmi eux, la Bête de l’Apocalypse étonne et impressionne. Mais nous n’aborderons l’Apocalypse que dans un prochain article. Aujourd’hui, nous nous arrêtons sur deux dessins peu connus de l’ Hortus Deliciarum.
Claude Tisserant-Maurer dans l’ ouvrage commenté par Auguste Christen, publié en 1987.
Rappelons tout d’abord que nous ne connaissons le manuscrit du douzième siècle qu’au travers de calques effectués peu avant sa destruction dans l’incendie de la Bibliothèque des Dominicains de Strasbourg en 1870. Les deux dessins proposés sont donc des restitutions dessinées à partir des travaux d’Engelhardt et de Bastard qui avaient eu accès au codex peu avant sa destruction. Ils ont été mis en couleurs parLe premier dessin représente un animal étrange composé de sept êtres vivants bien connus. Le texte latin qui l’accompagne nous éclaire sur l’idée d’ Herrade de Landsberg.
- Latrans dente mordeo Le chien mord avec ses dents
- Vir manu cedo L’homme frappe de son bras
- Cervus cornu pedo Le cerf domine par ses bois
- Equus pede ferio Le cheval donne des coups de pieds
- Ales pectore trudo L’oiseau s’élève grâce à sa poitrine (ailée)
- Scorpio retro neco Le scorpion tue par sa queue
- Catrus vel ungue scindo Le chat déchire à l’aide de ses griffes
Chaque partie du corps de cet animal symbolise la violence de l’homme qui cherche à montrer sa puissance, à dominer ses semblables par la force. Un tel homme serait un monstre, violent, assoiffé de domination. Et c’est ce monstre qu’Herrade nous présente. Envie de condamner ou bien simple constat ? Le monde d’Herrade et de l’ empereur Henri VI le Cruel n’était pas un modèle de paix et de sérénité.
Herrade nous propose une deuxième miniature de la même veine. Le monstre représenté est alors la conjonction de neuf animaux différents. Le texte latin qui accompagne le dessin est moins explicite sur le but d’Herrade. Simplement factuel.
- Bos pes Le bœuf, le pied
- Lepus caput Le lièvre, la tête
- Ales os L’oiseau, le bec
- Equus pectus Le cheval, le poitrine
- Homo manus L’homme, la main
- Serpens ilia Le serpent, le ventre
- Pavo cauda Le paon, la queue
- Leo jube Le lion, la crinière
- Grus crus Le chat, sa jambe
Ces deux dessins sont inachevés et hors de leurs contextes. Auguste Christen y lit une image de l’homme déchu et devenu semblable aux animaux.
Une deuxième lecture serait celle du microcosme. Tout est dans tout, et chaque être est une composition de ce qui l’entoure. Et une pièce d’un ensemble plus complexe.
Sans explication de notre bonne Herrade, nous ne saurons pas vraiment ce que représentait pour elle ces deux animaux fantastiques ! Admirons cependant la créativité d’Herrade et son art du dessin. Quelle femme étonnante !
Dans l’Hortus, une troisième image, fort différente des précédentes, nous montre également un monstre composite. L’idée d’Herrade est alors plus simple et fort lisible. Il s’agit de la Crucifixion. Au pied de la croix, Herrade figure à droite la Synagogue montée sur un âne et à gauche l’ Eglise juchée sur un animal étonnant. Le quadrupède possède quatre têtes, où on reconnaît sans peine les symboles des évangélistes.
- L’ange de Saint Mathieu
- Le lion de Saint Marc
- Le taureau de Saint Luc
- Et l’aigle de Saint Jean
Herrade nous propose là un tétramorphe inattendu et bien personnel !
Détail amusant, Herrade a prolongé le symbolisme dans les quatre pattes de l’animal surnaturel. Les pattes avant possèdent une serre d’aigle et un pied humain. Les pattes arrières présentent le sabot du taureau et les griffes du lion.
Herrade aimait jouer avec les thèmes et les symboles. Une imagination et un talent hors du commun.
Hortus Deliciarum d’ Herrade de Landsberg.
Dessins et mise en couleurs de Claude Tisserant-Maurer. Texte explicatif d’ Auguste Christen.Ce coffret de trois volumes présente tous les calques connus de l’Hortus, mis en couleurs. Un ouvrage exceptionnel.
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A deux pas du Mont-Sainte-Odile, vous pouvez retrouver une image de pierre du tétramorphe. L’église romane de Rosheim est contemporaine de la rédaction de l’Hortus. Les symboles des évangélistes ornent le chevet de l’édifice.