Remonter l’ Ehn et déguster une tourte aux cèpes
L’Ehn coule à deux pas de chez moi. Suite à la lecture du livre étonnant de J. P. Kauffmann ‘Remonter la Marne’, j’ai eu l’idée de suivre à pied notre petite rivière, de remonter l’Ehn.
Au plus près de l’eau, en évitant les routes, simplement sur les chemins, hors chemin parfois. Regarder d’un œil différent ces lieux connus, au rythme lent de la marche.
Seul, dans le silence, avec les idées qui vous viennent au hasard d’une image. Une belle expérience.
Deux jours de marche au bord de l’Ehn. Essayez !
Premier jour ! L’Ehn rejoint l’Ill près d’Illkirch. Bretelles d’autoroutes, centres commerciaux, banlieue pavillonnaire inextricable et inhospitalière pour le piéton que je suis. Un ami nous a déposés, mon sac, mon bâton et moi. Fuyons bien vite la grand-ville et sa banlieue. Dés Geispolsheim, les rives sont plus avenantes. Le marcheur peut prendre son rythme, tourner le dos à la ville et apercevoir les Vosges.
Plus nous avançerons, plus le caractère agricole de la plaine prendra sa place. La polyculture propose des paysages variés. Prairies, petits bois, champs de maïs, puis, les premiers choux à choucroute, du maraîchage. Le trajet de l’Ehn n’est plus systématiquement rectifié, l’abord des rives est alors ombragé, agréable. Déjà paraît Blaesheim, dominé par la tour du Goeckelsberg. L’Ehn coule au sud du village, où nous ne pénétrerons donc pas. Quelques minutes plus tard, à la sortie d’un bois, sous un petit pont, le Rosenmeer, se jète dans l’Ehn. Je suis un rien déçu. Oublié le temps où les eaux vives de la Magel traversaient Rosheim avant de rejoindre la plaine. Aujourd’hui, un mince filet d’eau, bien calme, presque stagnant, rien de plus. J’avance d’un bon pas, déjà les premiers jardins de Kraut’.
La capitale ‘mondiale’ de la choucroute est un charmant village alsacien. L’Ehn y est bordée de jardins potagers, les ponts fleuris enjambent la petite rivière. Ergersheim : le village sur l’Ergers. Nous retrouvons là l’ancien patronyme de la rivière que nous longeons depuis une dizaine de kilomètres. Les textes les plus anciens furent écrits en latin, on y trouve les noms d’Argitia et d’Ergisa. Plus tard, au XIème siècle, on lit Argens et Argenza. Johan Fischart, vers 1550, faisait le rapprochement entre notre rivière et Argentoratum, la ville romaine fondée par Drusus ( an 12 avant J.C.) qui devint notre Strasbourg.
Pourtant l’Ehn était également connue sous son nom actuel dés le duc Adalric, comme l’indiquent les divers traités concernant la vie de Sainte Odile. Il est vraisemblable que la rivière portait alors le nom d’Ehn dans sa partie supérieure et prenait le nom d’Ergers après avoir rejoint la plaine en aval d’Obernai.
La rivière évite le centre de Krautergersheim par l’est et arrose les potagers. A la sortie du village, l’Ehn entraîne toujours la roue à aubes du vieux moulin. Une ou deux photos, et je reprends notre chemin.
Les énormes choux à choucroute sont de plus en plus nombreux, ils alternent avec les champs de maïs. L’Ehn bordées d’arbres, coule tranquillement. Quelques canards s’envolent à mon approche. Au loin, près de la route, se dressent les choucrouteries qui nous préparent de bons repas.
A mi chemin avant d’atteindre Meistratzheim, l’Ehn longe la nouvelle station d’épuration. Moderne, indispensable, cette usine retraite les effluents des industries agroalimentaires du bassin de l’Ehn. Brasserie et choucrouteries… il faut baisser les taux d’azote et de nitrates, ré-oxygéner la rivière. La station génère du méthane et de l’électricité, elle évite les rejets nocifs dans la petite rivière. Je me penche près du canal, où les eaux traitées rejoignent l’Ehn. Eaux claires, ajoncs, lentilles d’eau. Je ne suis pas un spécialiste, mais je pense que la Communauté de Communes a bien travaillé.
Ce dimanche, à Meistratzheim, c’est la fête de la choucroute. Flonflons des orchestres alsaciens, bonne odeur de choucroute… je sens que je vais me laisser tenter, après ces quelques heures de marche solitaire. L’atmosphère change du tout au tout. La fête de Meistratzheim rencontre toujours son public. Les rues sont pleines, les orchestres sont appréciés, le chapiteau est rempli. C’est peut-être un peu trop pour moi. Je me contenterai d’une tarte flambée et d’un verre de pinot gris, un peu à l’écart. Avant de repartir sur les chemins.
Quelques centaines de mètres dans les prés et les vergers et voilà déjà Niedernai et son Glockenturm.
Le château des Landsberg est cerné de murs, tout est clos. Il faudrait que je me renseigne, que deviennent les projets de réhabilitation ?
Le village est coquet, les berges de l’Ehn sont bien mises en valeur. Je presse le pas, hâte de finir cette première étape, de déchausser.
Je rejoins Obernai par la piste cyclable qui longe l’Ehn depuis Niedernai. Le trajet est agréable dans le soleil couchant, il permet d’éviter les bretelles bruyantes des autoroutes et de rejoindre la ville dans le calme, sous les arbres au bord de la rivière aux eaux claires.
Anciennement Oberehnheim : le village du dessus de l’Ehn, Obernai est une ville riante et animée. La place du marché et le Kappelturm attirent de nombreux visiteurs. Les ressources hôtelières sont nombreuses et variées. Moi, j’arrive chez moi, et dois m’occuper de mon petit chat, ravi de mon retour, alors, ce sera la maison. Pour ceux qui voudraient suivre mes pas, je conseille l’Hôtel des Vosges, près de la gare. L’accueil et la table sont excellents.
Deuxième jour ! Hier, c’était la plaine, tout le parcours était plat. Aujourd’hui, ce sera la montée dans les Vosges. Mieux vaut partir tôt, très tôt. A la levée du jour, je traverse Obernai, déserte, en longeant les fossés et les remparts, pour rejoindre la promenade de l’Ehn. Ce parcours sous les vieux saules, les charmes et les hêtres longe la rivière. Très bien aménagé, tranquille. Avant d’atteindre Ottrott, le promeneur peut admirer le petit barrage qui alimentait le bief des moulins de la ville impériale des Hohenstaufen. Plus haut, El Biar est une belle propriété au bord de l’Ehn. Elle appartenait à un nostalgique des hauteurs d’Alger, d’où son nom insolite en Alsace.
Ottrott est le dernier bourg avant d’entrer réellement dans les Vosges. Je quitte la plaine. Pour la première fois depuis Illkirch, je dois emprunter une route : les bords de l’Ehn sont propriétés privées. Je croyais le droit de passage garanti au marcheur le long des rivières de France. Et bien, non. La vallée est encaissée, c’est le début de la forêt.
Le lieu-dit du Kupferhammer, le marteau de cuivre, est le premier souvenir de la Manufacture Royale d’Armes Blanches de Klingenthal. Pendant cent ans, la vallée de l’Ehn a résonné des bruits des forges, où les ouvriers martelaient les épées et les hallebardes du roi de France puis de la Révolution, enfin de l’Empire. Cette histoire étonnante est retracée avec beaucoup de savoir-faire dans le petit musée au centre du village. (Prochainement, nous consacrerons, sur ce site, un article à la Manufacture de Klingenthal). C’est au Kupferhammer qu’une partie des eaux de l’Ehn est emmenée par canal vers la collégiale de Saint Léonard, le parc de la Léonardsau et vers Boersch.
Klingenthal, le village se fait vosgien, les maisons et les toitures diffèrent déjà de celles de la plaine, plus larges, plus enveloppantes. Après un brusque virage vers le sud-est, l’Ehn traverse la propriété de l’Ancien Maître des Forges. Je préfère la rive gauche de la rivière, moins passante. Et, dans une vallée encaissée, commence la montée vers Vorbruck, maison forestière au cœur des bois. Partout des falaises de grès rose, superbes.
A Vorbruck, l’Ehn reçoit les eaux abondantes du Dimpfelbach. En amont, le débit faiblit. C’est donc sur les rives d’un petit ruisseau que je m’engage dans le vallon abrupt qui mène aux sources de l’Ehn. ( Vorbruck est le point de départ de nombreuses balades, citons les châteaux du Hagelschloss et de Kagenfels ).
La montée débute sur une route forestière qui longe l’Ehn. Une bonne heure plus tard, après avoir croisé deux chevreuils surpris et peu craintifs, j’atteins un petit pont sur l’Ehn et la piste tourne alors vers le Kreuzweg. Il me faut alors monter à travers bois, pour suivre l’Ehn, hors des chemins tracés. En cette fin septembre, période de bases eaux, l’Ehn n’est plus qu’un ruisselet qui court sous les arbres majestueux. Le grès a disparu pour laisser place aux rochers de granite. La montée est rude. Enfin, l’horizon s’éclaire, j’arrive en lisière et découvre les chaumes des dernières pentes avant la Rothlach : les prés de la Soutte, vastes étendues herbeuses cernées de sapins. L’Ehn se perd en plusieurs bras dans les tourbières et je ne saurai pas discerner de source véritable. Le lieu est enchanteur, le silence total. Ces sommets vosgiens sont de toute beauté. Je m’arrête et je sors enfin ma pipe de mon sac. Je suis bien.
Un petit quart d’heure au dessus de la Soutte, par le chemin des Bornes, voilà la Rothlach, petit col vosgien avec sa ferme auberge. On y mange très bien, sur une vaste terrasse de bois, face aux sapins.
Les marcheurs qui sont montés un samedi ou un dimanche pourront redescendre à Obernai en bus. Méfiez-vous des horaires, les bus sont fort rares. Moi, c’était un lundi… alors, je suis rentré à pied ! La descente m’a paru bien longue, mais bon, j’ai eu le temps de ramasser quelques cèpes.
- J’émince les cèpes et les fait sauter dans le beurre dans une poêle à feu assez vif. Ajouter ail, échalotes, persil, sel et poivre.
- Je prépare un roux blanc. (beurre, farine, bouillon et crème fraîche).
- Je laisse mijoter pendant un quart d’heure. J’ajoute alors les cèpes et laisse cuire doucement de nouveau un petit quart d’heure en remuant.
- Je partage la pâte en deux, j’étale en deux disques. Un disque dans le moule à tarte. Pâte feuilletée, c’est mieux, mais plus long…
- Four à 200°C. Je verse les cèpes refroidis sur le fond de pâte, je recouvre avec l'autre disque de pâte, je ferme au jaune d'œuf. Je verse les reste des jaunes sur le tout, j’étale au pinceau. Je fais un petit trou pour la vapeur d’eau !
- Je mets au four une demi-heure, jusqu'à ce que le dessus soit doré. Servir bien chaud !
- Source à 930 mètres d’altitude, dans les prés de la Soutte.
- Confluent avec l’Ill au Sud-Est de Geispolsheim-Gare. Altitude 150 mètres
- Longueur environ 40 kilomètres.
- Bassin-versant de 165 km2.
- Débit moyen annuel de 0,55 m3/s.
- B. Herzog, Edelsaser Chronik, 1592
- J.D. Schoepflin, l’Alsace Illustrée, Volume 1, 1751
- L’Ehn, près de Geispolsheim
- Jeune cygne, près de Blaesheim
- Moulin de Krautergersheim
- Plan schématique du bassin de l’Ehn, PiP
- Extrait du livre de B.Herzog, 1592
- La nouvelle station d’épuration, près de Meistratzheim
- L’Ehn, à Niedernai
- L’Ehn, à Obernai
- Prise d’eaux des anciens moulins en amont d’Obernai
- L’Ehn au dessus de Vorbruck
- La Soutte, près de la Rothlach
- Ma récolte de cèpes
Merci à Claire qui m’a donné l’idée de cet article
en m’offrant le livre de Jean-Paul Kauffmann.