Vol de bétail à Sélestat
En ce temps-là, le sieur Rudolf d’Ochsenstein a emmené avec lui de nombreux auxiliaires de l’évêque. Comme il était un bon autrichien et opposé à Louis, ils attaquèrent ceux de Sélestat et leur prirent leur bétail et leurs chevaux devant les portes, plus de cinq cents têtes, et ils emmenèrent les bêtes, pour les conduire à Dambach. Alors, il envoya ses cavaliers, ils devaient porter la bonne nouvelle à l’abbaye d’Ebersheim et à Dambach. Lorsque les cavaliers se furent éloignés, ceux de Sélestat se précipitèrent à leur poursuite et ils tuèrent tous ceux qu’ils purent attraper. Ils reprirent le bétail et le ramenèrent chez eux !
Cette courte anecdote est un extrait des Collectanées de Specklin, ( Notule 1314 ). Amusant de voir ce balourd de Rudolf, tout fiérot de sa réussite, subir un revers cuisant, de lourdes pertes. Se faire subtiliser le butin, alors que ses cavaliers portent la bonne nouvelle de sa ‘victoire’ ! Tel est pris qui croyait prendre !
Sourions donc de bon cœur et puis, essayons de situer cet épisode dans le temps. Lire Specklin ressemble à un jeu. Le texte est souvent bref, et hors contexte. Alors il nous faut chercher dans d’autres sources, opérer des recoupements, pour enfin comprendre le fond de l’histoire.
La note de Specklin se rapporte à l’année 1331 et cite Rudolf d’Ochsenstein.
Les Ochsenstein forment une famille alsacienne, puissante tout au long du Moyen Age. Le patronyme vient de leur château, situé au sud de Saverne, au-dessus de Reinhardmunster.
A cette date, 1331, Otton, sixième de ce nom, est le landvogt ( bailli ) d’Alsace et de Spire. Son frère Jean est Doyen de l’Eglise de Strasbourg. Et Rudolf, le cadet, porte le titre d’Archidiacre du Grand Chapitre de Strasbourg. Ce titre religieux cache en fait un rôle plus guerrier : Rudolf est le chef de guerre de l’évêque de Strasbourg Berthold de Bucheck, un ecclésiastique de son temps, donc belliqueux.
L’année précédente, en 1330, Louis IV de Bavière a été élu Empereur face à Frédéric le Bel, candidat des Habsbourg et du pape. Le Pape Jean XXII, installé à Avignon, est furieux de cette élection et excommunie Louis. C’est de nouveau la guerre en Alsace entre les partisans de l’Empereur et ceux du Pape.
Les Ochsenstein sont les alliés de l’évêque, donc du parti pontifical. Et on comprend mieux le texte de Specklin.
Rudolf est ‘bon autrichien’ : il combat pour Albrecht de Habsbourg, le duc d’Autriche. Il est ‘opposé à Louis’ : Specklin désigne ainsi l’empereur excommunié Louis IV.
Sélestat est Ville d’Empire, donc du parti impérial. La Ville et son prévôt Seyfridt de Heimburg soutiennent Louis de Bavière. Les troupes de l’évêque Berthold viennent alors assiéger Sélestat.
Vraisemblablement en prévision du siège, ceux de Sélestat rameutent leur bétail pour le mettre à l’abri des murs de la Ville. Ils sont alors surpris par la troupe de Rudolf d’Ochsenstein qui fait une belle prise : cinq cents bêtes, tout de même ! Naturellement, encombré et ralenti par le bétail, Rudolf se replie sur Dambach, ville que l’évêque fera fortifier sous peu (tout comme Boersch). Et puis, il pense à prévenir de sa réussite ses chefs et ses alliés. Dambach, bien sûr, mais aussi Ebermunster, où se tenait peut-être l’évêque Berthold dans l’enceinte de l’abbaye.
Visiblement, Seyfridt et les impériaux se ressaisissent et, partis à la poursuite de leur bien, ils massacrent les gens de l’évêque !
Cette escarmouche, cette histoire de vaches, a du amuser aux dépens de Rudolph et de l’évêque Berthold. Elle est rapportée dans plusieurs chroniques.
La version la plus complète nous vient de l’historien Herzog, contemporain de Specklin, qui nous apprend que le différent entre Sélestat et les Ochsenstein durait depuis bien longtemps. Dés 1313 Otton, le frère de Rudolf, entre en conflit avec la Ville, conflit déclaré dans une rencontre au prieuré de Feldkirch, près d’Obernai. Herzog assure que le duc d’Autriche, les évêques de Strasbourg et de Bâle auraient été présents au siège de la Ville. L’évêque Berthold de Bucheck aurait même été capturé par les miliciens de Strasbourg, et aurait du négocier. Ainsi le siège de Sélestat prit-il fin.
Dans son style personnel, Koenigshoven avait, lui aussi, relaté l’évènement.
Slessstat und Dampach strittent miteinander
Eins males fur her Rudolf von Oschenstein mit des bischoves volk und mit den von Tampach für Slessstat und noment das viehe do. Do zogetent die von Slessstat noch und errettent das viehe. und slugent der von Tampach vil ze tode und viengent jr. erwie vil. zejüngest twungent die von Strosburg den bischof das er den krieg muste lon verrichten. Also dovor by demselben bischof Bechtolt geschrieben stet.
- Blason des Ochsenstein
- Plan de situation, PiP
- Siège de Schwanau en 1333, E. Schweitzer, 1894, fonds BNU Strasbourg. (Nous n’avons pas trouvé d’illustrations du siège de Sélestat et vous proposons, en place, le siège de Schwanau qui eut lieu deux ans plus tard.)
- Vache de la ferme de Truttenhausen ( Ferme bio, panier de légumes, et un munster haut de gamme )
- J.T. Koenigshoven, Chroniques, ~1380
- D. Specklin, les Collectanées, ~1580
- B. Herzog, Chronicon Alsatiae, 1592
- A. Strobel, Vaterländische Geschichte des Elsass, 1861
Pour cette même année 1331, Specklin nous rapporte une histoire bien différente…. étonnante !
Le jour de la Sainte-Croix, pendant un temps fort long, on vit dans le ciel une étoile, du lever du jour jusqu’à dix heures, et puis ensuite, à deux heures, on la vit à nouveau.