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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Le siège de Schwanau, guerre bactériologique ?

18 Juillet 2014 , Rédigé par PiP vélodidacte Publié dans #anecdote

Schwanau est aujourd’hui un petit village allemand du pays de Bade. Au quatorzième siècle, le Burg Schwanau était une forteresse bâtie sur une île du Rhin. Les méfaits de ses occupants étaient tels que les Strasbourgeois vinrent assiéger le château en 1333. Ce fut l’occasion d’utiliser une technique inattendue.

Schwanau, repaire de Walther de Geroldseck, chevalier brigand

Nous avons précédemment déjà rencontré la famille de Geroldseck, c’était lors de notre article sur la Bataille d’Hausbergen. Les Geroldseck étaient alors au faîte de leur puissance, Walther II était cet évêque de Strasbourg qui voulait mettre la Ville au pas. On sait que mal lui en prit. (se reporter à l’article en cliquant sur le lien)
Quelques décennies plus tard, la famille s’est retirée sur ses terres badoises et c’est Walther III, seigneur de Tübingen, neveu de l’évêque vaincu qui sera le héros malheureux de notre histoire. Walther a délaissé son château de Forêt Noire qui domine la ville de Lahr pour s’installer dans le burg de Schwanau.
Le siège de Schwanau, guerre bactériologique ?Au quatorzième siècle, le Rhin n’est pas le fleuve dompté, canalisé que nous connaissons aujourd’hui. C’est un cours puissant, dont le lit change au gré des crues hivernales. Breisach était sur la rive gauche à cette époque. Sur une île du fleuve, les Geroldseck ont construit une énorme forteresse : Schwanau. Entre les marécages d’alors, les bras morts du fleuve, le cours du Rhin, le burg est cerné par les eaux. Les larges fossés défendent les murs les plus épais qui soient.
Schwanau, déjà occupé par un castrum du temps des romains, est un lieu stratégique important pour deux raisons. Le Burg contrôle le trafic fluvial sur le Rhin, et est situé à proximité immédiate de la route terrestre qui rejoint Strasbourg et Bâle, la Geleitstrasse. A sa position est également attaché le droit d’échouage : le Strandrecht. Le seigneur peut s’approprier les marchandises d’un bateau échoué sur les rives du fleuve.
Walther est un chevalier brigand. Si les navires ne s’échouent pas, il les attaque à partir de lourdes barques et les coule à l’aide de catapultes. Les cargaisons sont volées, les voyageurs sont rançonnés ou mis au cachot dans Schwanau. Certains y seraient morts de faim. De même, les convois terrestres sont attaqués. Nobles, marchands, bateliers, simples voyageurs, tous sont soumis au brigandage du Geroldseck.
Le siège de Schwanau, guerre bactériologique ?Outre Schwanau, Walther tient la ville fortifiée d’Erstein en Alsace, et, coté badois, le couvent de Schuttern, la ville de Lahr, et l’imposant château de Hohen Geroldseck sont autant de bases arrières pour le seigneur bandit.

Tous contre Walther de Geroldseck

Au premier rang des ennemis de Walther se trouvent l’évêque et la Ville de Strasbourg. Les méfaits ont atteint la démesure, le commerce est menacé et les bourgeois de Strasbourg ne peuvent supporter ses exactions plus longtemps. Les négociations avant de décider l'attaque seront longues, tant la tâche paraît difficile. Les bourgeois seront les plus actifs et les plus décidés.
Le siège de Schwanau, guerre bactériologique ?

Berthold de Bucheck, l’évêque, n’est pas un tendre. Cet ecclésiastique est homme de guerre plus qu’un religieux. Berthold est déjà apparu dans nos articles pour le rapt dont il fut victime lors de ses démêlés avec les Hohenstein. Lorsqu’il s’agit d’attaquer Schwanau, Berthold sait que l’affaire sera longue, il s’entoure de tous les alliés disponibles.
Les Villes de Bâle, Zürich, Bern et de Freiburg sont tout autant intéressées que Strasbourg à la chute de Schwanau. La Ligue de Villes Impériales d’Alsace, qui deviendra bientôt la Décapole, s’engage également aux côtés des Strasbourgeois : Haguenau, Colmar, Sélestat, Wissembourg, Rosheim, Mulhouse, Kaysersberg et Obernai envoient des troupes sur le Rhin. C’est une véritable armée que Walther devra affronter.
Les alliés enlèvent dans un premier temps la ville d’Erstein ( le 2 avril 1333, jour du vendredi saint ) puis se dirigent vers Schwanau.

Le siège de Schwanau

Tous les historiens de l’Alsace racontent ce siège de trois mois qui a marqué les esprits. La narration la plus ancienne que nous ayons retrouvée est celle du moine Johannes von Winterthur. Ce minorite, contemporain des faits, résidait alors à Bâle et a rencontré certains des assiégeants. Sa chronique, écrite à Lindau quelques années plus tard, révèle des détails inattendus. Voici une traduction du passage qui narre le début du siège.

J’ai appris de nombreuses personnes qui l’ont vu de leurs yeux, que les différentes Villes avaient dressé leur camp de façon séparée et qu’elles tenaient leurs bannières toutes différentes loin des unes des autres, de telle sorte que les spectateurs étaient assurés d’un spectacle joli et réjouissant.

Chronique de Winterthur

C’est du moins l’avis du moine Johannes, gageons que les assiégés aient eu une tout autre vision des camps alliés. Ceux-ci dressent leurs tentes, ils savent que le siège sera long. Schwanau est difficilement accessible et il leur est impossible d’attaquer les murs par la sape, moyen le plus efficace contre les remparts avant l’utilisation de l’artillerie. Les marais, les fossés, l’eau abondante du Rhin…. Impossible de creuser. La seule solution semble le blocus, le siège sera long. Derrière les murs épais de Schwanau, les Geroldseck disposent d’importantes quantités de nourriture et de munitions, les citernes sont pleines d’eau potable. Walther ne s’inquiète pas outre mesure, les Villes se lasseront. Un siège coûte si cher.
Le siège de Schwanau, guerre bactériologique ?De Strasbourg et de Bâle, les ingénieurs des Villes ont acheminé les machines de guerre de l’époque. Balistes, trébuchets, des pierres de grosses dimensions sont envoyées contre et par dessus les murailles. La chronique de Strobel cite l’ingénieur bâlois Burckhardt qui avait construit deux machines surnommées ‘Büffel und Katze’, le buffle et le chat. Le ‘'Katze’ pouvait contenir dans ses flancs de nombreux soldats en armes et s’approcher des murs de Schwanau. Dans sa chronique, Closener, contemporain des faits, cite l’ouvrier strasbourgeois Claus Karle qui réussit à détruire par le feu la demeure seigneuriale des Geroldseck.
Le siège dure depuis plus de deux mois déjà sans que les défenses de Schwanau semblent vouloir céder. Pourtant, les Villes ont un allié inespéré. Ce mois de mai 1333 est particulièrement chaud, soleil, chaleur et surtout, pas de pluie. Les bras morts du Rhin et les fossés voient leur niveau baisser, et les assiégés commencent à avoir soif. Sur ce terrain plus sec, les attaquants vont-ils commencer à saper les murs ?

Utilisation d’une arme nouvelle et inattendue

Les chefs de guerre strasbourgeois commencent à se lasser de ce siège qui n’en finit pas. Ils imaginent un moyen incongru de hâter la reddition de Walther. Voici le texte du moine Johannes.

‘D’autre part, j’ai appris qu’avec leurs machines, ils avaient continué à jeter des pierres de grand poids sur le château , et qu’ainsi, ils avaient réussi à briser la continuité des murailles. Alors ils eurent une idée déconcertante dont je n’avais jamais entendu parler dans les années passées. L’ idée intelligente et rusée d’utiliser leurs machines pour un commerce sale et détestable. Ils donnèrent l’ordre d’apporter, en grande quantité, des localités voisines, dans les chariots et charrettes, des excréments humains, afin de les projeter à qui mieux mieux à l’aide des machines dans la forteresse.

Chronique de Winterthur

Le terme latin utilisé par notre bon moine ‘stercora humana’ ne prête pas à confusion. Les assiégeants ont fait vider les lieux d’aisance des bourgades avoisinantes pour bombarder Schwanau. Les autres chroniqueurs confirment. On voit bien que ce sont les bourgeois de Strasbourg qui mènent le siège, des nobles n’auraient pas employé un tel procédé. Pourtant il va se révéler efficace !
Johannes continue son charmant récit : avec la chaleur écrasante de ce mois de mai et le manque d’eau, la puanteur s’installe dans Schwanau, l’air est irrespirable. Certains chroniqueurs parlent de contamination des denrées et des citernes. Johannes n’en dit mot et explique la reddition par un dernier assaut contre des assiégés totalement démoralisés. Schwanau est tombé le premier juin 1333, après une résistance de trois mois.

La reddition de Schwanau et la vengeance des Villes

Pas de quartier pour les naufrageurs du Rhin après un si long siège. Toujours selon la Chronique de Winterthur, seuls quelques nobles purent racheter leur vie. Les soixante défenseurs survivants furent décapités par le bourreau de Sélestat. Un sort peu enviable fut réservé au responsable des machines de guerre de Schwanau : il fut attaché tel un projectile sur une baliste et projeté dans les airs. ‘Il s’écrasa sur le sol, où il éclata et ses viscères se répandirent’. Bigre, on ne plaisantait pas. ‘Le château fut rasé et réduit en poussière’ , conclut Johannes. Avec l’interdiction formelle d’être un jour reconstruit.’
( Le strasbourgeois Closener confirme la chronique du moine de Bâle à quelques détails près : outre les quelques nobles, un vieillard et un enfant eurent droit à la vie sauve ).
Le siège de Schwanau, guerre bactériologique ?Curieusement notre moine chroniqueur ne nous parle pas du sort réservé à Walther de Geroldseck. Faisait-il partie des nobles qui ont pu se racheter ? Strobel nous dit qu’il s’était échappé quelques jours avant la fin du siège, sans donner ses sources... D’autres racontent une belle histoire.
Il existait un privilège accordé parfois aux femmes ou aux vieillards lors de la reddition d’un château. On leur accordait le droit et partir en emportant ce qu’ils pouvaient porter par eux-mêmes. Souvent les dames emportaient un écrin contenant leurs bijoux. A Schwanau, la Dame de Geroldseck, Anne de Fürstenberg, serait sortie des ruines pestilentielles en portant son mari sur son dos et son fils sous son bras ! Ainsi Walther aurait eu la vie sauve. C’est une belle histoire, non? Mais bon, ne la retrouve-t-on pas au sujet de la prise du Weinsberg dès 1140 ? Une simple légende.

Quoiqu’il en soit, nous retrouvons quelques mois plus tard Walther de Geroldseck à Ettenheim avec le titre d’avoué accordé par l’évêque Berthold. Trente ans plus tard, Walther s’opposera aux Grandes Compagnies d’ Enguerrand de Coucy ! Walther de Geroldseck est mort âgé.
 

Dans ces temps reculés, il valait mieux être noble et riche

que roturier et constructeur de balistes.

Mais notre monde a-t-il vraiment changé ?

Sources
  • J. de Winterthur, Chronique, ~1340
  • F. Closener, Chronique, ~1340
  • D. Specklin, les Collectanées, nodule 1334, 1580
  • B. Herzog, Chronicon Alsatiae, 1592
  • L. Laguille, Histoire de la Province d’Alsace, 1727

( Le texte de Laguille est le seul compte-rendu du siège, dans cette liste, écrit en français. Il est plaisant et proche des chroniques allemandes et latines ).

  • A.W. Strobel, Vaterländische Geschichte des Elsasses, 1841
  • J. Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
  • Fr. E. Sitzmann, Dictionnaire de biographie des Hommes Célèbres de l’Alsace, 1909
Illustrations
  • Armes des GeroldseckLe siège de Schwanau, guerre bactériologique ?
  • Armes de l’évêque Berthold de Bucheck
  • E. Schweitzer, Illustration du siège de Schwanau, 1894
  • E. Guillaumot, Illustration du trébuchet
  • Gillot, Illustration de la reddition, 18xx
  • E. Schweitzer, toile Schwanau, ~1890

 

Siège de Schwanau, E. Schweitzer

Siège de Schwanau, E. Schweitzer

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P
La même ruse a été utilisée plus tard pour prendre Wasselonne.
Répondre
P
Les idées efficaces sont souvent copiées, Pierre.<br /> Quelle année ce siège de Wasselonne? S'il vous plait?
C
Je reste sans voix, une trouvaille payante d'époque...nous sommes loin des missiles !
Répondre
P
Pardon, cher PIP, de redécouvrir votre question en revenant sur votre site ! Entretemps, j'ai retrouvé mes références. La guerre de Wasselonne se place en 1448. Les détails figurent chez Silbermann, Merckwürdigkeiten, et il s'inspire de Specklin, qui est, je le concède, une source parfois fragile.
P
Simple Recyclage des déchets... en effet, loin des guerres actuelles.