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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Le poêle des Vignerons à Obernai

20 Septembre 2017 , Rédigé par PiP vélodidacte Publié dans #lieu

Une lectrice a eu la gentillesse de nous faire parvenir une reproduction d’une aquarelle en sa possession. Ce document, inédit, vieux de 170 ans, représente l’ancien poêle des Vignerons, aujourd’hui disparu. Le siège de la Corporation des Vignerons était situé sur l’actuelle place du Marché, au coin de l’Hôtel de Ville, à proximité du Kappelturm. C’est l’occasion de vous présenter ce monument et les rares représentations que nous en avons.

Le poêle des Vignerons, Obernai

Le poêle des Vignerons, Obernai

Mais, commençons par dire un mot sur les Corporations d’artisans à Obernai.

La gestion municipale à Obernai avant la Guerre de Trente Ans

Comme Obernai aujourd’hui, Oberehnheim était doté d’un Conseil Municipal. Celui-ci était composé de 15 membres, les Rathsherren. Les Rathsherren choisissaient dans leurs rangs quatre Bourgmestres, élus pour deux ans et renouvelables par deux chaque année. Ainsi, chacun des bourgmestres était le Magistrat de la Ville pendant six mois.
Mais comment les Rathsherren étaient-ils nommés ? Ils étaient désignés par un groupe de grands électeurs, les échevins. Le système est assez compliqué. Il y avait trois types d’échevins.

  • Les échevins des Corporations d’Artisans
  • Les échevins des Quartiers de la Ville
  • Les échevins du faubourg des Capucins et de Bernardswiller

Pour pouvoir participer à l’élection des échevins, il fallait être bourgeois de la Ville. C’est à dire remplir pas mal de conditions : être un homme, avoir payé la taxe des bourgeois et être inscrit dans une des ‘tribus’ d’Obernai et ce depuis cinq ans au moins. Si on était artisan, on votait au sein de sa corporation de métier.
Au début du XVIIème siècle, les corporations étaient au nombre de cinq :

  • Les tonneliers. La ‘Weinleutzunft’ était la corporation la plus puissante, la plus nombreuse. La vigne était la principale richesse de la Ville Impériale. Outre les tonneliers, cette tribu comptait également les serruriers, les menuisiers, les charrons, les maréchaux-ferrants.
  • Les marchands. La ‘Spiegelzunft’ ( corporation du miroir ) regroupait tous les marchands, mais aussi les tailleurs, drapiers et tisserands.
  • Les boulangers. La ‘Beckerzunft’ représentait boulangers et meuniers.
  • Les bouchers formaient la ‘Metzgerzunft’.
  • Les cordonniers et les tanneurs étaient regroupés au sein de la ‘Schuhmacherzunft’.

 

Le poêle des Vignerons à Obernai

Les corporations se réunissaient dans les poêles (Zunftstuben), genre de maison maisons communes. Nous avions donc cinq poêles de corporations et les poêles de quartier. Les poêles des corporations étaient situés sur la place du Marché, à proximité de l’Hôtel de Ville.
Les ‘tribus’ y géraient leurs propres affaires et élisaient leurs représentants auprès de la Ville, les échevins.

Le poêle est le lieu de l’administration de la corporation (ou « tribu » selon l’expression de Strasbourg). C’est le lieu des réunions statutaires ou amicales, celui où les trésors de la tribu sont conservés, archives, étains et tissus. Lieu de convivialité, souvent tenu par un aubergiste ou un ‘bedeau’, les repas, les fêtes s’y tiennent, leur désignation de ‘Trinkstube’ en témoigne.

Thierry Hatt

Pour tous les autres bourgeois, la Ville d’Obernai était divisée en quatre quartiers.

  • Le Grosviertel
  • Le Kleinviertel
  • Le Kirchtorviertel
  • Le Greysztorviertel
Le poêle des Vignerons à Obernai

Chaque quartier géographique correspondait, grosso modo, à une des doubles portes fortifiées de la Ville. Les bourgeois des quartiers élisaient également leurs échevins.
Le faubourg, la ‘Merzgasse’ d’alors, aujourd’hui quartier des Capucins, avait son statu propre et ses édiles dédiés. Il en était de même pour le village de Bernardswiller, alors rattaché à la Ville d’Obernai.
83 échevins, 15 Rathsherren, quatre bourgmestres, un maire.

Remarquons que ce mode scrutin à deux niveaux, limité aux bourgeois, donnait une prééminence importante aux Corporations. La Ville était aux mains des artisans de l’époque.

La corporation des Vignerons.

On le voit, jusqu’en 1635, pas de corporation des Vignerons. Chaque bourgeois possédait quelques pieds de vigne à Obernai, et les viticulteurs de l’époque n’avait pas d’organisation qui leur soit propre, ils étaient répartis alors dans un des quatre quartiers de la Ville suivant le lieu de leur habitation.
Si la Guerre de Trente Ans a profondément marqué l’Alsace, Obernai fut particulièrement touchée. Assiégée et  prise à trois reprises, occupée par les troupes de Mansfeld, puis par les Suédois, la Ville sort ruinée et exsangue du conflit. La population avait fortement décliné. Aussi, le système électoral fut-il réformé. On abandonne la représentation des quartiers pour la remplacer par une sixième corporation, celle des Vignerons. Je vous disais que tous les bourgeois avaient quelques rangées de vignes sur le Mont National, ou ailleurs.
Ce système perdurera jusqu’à la Révolution Française.

 

Emblèmes de vignerons, à Obernai

Emblèmes de vignerons, à Obernai

Le Poêle des Vignerons

Comme les autres corporations, les Vignerons devaient se réunir pour gérer leurs affaires : ils eurent comme les autres métiers leur lieu de réunion, leur poêle. Voici, situé sur le plan du cadastre de 1812, l’emplacement dudit poêle.

Plan selon le cadatstre de 1812

Plan selon le cadatstre de 1812

Il était situé approximativement à l’endroit où se dresse aujourd’hui la Fontaine Sainte Odile, en bordure de place, adossé au poêle des boulangers, tout près de l’ancien hôtel de ville. Il faisait donc face à la Halle aux Blés. Derrière lui, l’église romane, la Kappelkirche, était encore présente, avec notre Kappelturm, le beffroi d’Obernai.
On l’a dit, les Corporations sont dissoutes lors de la Révolution Française ( loi Le Chapelier du 17 juin 1791). Les poêles d’Obernai sont alors vendus comme Biens Nationaux.
On trouve aux Archives Départementales l’acte de vente de notre poêle, daté de 1794. En voici un extrait, publié par J. Braun.

 

" une maison située au quartier rouge, tirant par-devant et des deux côtés sur la rue communal (sic), par derrière sur la maison commune ; le rez-de-chaussée est composé d'un poêle ; qui a servi ci-devant de corps de garde d'une prison, d'un dépôt de grains, et de deux boutiques, le premier étage d'un grand poêle, d'une chambre et d'une cuisine, et le second étage d'un poêle / d'une cuisine et de trois chambres (...).

A.D. Bas-Rhin Q 267

Au début du XIXème siècle, les édiles obernois ont décidé une ‘modernisation’ de la Ville. Le goût n’était plus à l’ancien. En quelques décennies, de nombreux monuments ont été tout simplement rasés. Les portes fortifiées furent arrachées, la vieille église hors les murs a été remplacée par le pompeux édifice néogothique actuel, la chapelle du centre ville a été détruite. Bigre ! Le patrimoine a beaucoup souffert des décisions municipales…
Le centre ville a été ‘réaménagé’ lors des travaux de l’hôtel de ville. Le vieux bâtiment avec ses belles arcades a été remplacé par la mairie actuelle. C’est à l’occasion de ces travaux et d’un ‘plan d’alignement dit "de 1840"’ que le petit pâté de maisons anciennes a été rasé. Le poêle des vignerons, le poêle des boulangers et la petite boucherie auraient heurté la vue, je suppose.
Dans leur engouement pour le ‘neuf’, les élus d’alors ont néanmoins gardé la Halle aux Blés. Ouf !

Images anciennes

Dans l’histoire de sa vie, le potier d’étain Augustin Güntzer, outre un récit passionnant, nous a laissé un dessin, fort naïf, de la place du Marché. Le dessin illustre la tentative de noyade dont Augustin fut la victime en 1604. (Voir l’article détaillé : Tentative de meurtre au pied du Kappelturm !).
Voici ce dessin, le poêle des Vignerons est encadré en rouge. La Halle aux Blés est bien reconnaissable à droite, et l’ancien Hôtel de Ville est situé en haut et à gauche.

 

Dessin d'Augustin, Obernai en 1604

Dessin d'Augustin, Obernai en 1604

La deuxième représentation du poêle est parue en 1841. Il s’agit d’une lithographie de J. Woelfelé, selon un dessin de W.Müller. Rez-de-chaussée de pierre avec colonne, étages à colombages, toitures présentant les mêmes fenestrons que la Halle aux Blés, deux magnifiques oriels. Sans doute Müller a-t-il voulu garder la trace du bel édifice avant qu’il ne soit jeté à terre.

Le poêle des Vignerons à Obernai

Admirons maintenant l’aquarelle de notre lectrice.
Contrairement à W. Müller, l’artiste a représenté l’ensemble du bâtiment. Selon l’angle de vue, il devait être installé à l’étage de la Halle aux Blés.
On note que les toitures ont perdu leurs deux petites pointes en tuiles. Ceci peut surprendre. Le dessin de Müller ne peut être antérieur que de quelques années à l’aquarelle, si celle-ci a été peinte de visu. On ne voit guère de telles transformations sur un bâtiment menacé de destruction. La petite colonne du rez-de-chaussée a également disparu.
J’ai le sentiment que l’aquarelle est plus proche de la réalité, elle semble avoir vraiment été réalisée sur site : personnages, détails, ambiance, couleurs, tout paraît vivant. Bravo l’artiste !
Le dessinateur ou le graveur ont, peut-être, pris quelques libertés artistiques pour réaliser une ‘belle’ lithogravure.

 

Détail de l'aquarelle de Madame Anne des D.

Détail de l'aquarelle de Madame Anne des D.

Quoiqu’il en soit, tous mes remerciements à Anne,
qui m’a donné l’idée et la matière de cet article.
Merci à elle de m’autoriser à montrer à mes lecteurs ce document inédit.
Magnifique témoin d’Obernai autrefois.

Sources
  • Notice des monuments historiques réf IA00023977
  • J. Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
  • J. Braun, les poêles des corporations d’Obernai, 1977
  • Thierry Hatt, Thierry Hatt, Les poêles des Corporations sur le Plan relief de 1725 à Strasbourg, 2003
Illustrations
  • Plan d’Obernai, PiP
  • Armes des corporation d’Obernai
  • Emblèmes des vignerons d’Obernai, photographies PiP
  • Plan de la place, selon le cadastre de 1812, PiP
  • Dessin d’Augustin Güntzer, vers 1650
  • Lithographie de J. Woelfelé, 1841
  • Aquarelle aimablement communiquée par Madame Anne des D.
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C
Intéressant !
Répondre
A
Un grand merci pour votre excellent article. Mais ce poêle à l'origine ne comportait-il pas 4 tourelles à toiture en poivrière car on aperçoit 2 petits bâtons qui dépassent du toit sur l'autre versant et qui pourraient le haut de paratonnerres. Si la lithographie date de 1841, est-ce que le dessin de Muller n'est pas plus ancien que la lithographie ? Grâce à l'ombre, on doit pouvoir trouver l'heure à laquelle cette aquarelle a été peinte.<br /> Cordialement.<br /> <br /> Anne
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