La Tapisserie de Sainte Odile
L’histoire de Sainte Odile, patronne de l’Alsace est bien connue. De nombreux auteurs ont écrit sur le sujet. Peintres, sculpteurs et tout sorte d’artistes lui ont consacré une part de leur œuvre. Une tapisserie ancienne retrace l’ensemble de la vie d’Odile. Le Musée de l’ Œuvre Notre-Dame recèle ce chef d’œuvre.
L’ Abbaye Saint-Étienne a été fondée à Strasbourg au huitième siècle par Adalbert, fils du duc Adalric et frère d’Odile. La première abbesse fut Attale. Deux magnifiques tapisseries de grandes dimensions étaient suspendues les jours de fêtes dans l’église abbatiale. Elles nous racontent les vies d’Attale et d’Odile.
Les blasons des famille de Rathsamhausen zum Stein et de Hewen figurent sur les deux tapis. Il s’agit vraisemblablement des donateurs. En effet, de 1438 à 1460, l’abbesse de Saint-Étienne était Clémentine de Rathsamhausen, et ses parents se nommaient Jérothée de Rathsamhausen et Anne de Hewen. Ils ont probablement offert les deux tapisseries à l’abbaye dirigée par leur fille. A moins que l’abbesse n’ait, elle-même, commandé le travail.
Aujourd’hui présentée en deux tronçons, la tapisserie était à l’origine en une pièce. Quatre mètres trente de long pour une hauteur de quatre-vingt-dix centimètres. Les couleurs sont un peu passées, mais gardent tout leur attrait. Il nous faut la contempler longuement pour lire et comprendre le travail des artistes.
La vie d’Odile est divisée en onze tableaux retraçant ses épisodes les plus marquants. Trois d’entre eux se passent dans la nature sur le Mont-Sainte-Odile. Les autres sont situés entre châteaux d’Adalric et églises.
Pour chaque élément, nous reprendrons en quelques lignes le récit de la vie d’Odile tel qu’il apparaît dans le Manuscrit de Saint-Gall, le texte le plus ancien retraçant cette légende, avant d’ajouter humblement un bref commentaire.
Adalric est duc d’Alsace. Ses soldats ont retrouvé en haut du Mont les ruines des fortifications de ses prédécesseurs et le Duc en a fait sa résidence d’été : Hohenburg. Son épouse Persinda met au monde une petite fille, qui naît aveugle. Adalric pense à faire mourir l’enfant, puis décide de l’éloigner d’Hohenburg.
La Tapisserie nous montre la naissance d’Odile. Bereschwinde (nom ‘germo-francisé’ de Persinda ) est alitée, elle porte sa couronne ducale. Une servante lui présente l’enfant emmailloté. Découvrant la cécité de sa fille, la jeune mère se tord les mains La scène se passe dans une demeure dotée de créneaux. S’agit-il de Hohenburg ou bien de la demeure d’hiver d’Adalric, le Burg, sis à Oberehnheim (Obernai) ?
Odile est élevée tout d’abord, un an, dans un village par une servante. Ensuite, elle grandit dans un monastère nommé Palma. Un évêque bavarois nommé Erhard baptise la petite fille qui recouvre la vue à cette occasion.
Les artistes de Saint-Étienne représentent le baptême dans une église aux baies romanes, surmontées d’une voûte en ogive. Le baptistère est quadrilobé. Odile est encore un tout petit enfant, ce qui peut étonner en ces temps anciens. De nombreuses abbayes ont prétendu être le ‘Palma’ du Manuscrit de Saint-Gall : Moyenmoutier, Etival, Regensburg… La ville la plus couramment citée est Baume-les-Dames, près de Besançon.
Odile grandit simplement et pieusement au sein du Monastère de Palma. Son père Adalric apprend le miracle par l’entremise de l’évêque Erhard. En but à la jalousie des nonnes de Palma, Odile se décide alors à écrire à son frère. Celui-ci, sans prévenir le Duc, lui envoie un char pour son retour à Hohenburg. Lorsqu’ Adalric voit cet équipage monter vers Hohenburg, il demande à son fils qui vient vers eux. Le frère d’Odile s’explique et Adalric, courroucé, le frappe d’un bâton.
La Tapisserie suit scrupuleusement le récit de Saint-Gall. Odile approche dans un char tiré par deux chevaux. Perché sur un éperon rocheux, le duc tient un bâton et le lève sur son fils. Tous deux, comme les trois personnes qui les accompagnent, sont habillés et coiffés à l’instar des nobles de la Renaissance. Ils sont même chaussés de poulaines. Derrière eux, Hohenburg apparaît comme une véritable forteresse : créneaux, herse, tours, donjon carré… On distingue, parmi plusieurs bâtiments, le clocher d’une église.
Le jeune homme meurt des suites de ses blessures. Adalric est affligé des conséquences de son geste de colère. Il fait pénitence, jeûne, puis fréquente et dote les monastères de son duché.
Le Manuscrit de Saint Gall n’en dit guère plus. La Tapisserie nous montre un Adalric éploré, au chevet de son fils mourant. Odile, ou bien est-ce Bereschwinde, prie, mains jointes. Sur cette image encore, nous sommes en présence d’un décor gothique, plus en rapport avec les dates de réalisation de la tapisserie que des faits illustrés. Adalric, en tuant son fils, perdait un héritier. Dans le Manuscrit, aucun prénom n’est cité. La tradition rapporte que le frère s’appelait Hugo. Odile eut trois autres frères : Adalbert, Etto et Batacho, et une sœur Roswinde.
Adalric, repentant, s’attache à sa fille et la confie à une moniale bretonne. Odile s’occupe des pauvres, leur porte de la farine, pour les aider. Emu et contrit de son crime, Adalric décide de lui offrir Hohenburg pour en faire un monastère.
Sur cette partie de la Tapisserie, sont représentées les deux scènes. A gauche, Odile est surprise par le Duc alors qu’elle porte des vivres aux indigents. Le duc, bonhomme, tient sa ceinture à deux mains, effet de sa surprise, peut-être. A droite, Adalric offre Hohenburg à sa fille. Odile, agenouillée, reçoit ce don. Le fond du tableau nous donne une deuxième image de Hohenburg, formidable forteresse. Cette représentation n’est guère représentative des premiers châteaux forts de cette époque mérovingienne.
Peu de temps plus tard, Adalric meurt. Odile, très éprouvée, multiplie les prières.
Adalric est couché sur son lit de mort. Il porte sa couronne. Odile le veille, Bereschwinde se tient à ses côtés. Un jeune homme se penche vers Adalric, peut-être Adalbert, son successeur. La scène se passe dans une chambre d’Hohenburg. La salle est représentée avec un plafond à caissons. La couche du Duc est ornée d’une étonnante couverture à fleurs.
Ce tableau est le plus complexe de la Tapisserie, de nombreuses scènes y sont rassemblées. Toutes se passent sur les flancs du Mont Sainte Odile.
- En bas à gauche, Odile agenouillée implore le Ciel. Un ange, vêtu de rouge, vient libérer l’âme d’Adalric des tourments du purgatoire. Dans le Manuscrit de Saint-Gall, Odile prie en effet à l’extérieur du couvent, mais il n’est pas question d’ange, c’est une voix céleste qui apprend à Odile le salut de son père.
- En haut, au centre, Odile est représentée avec Saint Jean-Baptiste qui lui désigne Hohenburg en plein travaux. Sans doute lui prodigue-t-il des conseils. L’apparition de Jean-Baptiste est présente dans le Manuscrit, où il apparaît à Odile vêtu comme lors du baptême du Christ. Il désigne à Odile l’endroit, où elle doit élever sa chapelle.
- En haut, à droite, les ouvriers transforment le burg d’Adalric en couvent. Un ouvrier semble monter pierre à pierre un nouveau bâtiment, les pierres sont acheminées de la vallée sur un chariot tiré par des bœufs. Celui-ci se renverse. Miracle, l’accident est sans gravité. Cet épisode, dans le Manuscrit de Saint Gall, se rapporte à la construction de la chapelle Saint-Jean-Baptiste. Le chariot tombe dans un précipice de 70 pieds, les bœufs sont indemnes et le chariot reste chargé malgré sa chute !
- En bas, à droite, Niedermunster. Le monastère du bas est représenté dans un cadre bucolique. Odile plante devant l’abbatiale un tilleul. Odile déplore le fait que les malades ne puissent gravir le Mont pour se rendre à Hohenburg, elle décide de fonder un deuxième monastère au pied du Mont dans un endroit où l’eau abonde. Cette histoire est partie intégrante du Manuscrit. C’est alors qu’un homme offre trois rameaux de tilleuls à Odile qui les met en terre à Niedermunster.
En haut, à gauche du panneau, la Ville d’Obernai est cernée de murs. On distingue le Kappelturm, sans son couronnement qui ne sera effectué qu’après le tissage de la Tapisserie. Aussi bien Obernai que Niedermunster sont figurés de façon plutôt réaliste. Peut-être le couvent d’Hohenburg du XVème siècle l’est-il tout autant.
L’ensemble des scènes est présenté dans une nature luxuriante, chênes, frênes, tilleuls où courent un cerf, une biche, des chiens, un mouton et des petits lapins. En bas, un écusson présente les armes de la famille de Hewen.
Selon de Manuscrit de Saint-Gall, Odile sentant sa mort approcher se retire seule dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste. Elle meurt. Ses sœurs sont consternées qu’Odile les ait quittées sans avoir reçu le viatique. Odile est alors rappelée à la vie pour recevoir le sacrement.
Les deux tableaux se situent dans une chapelle à arcades romanes, mais avec une clé de voûte gothique. C’est un ange qui donne la communion à Odile. Les pavements de la chapelle sont riches de couleurs.
Le Manuscrit se termine. Odile est ensevelie dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste, à Hohenburg.
Trois sœurs agenouillées entourent le cercueil, un prêtre lit un livre de prières enluminé, un enfant de chœur porte une croix. Une quatrième sœur est plus richement vêtue, sans doute la nouvelle abbesse : Eugénie, nièce d’Odile et sœur d’Attale. La chapelle est éclairée par trois baies en ogives. Les voûtes sont ornées de riches couleurs. Le cercueil, d’une grande simplicité, rappelle le tombeau toujours en place au Mont-Sainte-Odile.
La Tapisserie de Saint-Étienne suit, pas à pas, la vie d’Odile retracée par le Manuscrit de Saint-Gall. Seuls deux épisodes du Manuscrit n’ont pas été représentés : l’assassinat d’Adalbert et le miracle du Vin. Sans doute ont-ils été considérés comme mineurs dans la vie de la sainte. Par contre, tous les ajouts tardifs à la légende d’Odile comme la fuite en Forêt-Noire ou la source miraculeuse,… n’ont pas été retenus par l’abbesse Clémentine. Sept siècles après la mort d’Odile, le corpus de la légende était bien celui retracé par les moines de Saint-Gall.
Les personnages d’Adalric et d’Odile sont présentés vêtus comme à la Renaissance, vous en aurez une vision sans aucun doute plus réaliste en admirant la stèle romane exposée dans le cloître du Mont. ( cliquez sur le lien )
- ~662 Naissance d’Odile
- ~720 Mort d’Odile
- ~950 Rédaction du Manuscrit de Saint-Gall
- ~1050 Canonisation d’Odile par le pape Léon
- ~1170 Réalisation de la stèle romane du Mont-Sainte-Odile
- ~1425 Réalisation de la Tapisserie de Sainte Odile
- 1521 Histoire de l’Alsace, H. Gebwiler
- 1634 Antiquités de la Vosge, J. Ruyr
- 1699 La vie de Sainte Odile, H. Peltre
- 1751 History von Hohenburg, D. Albrecht
- X.Ohresser, Les tapisseries de l’église Saint-Étienne de Strasbourg,1968
- M.T. Fischer, La Vie de Sainte Odile, 2006
Visitez le Musée de l’ Œuvre Notre-Dame à Strasbourg ! Les salles dédiées à l’art roman sont superbes. Les Tapisseries d’Attale et d’Odile peuvent être approchées et examinées dans tous leurs détails.
Nous consacrerons prochainement un article à la Tapisserie d’Attale.