Ernest de Mansfeld assiège Obernai
La Guerre de Trente Ans ( 1618-1648 ) va modifier le visage de l ‘Europe. D’abord, simple conflit entre les princes allemands, lutte religieuse entre les catholiques et les protestants de l’Empire, la guerre s’étendra avec l’intervention des Habsbourg d’Espagne, puis des Danois, des Suédois, enfin de la France. L’Alsace subira à deux reprises ce conflit qui la concernait si peu. Nous allons traiter aujourd’hui de la chevauchée alsacienne du Comte Ernest de Mansfeld en 1622.
Ernest de Mansfeld est un des nombreux enfants illégitimes d’un gouverneur du Luxembourg et des Pays-Bas. Cet père important portait le titre de prince, et Ernest est élevé à la cour. Légitimé par l’empereur Rodolphe II, Ernest prend le nom de son père, il s’arroge son titre mais n’hérite pas de sa fortune. Le ‘comte’ Ernest de Mansfeld se fera donc homme de guerre et cherchera à asseoir sa position en combattant pour qui voudra bien acheter ses services. Né catholique, il se fait protestant pour s’engager en Bohème au début de la Guerre de Trente Ans. Voici le portrait singulier et peu favorable qu’en fait Villermont.
Ce singulier héros est peut-être, de tous les hommes qui jouèrent un rôle dans la Guerre de Trente Ans celui qui résume le mieux son époque et représente le plus vivement l’esprit inquiet et turbulent les mœurs endurcies et déréglées, les vices et les misères du temps où il vécut. Au physique il était petit, contrefait, et sa bouche en bec de lièvre l’aurait complètement défiguré si des yeux vifs et perçants n’avaient relevé sa physionomie mobile et intelligente. Actif, persévérant, infatigable, brave, hardi jusqu’à la témérité, mais rongé d’ambition, brouillon, cupide, insatiable d’argent et d’honneurs, fourbe, égoïste, cruel, vindicatif, intrigant, sans fois ni loi, capable de tout, Mansfeld fut un véritable type d’aventurier et de révolutionnaire. Le désordre était son élément et sa vie ne fut qu’une longue débauche de guerre. Incomparable comme chef de bandes, il fut comme général au dessous du médiocre….
Bigre ! Les trois dessins à la plume que nous possédons semblent présenter un physique un rien différent, jugez-en par vous même. Le port de la moustache dissimulerai-t-il habilement le bec de lièvre ? Pour la partie morale, Mansfeld était un mercenaire de son temps. Les différentes chroniques décrivent un homme violent et sans scrupules.
Mansfeld a donc commencé sa carrière militaire en Bohème, où a débuté la guerre. Finalement, les Protestants sont vaincus par les Habsbourg, près de Prague. Mansfeld et ses mercenaires sont alors appelés par le Duc de Braunschweig dans le Palatinat. En Alsace, les Villes Impériales ont compris la menace. Dés septembre 1621, elles se sont réunies à Haguenau, sans parvenir à s’organiser. Le Duc d’Autriche est à la fois en charge de l’évêché de Strasbourg et de la province, il n’interviendra pas, trop occupé dans ses propres états. Les Villes ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Wissembourg et Landau sont déjà tombées. Le 6 décembre 1621, Mansfeld entre dans Haguenau et s’y installe. Une tentative devant Saverne se termine par un échec cuisant…
L’année suivante, la campagne en Palatinat commence par une victoire de Mansfeld à Mingolsheim face à Tilly, le 27 avril 1622. Mais les succès sont de courte durée. Les Catholiques se reprennent et Tilly écrase les troupes de Braunschweig à Wimpfen et à Höchst (15 juin), sans que le corps d’armée de Mansfeld soit engagé dans les combats. Les Protestants, sans ressources, abandonnent la lutte pour un temps. Mansfeld est congédié par les princes allemands. Sans engagement, Ernest se retrouve à la tête d’une armée d’aventuriers qu’il ne peut ni payer, ni nourrir. Sa situation n’est plus tenable dans le Palatinat après les succès de Tilly. Il lui faut trouver l’emploi de ses hommes et remplir ses caisses. Sa décision est vite prise, ce sera l’Alsace ! Pas de plan de campagne, pas de but stratégique, juste piller et rançonner pour pouvoir garder ses troupes jusqu’à un nouvel engagement. Vivre sur le pays quelques semaines. Ces semaines seront fatales à Obernai et au Mont-Sainte-Odile.
Obernai est alors une ville opulente. La Kappelkirche vient d’être agrandie (1612), l’église Saints Pierre et Paul également (1616). Notre beffroi, le Kappelturm a été coiffé de ses échauguettes et de son clocher élégant (1596). Le Puits aux six seaux (1579) orne le centre ville. Les poêles des corporations complètent ce tableau de prospérité ainsi les cours dîmières, qui abritent vins, céréales, autres denrées et richesses.
L’ensemble forme une cible attrayante pour Mansfeld et donne bien du souci au Magistrat de la Ville. Abandonnée par Strasbourg et l’Autriche, Obernai se prépare en organisant ses propres forces. Les différents quartiers de la Ville doivent fournir un quota d’hommes en cas d’attaque pour défendre les murs. Ils sont équipés : d’un harnais de fer, d’un casque, d’une pique ou une hallebarde, d’une épée. Certains possèdent un mousquet ou un fusil. La Ville dispose d’une artillerie : des fauconneaux, des pierriers et des pièces de campagne ; nous dit Joseph Gyss.
Mais la meilleure défense reste la double ligne de remparts et le double fossé toujours en eau grâce à l’Ehn. Les entrées sont protégées par quatre doubles portes à deux tours, munies de herses et de ponts-levis au dessus des fossés. Le Faubourg et le Selhof ( quartier de l’église) ne sont cernés que par un seul rempart et un fossé sec. Les tours sont armées soit d’une pièce d’artillerie soit d’arquebuses à crocs. Un chemin de ronde couvert d’un parapet relie toutes les tours. La Ville dispose d’un corps d’arbalétriers et d’un corps d’arquebusiers, régulièrement entraînés.
Le 2 juillet Mansfeld écrit au magistrat d’Obernai. Il s’explique :
‘ Les besoins de notre armée exigent un approvisionnement convenable. Afin de prévenir des dommages inévitables, la ville doit envoyer trente mille miches de pain pendant quatre jours consécutifs et se tenir prête à fournir une contribution pécuniaire de cent mille Reichsthaler. En cas de refus, l’armée viendrait chercher elle-même la somme demandée.’
Le magistrat ne répond pas, que pouvait-il dire ? Le dernier régiment impérial présent dans la Ville, prudent, déserte Obernai le 3 juillet ! Et le lendemain, Mansfeld est devant la Ville. Il installe son camp à Niedernai : dix huit régiments de piétons et cent trente escadrons de cavalerie. Gyss avance le nombre considérable de 40.000 hommes. L’arrivée de l’armée de Mansfeld est soudaine, et profitant de la surprise, Mansfeld peut disposer son artillerie sur plusieurs ouvrages avancés, bastions et redoutes, construits lors de la Guerre des Evêques (1592) et malheureusement délaissés par les Obernois.
A l’appel des cloches, les femmes et les enfants sont consignés dans les maisons. Les hommes des quartiers prennent les armes et montent sur les remparts. Il importe avant tout de sécuriser les quatre portes et les deux 'Swal', ces passages où l’Ehn entre et sort de la Ville. L’effet de surprise n’a pas été total et la Ville résiste derrière ses murs. Alors commence la canonnade et l’envoi de grenades et de boulets rouges. Le siège durera trois jours et trois nuits. Les Obernois occasionnent des pertes sévères aux troupes de Mansfeld, qui continuent de canonner la Ville. Le Magistrat envoie successivement six messagers à l’Archiduc retranché dans Breisach, sans obtenir le moindre renfort. Le jeudi 7 juillet, deux grandes brèches sont ouvertes l’une à la Greisstor et l’autre entre le Swal et la Niedertor. Toute résistance devient inutile. La Ville capitule, accepte de payer les cent mille Reichsthaler et ouvre ses portes à Mansfeld.
Le colonel de Limbach occupe la Ville pendant quatre jours. En plus de la forte somme à payer, Obernai est littéralement pillée par l’occupant : chevaux, denrées, objets de valeurs, vaisselle, vin… Le seul gain de la capitulation fut qu’Obernai échappa à l’incendie et au saccage.
Au départ de Mansfeld, la Ville n’avait pu réunir de 30.000 Thaler. Aussi le ‘Comte’ demande-t-il des otages pour garantir qu’on lui payât son dû ! Le 10 juillet, les mercenaires de Mansfeld quittent la Ville à la tête d’un énorme convoi contenant leur butin, ils emmènent le vieux bourgmestre Etienne Reichardt, le conseiller Michel Gysz et André Fastinger, qui seront d’abord gardés à vue à Haguenau.
Le Magistrat se tourne vers l’Archiduc pour obtenir aide et subsides. Il sera débouté de ses demandes. Strasbourg refusera d’avancer la somme et les otages resteront aux mains de Mansfeld. Lorsque celui –ci délaissera l’Alsace pour entrer en Lorraine, Michel et André réussiront à s’évader. Seul le bourgmestre, très âgé n’aura pas cette opportunité. Etienne Reichardt suivra Mansfeld jusqu’aux Pays-Bas, où il mourra misérablement.
L’action de Mansfeld ne visait pas spécifiquement Obernai, mais seulement à payer et à nourrir ses troupes de mercenaires. Malgré la hauteur exceptionnelle du butin, Mansfeld ne s’en tint pas là et lâcha ses troupes sur les alentours de la Ville.
Rosheim est soumise à rançon à son tour. 25.000 Reichstaler sont exigés par Mansfeld. Au courant des résultats désastreux de la résistance obernoise, les édiles de Rosheim sont prêts à céder. Mais les mercenaires envahissent la ville avant la fin des négociations et mettent Rosheim au pillage. Même cortège de massacres, de pillages, de saccage à Boersch, aux deux Ottrott et à Niedernai.
Laguille décrit en quelques lignes ce mois de juillet 1622.
‘La ville d’Oberehnheim ayant voulu résister, Mansfeld y fit mener du Canon et la contraignit de lui payer cent mille Richedalles pour se racheter du pillage. Andlau et Enheim furent plus maltraitées. Après qu’on les eut pillées, on y mit le feu sous prétexte que les Habitants avaient tenu sur le comte de Mansfeld d’insolents discours. Ceux de Rosheim ayant été accusés de même d’avoir dit que Mansfeld était un bâtard, furent si barbarement punis qu’on les fit tous passer au fil de l’épée, sans distinction d’âge, ni de sexe : on n’épargna pas même les enfants qui étaient au berceau. Et après avoir enlevé tout ce qu’on put de cette misérable ville, on mit le feu partout.
Cibles plus aisées encore que les villages, les couvents ne furent pas épargnés : Andlau et, bien entendu, le Mont-Sainte-Odile.
Voici un extrait de ‘Acta Mansfeldica’, publiée un an après les faits (par le parti catholique).
‘ Mansfeld, en tant que général, a pris les petites villes d’Oberehnheim et de Rosheim. Il les a pillées, livrées aux flammes, et comme tout bon calviniste, c’est à dire mille fois pire qu’un turc, il y fit des ravages. Avec la même courtoisie, il a rendu visite au cloître princier d’Andlau et avec le même attention mesurée, il a renoncé à un pèlerinage sur le Mont-Sainte-Odile. Alors, il a tenté à nouveau de prendre Saverne, mais n’a rien obtenu qu’un bon revers, si bien qu’une seconde fois, il a du se retirer le nez bas’.
L’ ‘Acta Mansfeldica’ nous dit que Mansfeld a renoncé à monter sur le Mont, nous pourrions le comprendre : les couvents sont abandonnés par les nonnes depuis les incendies du siècle précédent, à Hohenburg seuls quelques Prémontrés essaient de rendre vie aux couvents. Les splendeurs du Mont appartiennent au passé. Pourtant, les historiens du Mont-Sainte-Odile, Hugo Peltre et Dionysus Albrecht, plus de cent ans plus tard, nous racontent le passage des soldats de Mansfeld. Que penser ?
Hugo déclare dans sa Vie de Sainte Odile (1719)
‘ car la fureur des hérétiques se déchargea surtout contre la montagne de Sainte Odile, où ils mirent le feu à tous les édifices et les réduisirent en cendre’.
Le prieur de Sainte-Odile ne donne pas plus de détails et consacre la fin de son chapitre au tombeau de Sainte Odile qui aurait été épargné par les reîtres de Mansfeld.
Et voici les quelques lignes de Dionysus, publiées en 1751, liées aux évènements de 1622.
‘Mansfeld, ennemi des ecclésiastiques et des établissements catholiques, a occupé l’Alsace avec son armée ennemie. C’est elle qui mit le feu à la maison de Dieu, nouvellement reconstruite, et a violé la tombe de Sainte Eugénie.’
La campagne alsacienne de Mansfeld se termine aussi rapidement qu’elle a débuté. Nous l’avons dit plus haut. Mansfeld a trouvé un nouvel engagement aux Pays-Bas. Ses troupes participent à la bataille de Fleurus dès le 29 août. Sa campagne dévastatrice n’a duré que quelques semaines. Et Obernai en fut la principale victime.
Les textes traitant de l’épopée de Mansfeld sont fort nombreux. La plupart émane du parti Catholique et trace un portrait à charge du Comte. Le récit de Joseph Gyss, plus mesuré, est de loin le plus complet pour la période juillet 1622. Nous avons tiré l’essentiel de cet article du livre de Joseph, livre vivant, extrêmement bien documenté, précis. Les détails abondent, les péripéties du siège sont retranscrites. Nous recommandons sa lecture aux personnes intéressées.
- Acta Mansfeldica, 1623
- Hugo Peltre, La Vie de Sainte Odile, 1719
- Louis Laguille, Histoire de la Province d’Alsace, 1727
- Dionysus Albrecht, History von Hohenburg, 1751
- Villermont, Ernest de Mansfeldt, 1865
- Joseph Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, Tome II, 1866
- Jean Braun, Les fortifications d’Obernai, SHABDO 1970
- Henri Sauter, la tour du Swal inférieur, 1969
- Louis Laurent-Atthalin, rempart Foch, 1836
- Trois portraits d’Ernest von Mansfeld
- Schéma des remparts, PiP
- Remparts d’Obernai, ElJ et FrP
- Deux créneaux, remparts nord, FrP
- Deux tours remparts nord, FrP
Nous terminerons notre article par un appel pressant à la Mairie d’Obernai.
La mise en valeur du patrimoine de la Ville est une préoccupation de nos édiles. Les remparts ont été mis en valeur à l’entrée à l’Est d’ Obernai. Voici quelques mois, la Tour qui jouxte l’ancienne école de musique a vu sa toiture et ses arcatures lombardes réhabilitées. Parfait. Bravo !
Mais que dire de la Tour située en face de l’Hôpital ? Cette tour carrée a déjà perdu un de ses créneaux. Le deuxième ne tiendra plus bien longtemps si des travaux ne sont pas engagés rapidement.
La tour voisine, proche de l’Espace Athic, est du même type. Elle fut restaurée voici quelques années. Nous vous proposons les photos des deux tours. Elles semblent éloquentes.
Monsieur le Maire, s’il vous plait, sauvez cette tour qui a résisté aux soldats et aux canons de Mansfeld !
Prochainement, un article sur la campagne des Suédois en Alsace. (1632-1636 )
Retrouvez les Remparts d’Obernai et ceux de la Ville de Boersch. ( cliquez sur le lien )