Le Mont Sainte Odile, selon Herrade de Landsberg
Herrade termine l’Hortus Deliciarum par deux planches d’aquarelles qui n’ont pas de rapport direct avec le reste de son ouvrage. Les trois premiers volets racontent la Bible : l’Ancien Testament, le Nouveau Testament et la fin des temps. Cette longue histoire de l’humanité terminée, en conclusion de son œuvre, Herrade décide de nous donner, en deux images, sa vision de Hohenburc, le couvent du Mont Sainte Odile. Nous vous proposons aujourd’hui, une lecture de ces magnifiques aquarelles.
Deux planches pour nous donner la vision de l’abbesse Herrade, c’est bien peu ! Herrade était un esprit ouvert, elle avait une compréhension du monde, une analyse des évènements, une lecture des textes qui, aujourd’hui encore, ne peut que susciter l’admiration. Nous aurions souhaité qu’ Herrade s’exprimât plus longuement sur son temps, sur le monde qui l’entourait. Certes, chacun des dessins de l’Hortus nous en apprend sur l’abbesse de Hohenburg…partout la pensée d’Herrade transparaît. Voyons ces deux dernières images, Herrade ne se dissimule plus derrière les textes anciens, c’est elle qui parle !
Première planche : le Mont Hohenburc
Comme à l’accoutumée, Herrade nous propose une image fort structurée où le Mont Sainte Odile est décrit aussi bien dans sa géographie que par son histoire. En une page, le Mont et son histoire sont retracés.
Dans le tiers supérieur, Herrade nous explique que le Mont est un couvent chrétien, placé sous la protection du Christ, entouré de Marie et de Pierre à sa droite, de Jean le baptiste et Odile à sa gauche.
Dans le deuxième tiers, Herrade nous raconte à gauche de l’image, l’histoire de la fondation du couvent par Odile et son père. A droite, Herrade a tenu à faire figurer l’abbesse Relinde, celle qui l’a précédée, celle qui l’a accueillie, puis formée à Hohenburg.
Le bas de l’image représente la nature sauvage du Mont d’alors.
Le Christ en majesté est entouré de Marie et de Jean-Baptiste. On sait l’importance de ce saint pour Odile : il lui apparaît et lui apporte son aide dans l’édification du premier couvent, où il aura toujours une chapelle. La place du Baptiste dans l’Hortus est importante : toute une série de dessins retrace sa vie. Les murs d’une partie du cloître du Mont portent une reproduction de ces dessins d’Herrade.
A droite du Christ, Saint Pierre regarde le Duc d’Alsace Adalric, qui a déposé son manteau en gage de soumission. Les trois personnages tiennent une baguette dorée que le Christ tient également. Herrade tient a montrer le lien privilégié entre les ducs d’Alsace et l’ Eglise. Derrière Saint Jean Baptiste, Odile baisse respectueusement la tête. Jésus porte une bannière où on peut lire ‘ Vous qui vivez emprisonnés, fatigués, exilés, épuisés de douleur, consumés par la passion sur cette terre triste, cherchez et espérez en moi ! apprenez à me connaître, à m’aimer, m’invoquer. Du haut du ciel, je serai votre lumière, votre repos, votre patrie, votre remède et je vous apporterai la fraîcheur.’
L’élément le plus intéressant de ce premier tableau est, à nos yeux, la représentation d’une vaste église derrière la figure du Christ. Deux hautes tours romanes cernent l’entrée de l’édifice tout de pierre, deux nefs latérales sont représentées. Pas de doute possible, nous avons sous les yeux la seule représentation de l’abbatiale du Mont Sainte Odile du temps d’Herrade ! Il s’agit de l’église reconstruite par l’abbesse Relinde sous l’impulsion de l’empereur Frédéric Barberousse.
Selon la Vita d’Odile rédigée au Xème siècle, Odile reçoit de son père le duc Adalric, le château de Hohenburg situé sur le Mont. Elle a la charge de le transformer en couvent. Herrade ne retient de la longue histoire d’Odile et ses multiples rebondissements que la donation du Mont.
Le duc est assis sur son trône, il est richement vêtu. Adalric remet à sa fille, déjà auréolée, et aux nonnes de la congrégation, une clef, symbole du pouvoir sur le mont Hohenburg qui deviendra le Mont Sainte Odile.
Datant de la même époque que l’Hortus, nous avons à Sainte Odile, une deuxième représentation de cette donation : c’est celle qui figure sur la stèle ouvragée, présentée dans la galerie du cloître. Sur la pierre sculptée, Adalric est également assis sur un trône, mais il porte curieusement de longues tresses. Odile ne reçoit pas une clef mais un livre qui symbolise le titre de propriété du couvent.
Herrade a tenu à marquer l’importance de Relinde dans l’ histoire de Hohenburg. Pendant plus de vingt ans, c’est cette abbesse qui a reconstruit le couvent détruit par Frédéric le Borgne. Choisie , nommée par Frédéric Barberousse pour cette tâche immense, Relinde est également celle qui a formé Herrade et l’a désignée pour lui succéder sur le Mont Sainte Odile. Elle serait à l’origine du projet de l’Hortus Deliciarum.
Relinde est représentée, portant le voile, devant une croix qui porte l’inscription suivante : ‘Relinde à la Congrégation de Hohenburc, o mon cher troupeau, uni sous la loi céleste à l’abri de toute erreur, que celui que l’on nomme montagne de Sion, pont pour rejoindre la patrie, source de tout bien, voie et lumière, te conduis et que sa croix te protège. Le Christ procure la douce rosée, le bonheur sans fin, qu’il te gouverne, cher troupeau, qu’il te prenne en pitié, maintenant et toujours,. Amen’.
Le Mont Sainte Odile sert de cadre à l’ensemble de l’image. Si le sommet porte l’église du couvent, sa base est recouverte d’une forêt d’arbres et d’arbustes, Sans doute, les sapins de la forêt vosgienne et les myrtilles qui en couvrent le sol.
Deuxième planche : la Congrégation du Mont Hohenburc
Certes, Herrade était fière du passé de son couvent. Elle a retracé sur la première aquarelle les lignes importantes de son histoire. Mais son ambition va plus loin, Herrade veut parler du présent, montrer l’importance de la congrégation , et par là même la puissance de son couvent. La deuxième planche est donc consacrée aux membres de la congrégation : toutes les sœurs et les converses sont représentées.. Chacune a son portrait dans l’Hortus, le codex du couvent. Tous les noms sont cités (sauf deux). Herrade nomme chacune de ses sœurs, et pour certaines, de haute lignée, elle ajoute un nom de famille. Guta, la première lui succèdera. Une sœur et une converse sont de la famille d’Andlau. Quarante sept sœurs, et treize converses… Hohenburc savait attirer les vocations !
Herrade est représentée à droite de l’image, on notera qu’elle ne se désigne pas sous le nom de Landsberg, qui lui sera attribué plus tard, mais qu’elle préfère : Herrade de Hohenburg ! Elle porte un encadré où figure le début d’une de ses poésies.
‘Fleurs blanches comme la neige
qui répandez le parfum de vos vertus
en désignant la poussière terrestre
persistez dans la contemplation des choses célestes
ne cessez pas de vous hâter vers le ciel
où vous verrez en face
l’époux caché à vos regards’.
Pour terminer cet article, nous vous proposons le texte latin et une tentative de traduction d’un poème d’Herrade intitulé ‘Rythme du Mont Hohenburg’. Ce poème comme plusieurs autres de l’Hortus était mis en musique par Herrade. Nous en avons la ‘partition’, un rien singulière à nos yeux du XXIème siècle. (se reporter à notre article sur la musique d’Herrade).
Rythmus de Monte Hohenburc
Hoc in monte,
Vivo fonte
Potantur oviculae,
Esum vitae
Sine lite
Congestant apiculae
Nectar clarum
Scripturarum
Potant liberaliter ;
Bibant, bibant
Vivant, vivant,
Omnes aeternaliter.
Vultus harum
Lumen carum
Habent datum coelitus ; .
Reginarum
Hos sanctarum
Credas esse penitus.
Genus tale
Speciale
Genus Christo proximum
Est commune
Tibi une
Fructum portans maximum.
Naevum nescit
Nam ignescit
Celibatus gloria ;
Semper mentem
Gemiscentem
Dat sponsi memoria
Illum spectat
Vix expectat
Ut remoto speculo ;
Bonae spe
Faciei
Contempletur ocula
Coetus iste
Nihil triste
Nihil laevum doleat
Rectitudo
Sanctitudo
Semper hinc redoleat
Aulea dei
Virginei
Chori sunt et thalamus ;
Dicat namque
Sic utrumque
Cito scribens calamus
Verus sponsus
Nunc absconcus
In coeli p alatio
Servet, regat
Has protegeat
Saeculorum spatio.
Ut sodales
Virginales
Vivant sine crimine
Sub Messia
Cum Maria
Virgines cum virgine
Rythmus de Monte Hohenburc
Ici, sur le Mont, de petites brebis s’abreuvent à la fontaine, vive.
Loin des querelles, les petites abeilles collectent les fruits de la vie.
Le plus librement qu’il soit, elles boivent le clair nectar des écritures.
Elles boivent, elles boivent, elles vivent, elles vivent, pour toute l’éternité.
Leurs visages semblent éclairés par une douce lumière venue des cieux.
Tu pourrais les croire entièrement de sainteté royale !
Cette maison, toute particulière, cette maison, proche du Christ, t’est habituelle,
Elle porte un grand nombre de fruits.
Cette maison ne connaît pas le déshonneur puisque toutes ne s’enflamment que par la gloire du célibat. Toujours, le souvenir de leur époux les fait gémir.
Elles le regardent comme dans un lointain miroir, mais elles l’attendent !
Leur œil contemple avec espoir les bienfaits de son visage.
Que cette assemblée ne connaisse, ni la tristesse, ni le malheur !
Mais que par sa droiture, sa sainteté, elle exhale ses parfums !
Ce cœur de vierges représente le palais de Dieu mais aussi une couche nuptiale.
Le fait est que les écrits disent clairement l’une et l’autre chose.
Cet époux véritable aujourd’hui caché dans le palais céleste,
Il les garde, les dirige et les protège dans notre bas monde.
Pour que ces moniales virginales vivent en dehors du péché,
sous le Messie, avec Marie, vierges avec une vierge.
- C.M. Engelhardt, Herrad von Landsperg, 1818
- Hortus Deliciarum, présenté par Auguste Christen, 1990
- Hortus Deliciarum, présenté par Jean-Claude Wey, 2004
- M.T. Fischer, La Vie de Sainte Odile, 2006
- Les dessins de l’ Hortus sont tirés des livres de messieurs Christen et Wey.
- Photographie de la stèle, PiP
- Tapisserie de Sainte Odile, détail, Musée de l'Oeuvre Notre Dame.
Vie de Sainte Odile : La Tapisserie de Sainte Odile
Hortus Deliciarum
- Hortus Deliciarum, l'histoire du manuscrit
- La Musique d'Herrade, dans l' Hortus Deliciarum
- Jean le Baptiste, l' Hortus et le Flabellum de Londres
- Et vingt cinq autres articles