La Parabole du riche et du pauvre Lazare, selon Herrade de Landsberg
La deuxième partie de l’Hortus Deliciarum est consacrée au Nouveau Testament. Herrade y dessine, avec son talent habituel, plusieurs des paraboles utilisées par le Christ pour édifier ses disciples. L’Evangile de Luc nous rapporte l’histoire du mauvais riche et du pauvre Lazare. Herrade nous propose trois planches fort réussies pour illustrer le propos rapporté par Luc.
Un homme était riche. Il s’habillait de pourpre et de lin fin. Il donnait chaque jour des fêtes splendides. Un pauvre nommé Lazare gisait à sa porte, le corps couvert de plaies. Il espérait calmer sa faim avec ce qui tomberait de la table du riche. Les chiens venaient lécher ses plaies.
La première aquarelle d’Herrade nous présente une scène de banquet. L’homme riche est représenté sous les traits d’un roi ou d’un empereur du XIIème siècle. Il porte une couronne. Il est vêtu de rouge selon le texte de Luc. Sa femme et trois amis l’accompagnent dans son repas. La table est ornée d’une nappe et les convives partagent le pain et un plat de poissons. Les mets sont servis dans des coupelles sur pied. Les couteaux présentent des encoches, sans doute pour pouvoir mieux piquer dans les victuailles. La boisson est servie dans un gobelet de bois, cerclé de métal.
A l’entrée, sous un vaste rideau relevé, près de la porte aux ferrures ouvragées, Lazare est juste vêtu d’un pagne, il est assis à terre, le corps couverts de plaies. Deux chiens lèchent les jambes du pauvre mendiant.
Mais voilà que le pauvre meurt. Les anges l’emportent auprès d’Abraham. Le riche meurt aussi et on l’enterre.
L’homme riche meurt dans sa belle demeure, dans son lit. La couche semble posée sur quatre colonnettes ouvragées, et l’homme disposait d’un petit tabouret pour monter dans son lit. A ses pieds, son épouse éplorée croise ses mains sur sa poitrine. Un ami se lamente en se tirant la barbe. Déjà deux diablotins, grimaçants, se saisissent de l’âme du défunt, qui s’échappe de sa bouche. Celui de droite est armé d’une fourche à trois doigts crochus ! Bigre !
Le pauvre Lazare meurt seul, à même la terre, simplement adossé à un rocher. Il semble serein. Deux anges sont penchés sur lui, le premier tient déjà entre ses mains l’âme de Lazare.
Dans les douleurs du séjour des morts, il lève les yeux, et voit au loin Abraham, et, dans ses bras, Lazare.
Il appelle : ‘Père Abraham, aie pitié de moi ! Envoie Lazare, qu'il mouille le bout de son doigt et me rafraîchisse la langue. Cette flamme me torture’.
L’image du Paradis d’Herrade peut surprendre : Lazare est assis sur les genoux d’Abraham, tel un petit enfant. Abraham siège sur un trône magnifique, sous une belle arcade en plein cintre. L’arcade repose sur deux colonnes cylindriques qui semblent de marbre. Les chapiteaux sont sculptés et portent des tours romanes.
L’Enfer est ici réduit à un immense brasier, où l’homme riche pour montrer sa soif, bien compréhensible, désigne sa langue. Herrade respecte le texte de Luc dans le moindre détail. Très réaliste.
( Dans l’ Hortus, Herrade décrit l’Enfer de façon beaucoup plus détaillée. Cliquez sur le lien).
Herrade termine ici son récit de la parabole. Sans doute y trouvait elle une matière suffisante pour éclairer ses moniales. Le texte de Luc se poursuit cependant, voici la fin du récit.
‘Souviens-toi, enfant, que tu as reçu dans ta vie autant de bonnes choses que Lazare en a eu de mauvaises. Mais maintenant, ici, il est consolé, et toi, tu souffres. Entre nous et vous un grand gouffre a été creusé, afin que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous, ou de là vers nous, ne puissent le faire.’, dit Abraham.
‘Alors, je te demande, Père, d'envoyer Lazare dans la maison paternelle avertir mes cinq frères, afin qu'ils ne viennent pas aussi dans ce lieu de supplices.’, dit le riche.
Abraham répondit : ‘Ils ont Moïse et les prophètes ; qu'ils les écoutent !’
Et il dit : ‘Non, père Abraham, mais si quelqu'un venant d’entre les morts, va vers eux, ils se repentiront.’
Et Abraham lui répond : ‘S'ils refusent d’entendre Moïse et les prophètes, alors rien ne les persuadera, pas même quelqu'un qui ressusciterait des morts.’
Abraham explique à l’homme riche que sa conduite arrogante et son opulence égoïste l’ont conduit à sa situation actuelle. IL ajoute qu’ un large gouffre l’empêchera à tout jamais de rejoindre Lazare dans le ‘sein d’Abraham’.
L’homme riche demande alors à Abraham d’envoyer Lazare prévenir ses cinq frères pour qu’ils évitent son sort. Et Abraham refuse, jugeant que l’enseignement de Moïse et des Prophètes est suffisant pour sauver les hommes.
Si cette deuxième partie du texte de Luc n’a pas été dessiné par Herrade, il a été étudié par de nombreux exégètes. Certains pensent que l’homme riche n’est pas en Enfer, mais au Purgatoire… D’autres se demandent qui était cet homme riche, arrogant, qui avait cinq frères. Certains proposent Caïphe qui était devenu pontife en achetant sa charge. Caïphe était le grand prêtre devant lequel Jésus fut conduit après son arrestation et qui le condamna à la peine de mort pour blasphème. (Matthieu, 26, 57).
Herrade n’est pas la seule à avoir traité le thème de cette parabole.
On le retrouve dans un riche codex rédigé entre 1030-1050, dans une abbaye sise au Luxembourg. L’Évangéliaire d'Echternach propose une présentation fort proche des aquarelles d’Herrade.
La similitude est frappante : même nombre d’images, même présentation, même découpage, même symbolique. Herrade était-elle en correspondance avec l’abbé Humbert d’Echternach ? Avait-elle vu cette planche du codex ? Jugez-en par vous même.
Les sculpteurs du moyen âge ont également été inspirés par le texte de Luc.
L’église Saint Pierre de Moissac porte, sur son tympan, une image d’un Lazare, souriant, blotti dans le sein d’Abraham, trônant au Paradis.
A Vézelay, c’est un des nombreux chapiteaux de la nef qui traite le même sujet. Deux anges viennent recueillir l’âme de Lazare mourrant, nu, à même le sol.
Retrouvez nos autres articles dédiés à l’ Hortus Deliciarum,
le manuscrit disparu d’Herrade de Landsberg, abbesse du Mont Sainte Odile.
- La Bible, traduction proposée par Frédéric Boyer, 2001
- Hortus Deliciarum, Herrade dit de Landsberg, reconstitution de Christen,
- Hortus Deliciarum, Jean-Claude Wey, 2004
Les images de l’Hortus ont été mises en couleurs par Madame Tisserant-Maurer. Elles sont extraites du livre de monsieur Christen. Cette version du Codex est en vente à l’abbaye du Mont Sainte Odile.
- La parabole de Lazare, Codex Aureus Epternacensis, Musée germanique de Nuremberg
- Lazare dans le sein d’Abraham, portail de l’église Saint Pierre de Moissac, image Wikipédia
- Lazare emporté par les anges, chapiteau de l’église de Vézelay, photographie de Vassil