Sus ! A l’assaut du Lutzelbourg ! au XVème siècle
Les premières armes à feu font leur apparition au début du XIVème siècle. Les premiers canons sont utilisés en France à la bataille de Crécy (1346) et au siège de Calais(1348). Peu à peu, leur usage se développe, et, en ces temps troublés, nos châteaux d’Ottrott doivent bien s’adapter à ce nouvel art de la guerre. Lorsqu’ils reconstruisent et embellissent le château de Lutzelbourg (~1400), les trois frères Hartmann, Egenolf et Johann de Rathsamhausen décident d’améliorer ses capacités de défense face à ce nouveau danger.
L’apparition des armes à feu change, du tout au tout, l’art de défendre un château. Outre les tirs du canon, les assiégés doivent se défendre des sapeurs, ces artificiers qui viennent creuser le soubassement des murs et y faire exploser des charges de poudre. La meilleure défense est d’adapter le plan du château en créant, devant les murs, de vastes espaces, les lices, et en protégeant le pied du haut-château par de nouvelles murailles, les fausses-braies. Voyez les adaptations du Lutzelbourg sur le schéma suivant.
En rouge, le haut-château médiéval, en bleu ciel les braies et les murs des lices ! Le travail effectué est d’importance : l’enjeu devait être vital. Voyons quel était alors l’accès au château de Lutzelbourg.
Au XVème siècle, les châteaux ne sont pas, comme aujourd’hui, cernés par la forêt. Bien au contraire, un vaste glacis de prés amène les ‘visiteurs’ à se présenter à découvert. Le guet les aperçoit de loin du sommet du donjon. Le chemin muletier qui mène au château partait d’Ottrott et aboutissait au Lutzelbourg au nord-est du château. On en trouve encore la trace dans la forêt.
Note : les chiffres du texte qui suit renvoient à ceux utilisés dans le schéma précédant.
La tour de flanquement et les lices Nord
La pente est rude, et le chemin se termine par un virage brutal qui amène au pied des lices nord (2) sous le feu de la tour de flanquement nord (1). La tour nord était munie de trois archères adaptées aux armes à feu, deux d’entre elles donnent directement sur le dernier virage du sentier. Le mur des lices comportait un chemin de ronde, dont les corbeaux de soutien sont toujours en place. Peut-être était–il porteur de créneaux, ou de hourds, pour le moins.
L’agresseur qui longe les lices est également sous le feu de la tour est du haut-château et de la bretèche du logis nord, située à proximité directe.
La porte de la barbacane
Il ne subsiste que les montants écroulés de cette première porte (3), avec la trace du système de verrous qui assuraient la fermeture de la porte. De part et d’autres, deux archères assuraient la protection. Celle qui est située à l’est est conservée en parfait état : on distingue l’orifice circulaire qui permettait l’usage d’une couleuvrine, ainsi que le système judicieux qui assurait l’assise d’un matériel aussi pesant.
L’intérieur de la barbacane(4) était sous la veille des soldats postés sur les créneaux de la deuxième porte.
La rampe d’accès au haut-château
Suit alors une longue rampe étroite(5) qui mène à la deuxième porte. D’une longueur d’une vingtaine de mètres, enserrée entre deux hauts murs, cet étroit couloir obligeait les assaillants à se présenter un par un, l’un derrière l’autre, devant la deuxième porte. Selon Max Herbig, cette rampe aurait été couverte ! On imagine la situation de l’ homme en tête de colonne, seul, dans une semi obscurité, face aux défenseurs armés d’arbalètes, dissimulés derrières les merlons surplombant la deuxième porte !
La deuxième porte et son pont-levis
Bien conservée, cette porte (6) est fort sophistiquée. Le cadre rectangulaire et les orifices des angles supérieurs prouvent qu’elle était précédée d’un pont-levis, au dessus d’une fosse, aujourd’hui comblée. Une large porte de bois en un seul vantail pivotait sur un axe : la crapaudine est toujours en place, ainsi que le système de verrou à base de poutre. La présence d’une herse est suggérée par T. Biller, mais non avérée. La porte était surmontée par un mur crénelé avec chemin de ronde, accessible de la poterne. Son franchissement devait être un terrible problème !
La porte au pont-levis
La poterne et la porte du haut-château
Cette porte franchie, l’éventuel assaillant se trouvait alors confiné dans une étroite poterne, cernée de hauts murs de toutes parts. L’archère de la tour est, dirigée en plein axe de la poterne, devait se révéler terriblement efficace, lorsqu’il s’agissait de s’attaquer à la porte du haut château ! Cette ultime porte (7), posée dès les origines du château, comporte toujours sa crapaudine, ce gond de pierre du moyen âge. L’arc est de toute beauté ! Cette porte passée, on entrait, enfin, de plein pied dans le logis sud du château… Le Lutzelbourg était pris !
La poterne et la porte du Haut-Château
‘ Man steigt auf Staffeln in einem von zwei Mauern eingeschlossenem Gange, der ehemals gedeckt war, zur ersten Tür empor, die im Stichbogen geschlossen ist.’ nous-dit Max Herbig en 1903 ! La rampe, cernée de deux murs, aurait été couverte. D’autres auteurs, après lui, répètent cette affirmation sans nous en apprendre davantage. Malheureusement Max ne nous en dit pas plus. Vraisemblablement, en 1903, les murs étaient plus élevés, et il devait subsister la trace d’une toiture. Aujourd’hui, nous n’avons plus de trace visible.
La seule représentation ancienne de la montée du Lutzelbourg est le dessin effectué par Louis Laurent-Atthalin en 1836. En voici, fortement grossi, un détail.
Nous sommes un rien surpris, la rampe d’accès était alors cachée par une maisonnette adossée au mur occidental. Au XIXème siècle, une ferme avait été installée au sud du Lutzelbourg. Notre petite maison du Lutzelbourg, aujourd’hui utilisée comme base par l’Association des Amis des Châteaux d’Ottrott, est également représentée sur le dessin de Louis. C’étaient alors les deux bâtiments de la fermette.
La maison adossée à la rampe a aujourd’hui disparu. Il ne subsiste qu’un seul corbeau qui devait supporter une des poutres maîtresse du bâtiment. Le passage souterrain situé sous la rampe devait alors servir de cave à cette maison. Il a été aménagé à cette époque, selon T. Biller.
La porte au pont-levis nous réserve une autre surprise. Examinons le seuil avec attention!
Les maçons du Lutzelbourg, au XVème siècle, ont tenu à solidifier l’assise de la porte. Ils ont utilisé une technique ancienne : les deux pierres à assembler sont creusées par une mortaise en forme de queue d’aronde. Elles sont ensuite réunies par un ‘fer de bêche’, un tenon de fer qui assure l’assemblage. Charles Laurent Salch explique très bien le procédé dans son livre ‘La clef des Châteaux Forts d’Alsace’. Il publie le dessin qu’il avait fait du seuil du Lutzelbourg.
Nos lecteurs auront reconnu le clin d’œil ! Les maçons des Rathsamhausen ont emprunté la technique mémorable que leurs ancêtres avaient utilisés, bien des siècles avant eux, lors de la construction du Mur Païen qui cerne le Mont-Sainte-Odile. Si on retrouve les mortaises sur le mur cyclopéen, les tenons de bois de chêne du Mur Païen ont disparu…
L’entrée monumentale du Lutzelbourg a de tout temps marqué l’esprit des visiteurs. De nombreux artistes l’ont reproduite dans des dessins fort intéressants. Nous en avons choisi trois pour terminer cet article.
Emmanuel Frédéric Imlin, dessin au crayon de la porte du Lutzelbourg,1822
Emmanuel a privilégié la représentation de la frise de faux-machicoulis qui domine la porte au pont-levis, ainsi que l’arc surbaissé et le cadre du pont-levis. Les murs de la rampe étaient alors bien plus élevés qu’aujourd’hui.
Jacques Rothmuller, porte du Lutzelbourg, 1829
Jacques a choisi le même angle qu’Emmanuel et nous propose un dessin plus abouti. Le contrefort de la porte avec ses deux retraits est encore présent. Jacques nous montre, de plus, la partie basse de la porte de la barbacane, encore en place, et l’accès aux lices nord.
Alfred Touchemolin, porte du Lutzelbourg, 1870
Alfred s’est placé sur la rampe d’accès, face à la porte au pont-levis. Les trois arcs de la frise lombarde sont dessinés avec précision, ainsi que la petite niche qui surplombe la porte.
Le mieux est de venir voir par vous-même ! ( se reporter au site www.amchott.fr pour les visites guidées)
- Thomas Biller ; Château de Lutzelbourg, Burgen und Schlösser, 1973
- Bertrand Bilger, Châteaux forts et armes à feu en Alsace,1991
- Charles Laurent Salch, La clef des châteaux forts d’Alsace, 1995
- Joseph-Frédéric Fino, Armes et armées du moyen âge,1995
- Thomas Biller, Die Burgen des Elsass, Tome 3, 1995
- Konrad Kyeser, Bellifortis, ~1380, les premières couleuvrines
- Louis Laurent Atthalin, croquis des châteaux d’Ottrott,1836
- Emmanuel Frédéric Imlin, dessin au crayon de la porte du Lutzelbourg,1822
- Jacques Rothmuller, porte du Lutzelbourg, 1829
- Alfred Touchemolin, porte du Lutzelbourg, 1870
- Schémas de situation, PiP
- Photographies, PiP
Portes du Lutzelbourg
Retrouvez nos articles consacrés aux châteaux d’Ottrott (cliquez sur le lien)