Sainte Odile et les tilleuls
Les moments les plus agréables pour admirer le couvent du Mont Sainte Odile sont les soirées d’automne. La foule est redescendue vers la plaine, et le promeneur solitaire peut à loisir déambuler sur les terrasses, dans le calme et la fraîcheur du soir. Le regard se porte d’abord tout naturellement vers le panorama unique de la plaine d’Alsace et de la Forêt Noire. Lorsqu’il se retourne enfin vers le couvent, les pas de notre rêveur le mèneront immanquablement dans la Cour des Tilleuls.
Lorsque A. Silbermann représente le Mont en l’année 1781, il dessine plus de quarante tilleuls à l’intérieur des murs du couvent. Bigre ! Aujourd’hui les divers bâtiments construits sur le versant nord ont pris la place de nombre de ces arbres. Pourtant, sur les terrasses et dans la cour principale du monastère, plusieurs de ces arbres vénérables dont encore présents. Les années leur ont donné une taille appréciable, le séjour sous la ramure est appréciée.
La Cour des Tilleuls
La prédilection d’Odile pour le tilleul est rapportée par tous les auteurs. Sans doute Odile a-t-elle fait planter les premiers tilleuls sur le Mont. Pourtant, ce n’est pas à Hohenburg qu’est née sa passion pour cet arbre.
A la fin du 7ème siècle, Odile reçoit de son père le duc d’Alsace le château d’Hohenburg et y fonde une première abbaye. Quelques années plus tard, Odile fonde, en contrebas, au pied de la montagne, un deuxième couvent : Niedermunster. Celui-ci est muni d’un hospice qui accueille les pèlerins trop malades ou trop âgés pour gravir le Mont. C’est au moment de la construction de Niedermunster qu’Odile plante les premiers tilleuls. Nous retrouverons cet épisode dans la Vita datée du Xème siècle et conservée au Monastère de Saint Gall.
Cette vie a été traduite par M.T. Fischer. C’est le document le plus complet et le plus digne de foi pour toute personne qui s’intéresse à la vie d’Odile. Il est divisé en 22 chapitres. Celui qui traite des tilleuls est le quinzième. Odile s’occupe alors de la fondation de son deuxième monastère : Niedermunster.
Voici la traduction proposée par Marie-Thérèse Fischer :
« Or il advint, pendant qu’Odile était occupée par cette construction, qu’un homme s’approcha d’elle avec, en main, trois rameaux de tilleul. Il dit ‘ Dame, accepte ces petites branches et plante-les pour qu’elles demeurent ensuite en mémoire de toi’. Elle les accepta et fit creuser trois trous. Sur ces entrefaites, une sœur l’aborda en disant. ‘ Ne plante pas ces rameaux, Dame, parce que de ces arbres là naissent souvent des vers maléfiques ‘. Odile répondit ‘Ne sois pas troublée, car jamais rien de nuisible ne viendra de ces arbres’. Elle prit une branche dans sa main en disant ‘ Je te plante au nom du Père…’. Puis elle saisit la seconde ‘ et toi, au nom du Fils…’ et enfin la troisième ‘ et toi, au nom du Saint-Esprit’. Et on voit encore de nos jours des arbres qui étendent leur ombre sur un vaste espace, offrir aux servantes du christ une fraîcheur au milieu de la chaleur estivale. »
Tout au long de l’histoire, les trois tilleuls, symboles de la Trinité, sont mentionnés à Niedermunster. Tout d’abord dans le manuscrit de Saint Gall ( Xème), puis dans les écrits des historiens d’Odile.
Voici deux lithographies du début du 19ème siècle. On y voit les ruines de l’abbaye de Niedermunster, et les graveurs ont bien pris le soin de dessiner les trois tilleuls de l’abbaye du bas.
Lithographies publiées par Schir et Pfeffinger
Au début du 15ème siècle, Clémentine de Rathsamhausen zum Stein est abbesse de Saint Etienne à Strasbourg. Elle fait tisser deux magnifiques tapisseries qui racontent les légendes d’ Odile et d’ Attale. Ces deux chefs d’œuvre sont exposés au Musée de l’œuvre Notre Dame à Strasbourg. Dans la tapisserie dédiée à Odile, les artistes ont représenté la plantation des trois tilleuls. Voici ce détail.
Odile agenouillée plante le troisième tilleul. Un lapin blanc cerné de muguet assiste à la scène. A droite de cette scène, l’abbaye de Niedermunster est également représentée.
Les armes du petit écusson, ‘ coupé de sable sur or, sable chargé d’une étoile d’argent’, sont celles de Anne de Hewen, mère de Clémentine et épouse de Gérothée de Rathsamhausen zum Stein.
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La plantation des tilleuls actuels dans la cour du couvent du Haut, Hohenburg, est ‘relativement’ récente. Il n’est guère vraisemblable que ces arbres aient plus de 1300 ans. Replantés sans doute par les Prémontrés, ils sont une sorte d’hommage à ces trois premiers arbres plantés par Odile au VIII ème siècle à Niedermunster.
La Communauté de Communes de Rosheim a entrepris cette année de sauver les ruines de Niedermunster. Nous nous réjouissons de cette initiative, fort heureuse, qui va redonner vie et attrait à ce vallon trop longtemps oublié. Souhaitons la mise en valeur des tilleuls qui aujourd’hui encore poussent au nord de l’ancienne abbatiale.
- J. Pfeffinger, Hohenburg oder der Odilien Berg…,1812
- X. Ohresser, Les tapisseries de l’église Saint Etienne de Strasbourg, 1968
- M.-T. Fischer, La vie de Sainte Odile (Xième siècle) et les récits postérieurs, 2006
Le livre de Madame Fischer est un trésor, il fourmille de détails étonnants et d’images peu connues retraçant la vie d’Odile. Agréable et érudit. N’hésitez pas.
- Tapisserie de Sainte Odile, Musée de l’œuvre Notre Dame, ~1425
- Lithographie Niedermunster, N. Schir,1856
- Lithographie Niedermunster, J. Pfeffinger, 1812
- Carte postale de la Cour des Tilleuls, 1905
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