La Carte de la Lorraine de Martin Waldmüller -1513
Gutenberg invente l’imprimerie et publie sa première bible en 1452. Cette invention permet de multiplier les ouvrages, jusqu’alors copiés à la main par les copistes, elle va connaître un grand succès. Dans les années qui suivent, nombres de livres seront publiés et accessibles à un plus grand nombre de lecteurs.
A l’aube de la Renaissance, les écrits des auteurs anciens, latins et grecs, sont imprimés. Nombre de domaines nouveaux sont alors explorés. Nous nous intéressons aujourd’hui à la géographie et plus particulièrement à la première carte de la Lorraine, publiée en 1513.
Entre autres ouvrages grecs anciens, la ‘Cosmographie’ de Ptolémée (~90-~160) connut un certain succès. En effet, les connaissances en géographie à la sortie du moyen âge étaient fort limitées et le livre de Ptolémée, avec ses représentations du monde connu par les Grecs, fit forte impression.
Le duc René II de Lorraine est surtout célèbre pour ses démêlés avec Charles le Téméraire. Après l’annexion du duché par le Téméraire, René s’allie avec les Suisses et participe aux batailles de Granson et de Morat qui virent la déroute des Bourguignons. Après la mort de Charles le Téméraire devant Nancy, René fit édifier la basilique Saint-Nicolas de Port.
René était en outre un homme lettré. Intéressé par Ptolémée, il eut l’idée de faire imprimer la ‘Cosmographie’. Le duc confie ce travail à un proche, Gauthier Lud, chanoine du chapitre de Saint Dié. Gauthier fait imprimer l’ouvrage, intitulé Geographia, à Strasbourg. Le succès est là, et une deuxième édition voit le jour en 1513, réalisée également à Strasbourg, imprimée par Jean Schott. Cette seconde édition est enrichie par vingt cartes ‘modernes’. Nous nous penchons aujourd’hui sur l’une de ces cartes : la Lorraine en 1513, sans doute réalisée à la demande du duc René, initiateur du projet.
Notre carte mesure 26 cm en largeur sur 36 cm de haut. Son auteur Martin Waldmüller l'a ornée de nombreux blasons. La Lorraine du duc René est représentée, cernée de forêts et de montagnes. Il s’agit d’une carte physique : pas de routes, juste les cours d’eau et les villes et villages les plus importants.
Le lecteur peut se trouver désorienté ! En effet, contrairement à nos habitudes d’aujourd’hui, la carte est inversée : le nord est en bas de la carte, et le sud en haut. Prenez quelques minutes pour vous habituer.
Au centre de l’image coule la Moselle. Ses affluents, la Meurthe, la Seille et la Sarre sont représentés, ainsi que des rivières moins connues. On situe aisément Nancy, Metz et Toul.
En bord droit de carte, la Meuse est indiquée avec Saint-Mihiel et Vaucouleurs, Neufchâteau.
Sur l’autre coté, soit à l’est, les Vosges avec la ville de Saverne.
Tout en bas, au confluent de la Moselle et de la Sarre, Trèves.
La carte est divisée en deux parties distinctes. Au sud de la Seille, donc en haut de la carte, vous trouvez le duché de Lorraine du duc René, avec Nancy et Toul. Au nord de la Seille, soit en bas de la carte, c’est le Westrich, intitulé Vastum Regnum sur le document.
Au XVIème siècle, le Westrich est une mosaïque de comtés, baronnies et autres fiefs dépendant des évêchés ou directement du Saint-Empire. Sans unité réelle, ces territoires sont plus ou moins sous la protection du duc de Lorraine, qui cherche à les placer effectivement sous sa juridiction. La carte de Waldmüller, commandée par René, va dans le sens de la politique menée par celui-ci : le rattachement de ces terres au duché de Lorraine.
Cette volonté est soulignée par la présence de deux armoiries en haut de la carte de Martin.
Le blason de droite est celui du duché de Lorraine, appelée Lotharingie.
Celui de gauche porte la mention ‘Vasti Regni Dominati’. Le terme allemand ‘Westrich’ est plaisamment latinisé, je trouve.
Notre Lorraine d’aujourd’hui s’étend beaucoup plus avant vers l’ouest, jusqu’à la Champagne. Le barrois et la région de Verdun font partie de la Lorraine actuelle. Ce n’était alors pas le cas. Depuis la rencontre entre Philippe le Bel et l’empereur Albert près de Vaucouleurs, en 1299, la Meuse est la frontière entre le Royaume de France et le Saint-Empire. Si la Lorraine est alors terre impériale, le Comté de Bar est français.
C’est donc à raison que Martin borde ‘sa’ Lorraine par la Meuse.
Martin connaissait son sujet. La carte semble équilibrée, les rivières bien dessinées, les villes situées correctement. Néanmoins, deux détails peuvent surprendre.
- La Seille semble prendre sa source près de Dieuze dans un immense lac. Bigre ! Je ne connais pas un tel endroit en Lorraine. En fait, après lecture (difficile) du nom, il s’agit de l’étang de Lindre, certes important, mais largement surdimensionné ici. L’étang de Lindre est un endroit resté sauvage, paradis des ornithologues. Bien avant le temps de René II, sur ses rives, Tarquimpol était un important camp romain, Decempagi. (voir notre article : Escapade romaine dans les Vosges)
- Au nord de Toul, Waldmüller a dessiné une véritable montagne, plus haute que les Vosges ! Fichtre ! On déchiffre ‘Apermons’. Il s’agit en fait de la butte de Montsec (377m), proche du village d’Apremont-la-Forêt. Là encore, notre géographe a largement surévalué une simple colline. Aujourd’hui, la butte porte un mémorial américain en souvenir des combats de la Première Guerre Mondiale. Le château fort des sires d’Apermons a laissé la place à une immense rotonde blanche.
L’Alsace n ‘est pas le propos de la carte de Martin. Elle n’apparaît que fort partiellement à gauche du document. Voici un agrandissement des Vosges, entre Alsace et Moselle.
Coté alsacien, on distingue :
- La vallée de la Bruche, avec Schirmeck
- Le val de Villé et Sélestat
- Salm est alors lorraine.
- La mention ‘cita *** mons’ reste obscure. Vue la localisation, on peut penser à Kaysersberg.
- Strasbourg est mentionnée, dans la marge, Argentoratum
Obernai et le Mont Sainte-Odile ne sont pas nommés… alors, pour rester dans le thème général de nos petits articles, nous avons ajouté sur le détail publié ci dessus un triangle bleu qui situe le Mont.
La carte de Martin propose deux séries de blasons.
Commençons par ceux situés sur la droite du document. Il s’agit de la liste des comtés qui formaient le duché de Lorraine.
De haut en bas : Vaudémont, Blâmont, Réchicourt, Salm, Saarwerden, Sarrebruck et Deux Ponts
(Pour plus de lisibilité, nous donnons les noms français actuels)
Sur la carte, ces noms sont en gros caractères de couleur rouge, Réchicourt semble oublié.
Les dix blasons des baronnies sont en bas de la carte de Martin.
De gauche à droite : Parroy, Créhange, Sierck, Apremont, Châtel, Bénestroff, La Petite-Pierre, Boulay, Fénétrange, Bitche.
Leurs noms sont en petits caractères rouges sur la carte.
Terminons par une pâle copie de la carte de Waldmüller. Nous avons omis la partie ‘artistique’ pour ne conserver que les renseignements géographiques : villes et rivières.
Vous retrouverez :
- Nancy, la capitale du duché.
- Metz, Toul et Saint-Dié, les évêchés du duché.
- Et puis les sièges de duchés et de baronnies en rouge. En noir, les noms des villes et villages que nous avons pu déchiffrer.
Impressionnant ! Nous ne pouvons qu’admirer le travail de Martin Waldmüller qui dominait son sujet !
Bravo l’artiste !
- Carte de la Lorraine, Bibliothèque Humaniste de Sélestat,1513
La Bibliothèque Humaniste de Sélestat a rouvert ses portes au public après de longs travaux. Les salles d’exposition sont claires et aérées, les documents bien éclairés, les explications sont fort abordables. De nombreux incunables sont ainsi proposés aux visiteurs. Allez-y !
- Claude Ptolémée, gravure du XVIème siècle, Bibliothèque Nationale
- Buste de René II, photographie Internet, sans références
- René II et ses troupes suisses devant Saint-Dié, Pierre de Blarru, Liber Nanceidos, 1519
- Cosmographie de Ptolémée, Bibliothèque Humaniste de Sélestat, 1513
- L. Naas, Entre Saint-Dié et Strasbourg, un nouveau monde de connaissance, Saisons d’Alsace 79, 2019
- Eisele, La carte ‘Lotharingia-Vastum Regnum’ de 1508-1513- Observations et Réflexions
Le texte de monsieur Albert Eisele est fort complet, très documenté. L’analyse de la situation politique de la Lorraine sous René II et ses liens avec la carte est percutante. Le texte fourmille de détails sur les géographes de Saint-Dié. Vous le trouverez facilement sur Internet.
Cet article est dédié à un ami lorrain qui porte un bien beau prénom.
Pierre a grandi sur les bords de l’étang de Lindre, parmi les oiseaux et les roseaux.
Ami de la nature et des châteaux d’Ottrott, Pierre est un poète de la vie.
Il parle peu et chante Brassens, en grattant sa guitare. Un vrai plaisir.
Salut à toi mon Pierrot !