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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Le Waldbruder de Klingenthal

24 Septembre 2017 , Rédigé par PiP vélodidacte Publié dans #anecdote

En 1928 paraît un petit livre qui nous raconte une histoire bien étonnante. L’auteur est Gustav Lasch qui publiera surtout des ouvrages théologiques. ‘Der Waldbruder von Klingenthal’ est d’un genre bien différent. Dans cette longue nouvelle, Gustav nous raconte la vie d’un médecin de Klingenthal, Philipp Brunner qui sera fera ermite et se retirera dans la forêt vosgienne dans la vallée de l’Ehn. Nous voyagerons en Allemagne avec Philipp, connaîtrons les derniers moments de la monarchie française, les troubles de la Révolution, l’Empire…
Mais s’agit-il simplement d’une nouvelle ? Qui était vraiment le Waldbruder de Klingenthal ?

Le Waldbruder de Klingenthal

La nouvelle de Gustav Lasch

Commençons par un résumé du texte de Gustav Lasch. Nous ne donnerons que les grandes lignes de l’intrigue sans chercher à retracer les descriptions des paysages, ni à rendre les caractères des personnages. Les lecteurs intéressés qui voudront approfondir, se procureront le petit livre de Gustav. On le trouve sur Internet, et c’est écrit en allemand.

Chapitre 1

Nous sommes à Klingenthal en mai 1770 dans le salon meublé Louis XV d’une maison bourgeoise. Madame Reichshoffer, née von Gottesheim,  prend son petit déjeuner avec Lisbeth, sa fille âgée de 12 ans. Madame Reichshoffer est veuve, elle se déplace difficilement. Lisbeth est élancée, blonde, d’elle se dégage aussi bien la grâce que la force : ‘Anmut und Kraft’. Rosine est la domestique, robuste et pleine de bon sens. Le vieux Michel fait office de cocher et de jardinier.
L’éducation de Lisbeth est confiée à l’abbé Becker qui se déplace chez les Reichshoffer pour dispenser ses cours. L’abbé est féru d’histoire. Madame Reichshoffer est la protectrice d’un jeune garçon Philipp Brunner, 13 ans, orphelin de mère et dont le père travaille aux forges de Klingenthal. Philipp profite des leçons de l’abbé à Lisbeth.

Le Waldbruder de Klingenthal

Les leçons terminées, les deux enfants se promènent et jouent dans le parc et la forêt qui jouxtent la demeure. Rives de l’Ehn, rochers, sources et cavernes sont le lieu de leurs jeux. Parfois, ils montent au Heidenkopf, rêvent devant les Châteaux d’Ottrott. Une fois l’an, ils montent avec l’abbé au Couvent du Mont Sainte Odile.
Cette année 1770, les enfants y rencontrent Goethe.
Le chapitre décrit abondamment les lieux où les enfants aiment à se promener. Il se termine par la citation du poète allemand concernant le Mont.

‘Auch auf dieser Höhe wiederholt sich dem Auge das herrliche Elsass, immer dasselbe und immer neu; ebenso
wie man im Amphitheater, man nehme Platz, wo man wolle, das ganze Volk übersieht, nur seine Nachbarn am deutlichsten, so ist es auch hier mit Büschen, Felsen, Hügeln, Wäldern, Feldern, Wiesen und Ortschaften in der Nähe und in der Ferne.’

Goethe, cité par Gustav Lasch

Chapitre 2

Deux années ont passé. L’abbé Becker est devenu curé d’une paroisse éloignée. Lisbeth part vivre à Paris dans sa famille éloignée. Philipp qui souhaite devenir médecin s’inscrit à l’Université en Allemagne.
Encore deux années plus tard, Lisbeth et Philipp sont tous deux en vacances à Klingenthal, ce sont leurs retrouvailles après deux ans de séparation. Lisbeth est devenue une magnifique jeune fille, et Philipp s’éprend de son ancienne camarade de jeu. Après une visite chez les anabaptistes de Vorbruck, Philipp et Lisbeth font une promenade dans leur forêt, près de leur source, de leur caverne. C’est le soir, ils échangent un baiser. Et un serment…

Le Waldbruder de Klingenthal

Madame Reichshoffer organise une soirée en l’honneur du Maréchal de Contades à Klingenthal Lors de la réunion, se souvenant de leurs jeunes années, Madame Reichshoffer propose une joute à l’épée entre Lisbeth et Philipp. Ceci ne doit pas surprendre, nous sommes à deux pas de la Manufactures d’Armes Blanches de Klingenthal, où travaille le père de Philipp, et enfants, les deux amis s’entraînaient ensemble. C’est Lisbeth qui a le dessus et touche Philipp au genou.
Parmi les invités, Jacques de Belleville, jeune homme fortuné, fils de l’Inspecteur de la Manufacture, assiste à la scène. L’élégance et le caractère de Lisbeth le charme. Peu de temps après cette journée, Jacques demande la main de Lisbeth. C’est un beau jeune homme, fort riche, et Madame Reichshoffer accepte.
Désespéré, Philipp repart pour un long voyage d’études en Allemagne, il a perdu Lisbeth.

Epée forgée à Klingenthal, modèle 1765

Epée forgée à Klingenthal, modèle 1765

Chapitre 3

Le chapitre raconte la vie d’étudiant de Philipp en Allemagne. On retrouve l’ambiance des villes universitaires allemandes de la fin du 19ème siècle. Camaraderie, goût pour les jeux, la musique. Un soir, un de ses camarades le plaisante sur une ‘amie’ qui l’attendrait en Alsace et Philipp le provoque en duel. Philipp voyage également en Italie, au Danemark. Ses études terminées, Philipp s’installe comme médecin à Strasbourg. C’est un médecin peu conformiste, très moderne : il soigne par les plantes, par des cures et professe l’hygiène des lieux de vie.
Pendant ce temps, Lisbeth et son mari se sont installés à Paris. Ou plutôt à Versailles, à la cour de Louis XVI et de Marie-Antoinette. 1782, c’est la visite du prince Paul de Russie et de son épouse Dorothée de Montbéliard. Lisbeth assiste à toutes ces fêtes. On croise madame la baronne d’Oberkirch. On s’amuse à Trianon avec la Reine.

Madame la Baronne d'Oberkirch

Madame la Baronne d'Oberkirch

Arrive la Révolution Française. Et le roman devient un rien échevelé. Lisbeth doit abandonner Versailles, puis les Tuileries pour se cacher dans une ruelle près de la rue Saint Jacques dans un modeste appartement. Jacques de Belleville, aristocrate, est arrêté et guillotiné. A Strasbourg, Madame Reichshoffer, menacée, rejoint Klingenthal protégée par Philipp. Philipp envoie la brave Rosine à Paris pour retrouver Lisbeth.
Les Sans-culottes font irruption chez Lisbeth, Rosine s’arme d’un mousquet. La situation semble perdue, mais Philipp arrive in extremis, d’on ne sait où et sauve les deux femmes. Bigre ! Déguisements, sortie de Paris, chevauchée… Philipp dépose Lisbeth à Klingenthal et regagne Strasbourg, où il continue son travail de médecin.
Philipp a cru dans les idées de la Révolution, aujourd’hui il attend la fin de la Terreur et veut faire quelques économies pour aider, un jour, Lisbeth, ruinée par la Révolution.
Un an plus tard, Lisbeth et Philipp font la même promenade au dessus de Klingenthal, leur forêt, leur caverne, leur source. Leurs sentiments n’ont pas changé, ils décident de se marier.
Le couple s’installe dans le Scharlachgasse dans le village, où le docteur ouvre un cabinet. Il mènent une vie calme, pieuse, tournée vers les bonnes œuvres. Ils reçoivent les célébrités du lieu et du moment : le pasteur Oberlin, le docteur Schweighauser. On parle de Goethe, de Schiller. On se passionne pour Rousseau.

Chapitre 4

Après la Révolution, l’Empire. Philipp est fasciné par Bonaparte puis par Napoléon. Philipp est admiratif des nouvelles routes, des monuments, des écoles qui s’ouvrent, des lois adoptées. Il rêve d’une Europe unifiée et en paix. Lisbeth semble plus réservée.
On assiste en 1811, à la soirée de Noël, organisée par Lisbeth pour les pauvres de Klingenthal. Lors de cette soirée, Lisbeth se refroidit. Le gel, la neige ont été particulièrement prégnants cette année là. Les poumons sont touchés et les soins de Philipp et de ses collègues n’y pourront rien. Lisbeth meurt quelques jours plus tard. Elle est enterrée à Klingenthal.

Chapitre 5

Philipp est inconsolable, il ferme son cabinet et s’engage comme médecin dans l’armée napoléonienne. Il est affecté à la Garde Impériale. Sur les traces de son héros, il traverse la Russie. Philipp assiste à l’incendie de Moscou. Il vit également les horreurs de la retraite.

L'incendie de Moscou par Napoléon

L'incendie de Moscou par Napoléon

Lorsqu’il rentre à Klingenthal, c’est un autre homme. Rosine ne le reconnaît pas. Détaché de tout, il consacre ses journées à de longues promenades solitaires. Il s’occupe de botanique, il dispense ses soins à qui le lui demande, il aide. Silencieux.
Lorsque les Alliés envahissent la France pour la dernière campagne, Philipp semble reprendre vie pour rejoindre les insurgés de Nicolas Wolff, le maître de forges de Rothau et participer aux attentats qui retarderont quelques jours l’avancée ennemie. (A ce sujet, lire notre article qui raconte cette anecdote oubliée : cliquez sur le lien)
Cet engagement est le dernier. Philipp rentre à Klingenthal. Il arpente seul les forêts et les lieux de son amour pour Lisbeth. Il décide de se retirer plus encore du monde. Près de la caverne et la source où Lisbeth et lui avaient échangé leur premier baiser.
Voici la traduction des lignes de Gustav Lasch.

‘Il voulait se fait construire une cabane à cet endroit. Elle devait se montrer aimable et confortable, une chambrette, une cuisine avec sa pharmacie, une pièce avec ses livres préférés.
Bientôt, la cabane fut édifiée dans les bois, loin des sentiers fréquentés, sous la protection de hauts sapins, juste un abri pour méditer et faire de la musique. Un peu plus haut, il avait fait poser un banc, la vue s’étendait loin sur les environs. Devant la porte de la maisonnette, se trouvait une pierre couverte de mousse. C’est là que celui qui voulait devenir ermite avait prononcé son serment d’amour’.

G. Lasch, traduction PiP

Philipp Brunner passera les dernières années de sa vie dans cette cabane perdue dans la forêt. Il ne recevait la visite que de quelques villageois qui venaient se faire soigner. A Klingenthal, affectueusement, on  l’appelait le ‘Waldbruder’. Un matin de mai, les habitants de Klingenthal virent que le ‘Waldbruder’ n’avait pas allumé son feu. Pas de fumée au dessus de la petite cabane… Ils sont montés. Philipp Brunner était mort. C’était en l’an 1820.
Ainsi prend fin la nouvelle de Gustav Lasch.

Fiction ou réalité ?

Les habitants de Klingenthal connaissent cette maisonnette perdue dans la forêt. Ils auront reconnu les lieux : le banc isolé avec la vaste vue sur la vallée de l’Ehn, la petite source captée dans la petite grotte à deux pas de la cabane. Le lieu est isolé, les promeneurs y sont rares, le lieu n’est pas porté sur les cartes et les chemins balisés par le Club Vosgien ont respecté le besoin de solitude de Philipp. Il faut connaître ou être guidé pour trouver l’ ‘ermitage’ du Waldbruder.
Nous vous proposons quelques images du Waldbruder.

Le Waldbruder de Klingenthal
Le Waldbruder de Klingenthal
Le Waldbruder de Klingenthal
Le Waldbruder de Klingenthal
Le Waldbruder de Klingenthal

Note : Malgré sa discrétion, la maisonnette du Waldbruder a été vandalisée voici quelques mois. Des individus malveillants ont dévasté les lieux. Nous prions instamment les personnes qui rendent visite à l’ermitage de respecter le travail des bénévoles qui entretiennent si joliment la maison de Philipp Brunner.

La nouvelle de Gustav fourmille de descriptions sur les environs de Klingenthal. Gustav connaissait très bien notre vallée de l’Ehn. Les rebondissements du récit, particulièrement, ceux liés à la Révolution sont plutôt rocambolesques et vraisemblablement imaginés par Gustav. Pourtant la trame du récit se tient et certains détails sont bien réels. Frédéric Wolff, cité dans le texte, fut bien administrateur de la Manufacture de1738 à 1747. Monsieur Reichshoffer a pu être le tuteur de ses enfants comme c’est indiqué dans la nouvelle. Alors où est la limite entre la fiction et la réalité ? Il nous faudrait effectuer des recherches dans les registres communaux de l’époque. Peut-être un des lecteurs de ce site l’a-t-il déjà fait ?
Nous n’avons pas trouvé les sépultures de Lisbeth et Philipp dans le petit cimetière de Klingenthal….

Clin d’œil aux Amis des Châteaux d’Ottrott

De l’ermitage du Waldbruder, on a une vue inhabituelle sur les donjons du Rathsamhausen, situés de l’autre côté de la vallée de l’Ehn.

Les Châteaux d'Ottrott, vus de l'ermitage du Waldbruder
Les Châteaux d'Ottrott, vus de l'ermitage du Waldbruder

Les Châteaux d'Ottrott, vus de l'ermitage du Waldbruder

 

GRAND MERCI à mes amis Odile et Léon qui m’ont prêté le livre de Gustav Lasch.  

Sources
  • Gustav Lasch, der Waldbruder von Klingenthal, 1924
  • E. Gressier, M. Adolf, F. Bronner, La manufacture d’Armes Blanches du Klingenthal, 2015

Nous conseillons la lecture de ces deux livres ainsi que la visite du petit Musée de Klingenthal qui relate l’histoire de la Manufacture d’Armes Blanches. C’est un lieu exceptionnel, allez-y !

Illustrations
  • Photographies des lieux, PiP
  • Les promenades de Lisbeth et Philipp, PiP
  • Epée de Klingenthal, tirée du livre ‘La manufacture d’Armes Blanches du Klingenthal’
  • Madame d’Oberkirch, image Wikipedia
  • L’Incendie de Moscou, image trouvée sur Internet
Dessin qui orne la couverture du livre de Gustav Lasch

Dessin qui orne la couverture du livre de Gustav Lasch

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