Obernai, le Puits aux Six Seaux
Deuxième moitié du XVIème siècle, l’Alsace connaît une période de calme. Vite oublié le soulèvement des Paysans de 1525, les Villes de la Décapole vivent leurs heures de prospérité et de richesse. Opulentes, elles investissent, elles construisent, elles s’embellissent. Obernai couronnera le turm en 1597 et quelques années plus tard dotera l’Hôtel de Ville de son balcon ouvragé. En 1579, la Ville d’Obernai s’orne du Puits aux Six Seaux.
La margelle de grès, circulaire, est surmontée par un baldaquin octogonal recouvert de cuivre et porté par trois fines colonnes sculptées.
Style Renaissance, légèreté, proportions idéales, décor magnifique, le Puits d’Obernai est vraiment exceptionnel.
Les comptes de la Ville nous donne les noms des artisans qui ont réalisé cette merveille.
- Architecte :Henri Ottmann
- Sculpteur :Conrad Miller
- Maître serrurier : Jacques Erwängern
- Peintre : Gaspar Gyssen
- Chaudronnier : Jean-Baptiste Kugler
La mention d’un peintre peut surprendre l’observateur actuel. Sachez cependant que l’élégante voûte en étoile qui couvre le Puits était ornée de peintures, encore visibles vers 1900. (cf . Forrer, der Odilenberg)
La margelle est sculptée de caissons et de fleurs. L’architrave porte des masques ainsi que trois cartouches portant des extraits de l’Evangile. Le toit de cuivre est orné de deux gargouilles et d’une girouette à son sommet. Celle-ci porte la date de réalisation de l’édifice 1579.
Face à l’Hôtel de Ville, un ange de pierre sonne de la trompette. A ses pieds, un écusson porte l’aigle impériale, symbole de la Ville d’Obernai.
Côté sud et sur la face située rue Gyss, vous pouvez déchiffrer :
JHESUS sprach zum Samaritischen Weib, Wann du erkantest die Gab Gottes und wer der ist der zur dir sagt : gib mir trinken, du batest in und er gab dir lebendiges Wasser.
JHESUS antwurt zu den heydenschen weib, wer dises Waszers trinkt den wird wider dursten, wer aber das Waszer trünken würd das Ich im geb, der wurt Ewiglich nich mehr dursten.
Il s’agit de versets tirés de l’Évangile de Jean. Quoi de plus naturel que ce choix de la rencontre de Jésus et de la Samaritaine auprès d’un puits ? Jésus quitte la Judée et traverse la Samarie pour rejoindre la Galilée. A Sychar, Jésus s’arrête près du puits de Jacob et demande à une femme de lui donner de l’eau. Celle-ci refuse tout d’abord.
‘Si tu connaissais ce que Dieu donne, répond Jésus à la Samaritaine, et celui qui te demande à boire, c’est toi qui demanderais et il te donnerait de l’eau vive. (Jean, IV, 10)’
‘Qui boit de cette eau aura encore soif, dit Jésus, mais qui boit de la mienne n’aura plus soif, jamais, car l’eau que je verse est une source d’où jaillit la vie sans fin. (Jean, IV, 13,14)’
Nota : le texte ci-dessus n’est pas la traduction littérale des cartouches, mais celui des versets correspondants de la Bible, éditions Bayard 2001.
Côté Nord, la troisième maxime dit ceci :
JHESUS aber sprach : Ich bin das Brott des lebens wer Zu mir kümbt der würt nicht hungern und wer an mich glaubt der würt nimmer mehr dürten.
Toujours tiré de Jean, ce texte vient un peu plus loin dans l’Evangile. Jésus a rejoint la Galilée, il est entré dans Jérusalem, puis s’est rendu au Lac de Tibériade, où il multiplie pains et poissons pour nourrir les disciples.
‘Je suis le pain qui fait vivre, dit Jésus. Qui me rejoint n’aura plus faim, qui s’en remet à moi, n’aura plus soif, jamais. (Jean VI, 35)’
Le croyant n’aura plus jamais soif… mais la Ville fait creuser un puits,... on ne sait jamais. Un puits pour quelques brebis égarées, peut-être ? Nos anciens avaient une certaine forme d’humour et d’irrévérence. Nous leur en saurons toujours gré.
Le 2 novembre 1970, à midi, le chauffeur d’un camion immatriculé dans l’Aube cherche désespérément sa route dans Obernai. Il descend de son véhicule pour héler un passant… les freins lâchent, le camion recule et percute le Puits aux Six Seaux ! Sous le poids, la margelle se disloque et s’effondre ! Quatre cents ans après son érection, le Puits n’est plus! Voyez sur la photo d’époque l’ampleur du désastre !
Les Obernois et leur municipalité décident rapidement la reconstruction à l’identique de leur Puits. Le chantier est dirigé par Bertrand Monnet, architecte des Monuments Historiques. Démontage, étude, appels d’offres, travaux, il faudra deux ans, avant de retrouver le ‘Sechseimerbrunnen’! Selon les comptes municipaux, la restauration a coûté 163.345,71 francs ! Bien investis !
Si de nouvelles colonnes ont du être taillées, les chapiteaux et les cartouches sont ceux d’origine. La charpente a été réparée. Le toit de cuivre a été débosselé et remis en place, ainsi que les gargouilles.
Par contre, l’ange qui claironne n’est plus qu’une copie de la statue d’origine, déjà fort érodée avant l’accident.
- Lithographie J.Cades, 1883 (ou 1888)
- Photographies des détails du puits, François Parsy
- Photo prise du haut du Kappelturm, PiP
- Photographie d’archives du puits détruit. SHABDO 1973
- Les signes lapidaires du puits, relevé, PiP
Dans notre article dédié à l’Hôtel de Ville d’Obernai, vous trouvez un dessin de Louis Laurent-Atthalin, où vous pouvez également admirer le Puits.
- X. Ohresser, Le puits à six seaux d’Obernai, 1952
- L. Maurer, La restauration du puits à six seaux, 1973