Les cadrans solaires de Sainte Odile
Sur les terrasses du Mont-Sainte-Odile, près des vieux tilleuls, dominant la plaine d’Alsace se dresse un curieux édicule. Forme improbable, tout de grès, le petit monument attire le regard des curieux. Il s’agit d’un cadran solaire, ou plutôt d’une série de cadrans. Etonnant !
Posée sur deux marches, une colonne ronde, puis un socle cubique. Sur le socle, un piédouche élégant porte un polyèdre régulier à vingt-six faces. Toujours plus haut, un deuxième piédouche inversé porte une sphère. L’ensemble est fin et harmonieux.
Le regard est attiré par les petits cadrans solaires qui ornent les vingt-quatre faces utiles du polyèdre. Une plaque de cuivre, une lame qui crée l’ombre sur un faisceau de lignes… chaque cadran correspond à une région du monde. Le visiteur curieux pourra lire l’heure en vingt-quatre lieux !
Nous avons relevé pour vous ces sites privilégiés :
- Sur la face Nord Ouest : Canterbury, Mexique, et Chypre
- Sur la face Ouest : Madrid, Paris, Saint Jacques de Compostelle
- Au Sud-Ouest :Sorrente (Suisse), Ninive (Assyrie) et Vienne
- Au Sud : Cadran Antique, Notre cadran Alsace-France et Constantinople
- Face Sud-Est :Assyrie, Italie et Congo
- Face Est : Alexandrie, Babylone, Chaldée
- Nord-Est :Antioche, Inde, Japon
- Nord : Ethiopie, France Occidentale, Jérusalem
( Nota : les lieux sont cités de haut en bas pour chacune des huit directions du gnomon)
Des pays lointains…Mexique, Assyrie, Inde, Japon et Congo (sic !).
Des sites chrétiens… Jérusalem, Saint Jacques, Canterbury, la Chaldée. (Rome n’est pas citée)
Des villes mythiques… Antioche, Alexandrie, Ninive, Babylone.
Et tout naturellement, sur la face la plus exposée et en plein centre : « Notre cadran Alsace- France ! »
Ouvrez grands vos yeux, faites le tour du gnomon, admirez l’ensemble !
Pour comprendre l’origine de ces cadrans, il nous faut nous pencher sur les armoiries qui ornent le monument. Le socle porte quatre blasons.
- Le premier est le plus facile à identifier : ‘de sable à deux tours d'argent’. Ce sont les armes de l’abbaye de Neubourg.
- Le second représente un bras armé d’un coutelas, le tout sortant d’un nuage. Le blason est surmonté d’une mitre et de deux crosses d’évêque. Ce sont les armes de Jean Vireau, abbé de Neubourg de 1693 à 1715.
- Le troisième nous montre un lion couronné d’une couronne. Il s’agit des armes des comtes de Lutzelbourg : ‘d'azur au lion d'or’.
- Le dernier blason présente une bande de losanges. Il est surmonté d’une simple crosse. Peut-être celle d’un prieur. Nous n’en savons pas plus. Si un lecteur a une idée…
Tous les éléments identifiés nous ramènent à l’abbaye cistercienne de Neubourg ! Neubourg était une abbaye puissante et fort ancienne, située à l’ouest d’Haguenau. Créée au douzième siècle par le comte Renaud de Lutzelbourg, sous Frédéric le Borgne, la fondation était d’importance.
Un cinquième blason orne le piédouche inférieur. Il s’agit des armes de Jean-François Specht, originaire de Kienzheim et abbé de Neubourg de 1760 à 1779.
Le gnomon fut créé à Neubourg, vraisemblablement à la demande de l’abbé Jean-François Specht à la fin du XVIIIème siècle. Les armes de l’abbé seraient alors comme une signature. Il tronaît au centre du potager de l’abbaye. Dans son article, comme ‘créateur’, Friedrich propose Don Dreux, le dernier abbé de Neubourg, sans apporter d’élément déterminant. De fait, Dreux fut un abbé ‘français’, un abbé ‘absent’, qui préférait Paris et la Cour à son abbaye. On le voit mal s’intéresser à Neubourg pour autre chose que ses fermages et autres prébendes. Il était surnommé ‘Hühnerfresser’, le voleur de poules, par les habitants de Neubourg !
De l’Abbaye de Neubourg ne nous reste que peu de chose, un élégant portail et quelques souvenirs éparpillés. La Révolution Française fut fatale à l’abbaye des comtes de Lutzelbourg. Pillés dés 1793 par les soldats de Pichegru, les bâtiments et l’abbatiale furent vendus comme biens nationaux et systématiquement démantelés.
Le gnomon fut oublié, puis transporté en 1856 dans la cour du Séminaire Saint Thomas, à Strasbourg. Il ne fut monté au Mont-Sainte-Odile qu’en 1935, comme en témoigne l’inscription gravée sur la colonne.
Sur le monument, l’observateur consciencieux peut également lire :
Aspicis Umbra Fugas nostras ut Temperet Horas
Tu vois comme l’ombre en fuyant règle les heures
Umbras umbra regit.
Pulvit et umbra sumus.
L’ombre commande aux ombres.
Nous ne sommes que poussière et ombre.
La sphère sommitale du gnomon porte, gravés, les noms des différents vents.
Jean-François Specht n’est pas le concepteur de nos cadrans solaires. L’abbé s’est inspiré de travaux plus anciens. Voyez plutôt cette merveille !
Elle est due à Michel Coignet (1549-1623). Michel était un ingénieur natif d’Anvers, mathématicien, et fabricant d’instruments scientifiques. Contemporain de Mercator, de Kepler, Michel Coignet entretenait une correspondance avec Galilée et les savants de son époque.
Les cadrans solaires sont situés sur les 24 faces utiles d’un ‘petit rhombicuboctaèdre’ avec huit faces triangulaires et dix-huit faces carrées. On appelle également cette figure le ‘solide d’Archimède’.
Le modèle de Michel Coignet était transportable. Pour lire les heures correctement, il fallait l’orienter. A cet effet, la face sommitale est pourvue d’une boussole. Ce chef d’œuvre est actuellement exposé à Paris dans la galerie Delalande (Louvre des Antiquaires).
Il existerait une pièce analogue au British Museum à Londres.
Voilà donc une création vieille de 250 ans. Sans mécanisme, sans piles, sans autre énergie que le soleil, elle vous donne l’heure dans vingt quatre lieux du monde ! Plus fort que vos smartphones et autres tablettes ! Plus écologique que n’importe quel appareil d’aujourd’hui ! Plus respectueux de l’environnement ! Plus silencieux aussi ! D’une plastique incomparable, un véritable bijou !
L’abbé de Neubourg avait du goût et du talent ! Jean-François devait admirer son œuvre et il pouvait lire l’heure !…. enfin, soyons juste, seulement dans la journée et seulement les jours, où le soleil brillait dans son potager de Neubourg.
(Presque tous les jours, hasarderons-nous..... Comme aujourd’hui ! Plein soleil sur le Mont ! )
- L’abbaye bernardine de Neubourg, V.Walther, 1868
- Die Zisterzienser im Elsass, P.M.S. Friedrich, Almanach de Sainte Odile, 1949
- Les cadrans solaires anciens d’Alsace, R. Rohr, 1971
- Les 24 horloges solaires du Mont Saint Odile, A. Roth, 2006
- Photographies LiD et FrP
- Plan de l’abbaye de Neubourg avec emplacement initial du gnomon, PiP
- Cadrans de M. Coignet, photo trouvée sur Internet
Pour les passionnés de cadrans solaires qui veulent en savoir plus sur le monument du Mont Sainte Odile, nous conseillons la lecture d'un site fort bien fait et des plus interessants.