Le portail de Conques et l’ Enfer de l’Hortus Deliciarum
Nous avons consacré dernièrement un article à l’Enfer, tel que l’abbesse de Hohenburg, Herrade de Landsberg, le présentait à ses moniales du Mont-Sainte-Odile dans l’Hortus Deliciarum, ce magnifique codex du XIIème siècle. Aujourd’hui nous tentons un parallèle avec une œuvre toute aussi singulière : le tympan roman du portail de l’abbaye de Conques en Aveyron.
L’abbaye est fort ancienne, et une chartre de Louis le Pieux datée de 819 serait le premier texte qui parle de Conques. En 866, les reliques de Sainte Foy sont translatées à Conques, et la fondation prend son nom actuel. La magnifique église romane que nous connaissons est construite entre 1040 et 1060 sous la direction de l’abbé Odolric. La sculpture du tympan de l’église s’est vraisemblablement étalée sur l’ensemble du siècle suivant. Lorsqu’on fait face au portail, la partie droite du tympan est consacrée à l’Enfer. En voici une vue d’ensemble !
Au moyen âge, le tympan était peint avec de fortes couleurs polychromes aujourd’hui, il ne subsiste que juste quelques traces… Les dimensions du portail sont impressionnantes et rarement égalées. Mais c’est surtout le style très particulier des sculptures qui retient l’attention. Très éloigné du style de Vézelay ou d’Autun en Bourgogne, de Beaulieu en Languedoc, Conques tient une place à part dans la sculpture romane.
Lucifer occupe le centre de l’Enfer de Conques. Lucifer trône, enchaîné, au plus profond de l’Enfer d’Herrade. Observez cependant les deux représentations. Même rictus, même chevelure, position analogue. N’est-ce pas étonnant ?
Sur le dessin de l’Hortus, les tourments infligés aux damnés le sont par une foule de démons à la chevelure dressée sur la tête et des rictus figés. Regardez le Diable qui garde l’entrée monstrueuse de l’Enfer à Conques ! La ressemblance est frappante !
Certains pêchés sont traités dans les deux œuvres sont qu’on puisse rapprocher les styles, mais seulement les thèmes étudiés.
Les amants adultères, soumis aux flammes de l'enfer.
Les beaux parleurs porteurs de faux discours, à qui on arrache la langue dans les deux œuvres.
Les soldats en armure, mis à bas et torturés à leur tour.
Les moines incroyants, plus attachés à l’argent, qu’ à la religion.
La question est alors posée. Quel rapport entre les deux abbayes distantes de plus de huit cents kilomètres ? Nous trouvons peut-être un indice à Sélestat. En 1094, Hildegarde d’Eguisheim fonde à Sélestat un prieuré dédié à Sainte–Foy. La légende de Foy était connue en Alsace. Un an plus tard, les trois fils d’Hildegarde, les premiers Hohenstaufen alsaciens, dotent ‘royalement’ Sainte-Foy de Sélestat. Frédéric est duc de Souabe. Otton est évêque de Strasbourg. Louis, comte palatin. Suite à l’assassinat du dernier Eguisheim, l’évêque Otton est suspecté et même excommunié. Poussés par leur mère, les trois frères feront le pèlerinage de Conques. Nous sommes alors vers l’an 1100. Les princes pèlerins découvrent la magnifique église de l’abbé Odolric. Mais les sculptures du tympan ne sont pas encore en place. Toujours est-il qu’entre les Hohenstaufen et Conques, du fait d’Hildegarde, les liens sont tissés.
Les Hohenstaufen n’accéderont à la couronne impériale qu’en 1155 : Conrad III, petit fils de la ‘Dame de Sélestat’ est alors élu empereur.
C’est sous le règne suivant, celui de Frédéric Barberousse, qu’Herrade, abbesse du Mont-Sainte-Odile, rédige et dessine l’Hortus Deliciarum. Les sculpteurs de Conques sont alors à l’œuvre et le tympan prend forme. Herrade a-t-elle eu sous les yeux les dessins des artistes de Conques ? Nous vous laisserons juger par vous même.
A Conques, le croisillon nord est orné d’une belle représentation de l’Annonciation. Comparez avec le dessin d’Herrade dans l’Hortus Deliciarum ! Quel artiste a inspiré son contemporain ?
Comme Odile, Foy guérit les aveugles. Il existe à Conques, comme sur le Mont une source miraculeuse, où les pèlerins viennent se baigner les yeux. Les miracles attestés sont nombreux !
Foy est également priée par les prisonniers. Elle intercède pour leur libération. Autrefois, au retour de leur captivité, les libérés venaient accrocher leurs chaînes aux murs de l’abbaye. Celles-ci furent fondues et on en fit les grilles du chœur de l’édifice actuel. Sur le Mont-Sainte-Odile, c’est à Niedermunster que les prisonniers venaient déposer leurs ‘menottes, chaînes, et autres monumenes’, nous dit Hugo Peltre. D’où la légende du pèlerinage de Richard Cœur de Lion sur le Mont.
Ces deux lieux, Conques et Hohenburg, sont plus proches que ne semble dire la carte présentée ci dessus.
- G. Gaillard, Rouergue Roman, 1974
- J-C. Wey, Hortus Deliciarum, 2004
- S. Braun, Alsace Romane, 2010
- Montages comparatifs,
Conques-Hortus, PiP - Carte de situation avec la frontière France-Empire sous Frédéric Barberousse, PiP
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codex de l'abbesse Herrade de Landsberg. ( cliquez sur le lien )