Dans le clocher de Rosheim
L’ Eglise Saints-Pierre-et-Paul de Rosheim est une merveille, sa statuaire est unique, nous l’avons déjà souligné. Mais avez-vous remarqué que l’horloge du clocher ne comporte qu’une seule aiguille ?
Ornée d’un soleil et d’un croissant de lune, elle décompte heures et minutes sur un large et simple cadran doré. Tous les quarts d’heure sont rythmés au son des trois cloches. Partons à la découverte du clocher de Rosheim !
L'accès au clocher
A l’angle sud-est de l’édifice, à la base du chevet, une petite porte surmontée d’une date ‘1712’ donne l’accès au clocher de l’église. Escalier en hélice aux marches usées, une première pièce toute de grès rose, un petit escalier de bois, nous voici dans le clocher lui-même. Deuxième escalier à vis, plus étroit, plus abrupt, une corde a été tendue pour sécuriser l’accès. Nous voilà tout en haut.
Sous une belle charpente, les trois cloches de Rosheim. Comme dans de nombreuses églises de France, les premières cloches ont été fondues lors des multiples conflits. En 1843, trois nouvelles cloches avaient été mises en place par l’atelier Kress de Colmar. Lors de la guerre de 1914-1918, les deux plus petites furent déposées et seul le bourdon est encore en place. C’est peut-être la difficulté de démontage qui a fait reculer les allemands, ou alors les édiles ont su négocier pour garder une cloche. Le bourdon est vraiment très important, on se demande même comment il a pu être hissé et mis en place dans le clocher. Il porte de nom de Suzanne et sonne en Do.
Les deux cloches attenantes, Marie et Odile, sonnent en Mi et en Sol. Elle furent fondues par l’atelier Paccard à Annecy-le-Vieux et mises en place en 1921.
Les cloches de Rosheim
Toutes trois sont munies de battants pour sonner à la volée, mais c’est une mécanique qui actionne les marteaux pour rythmer le temps qui passe à Rosheim.
Marie et Odile sont frappées pour les quarts et demis, Suzanne pour les heures.
Lorsque vous grimpez en haut du Kappelturm à Obernai, la vue porte loin, très loin. Nez au vent ou au soleil, vous pouvez détailler les alentours, nommer les ruines vosgiennes, Landsberg, Rathsamhausen, Guirbaden, Truttenhausen. Le clocher de Rosheim est un espace clos, les baies romanes sont pourvues de claires-voies afin d’empêcher les oiseaux de nidifier dans le clocher. Cette mesure, certes nécessaire, ne nous permet pas de vous proposer des images inhabituelles des acrotères ou des marmousets de Rosheim : on ne les voit pas, là-haut. Néanmoins, entre les claies, la vue sur la ville, les portes fortifiées et les remparts, reste superbe. Voici quelques photos. Saurez-vous reconnaître les différentes portes de la Ville des Hohenstaufen ?
Vues du haut du clocher
Jean Baptiste Schwilgué est l’horloger le plus connu d’Alsace. Nous lui devons l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg. Né le 18/12/1776 à Strasbourg, orphelin de mère à six ans, bricoleur dés son jeune âge, Jean-Baptiste a connu la Révolution Française. Jean-Baptiste se marie à 20 ans, il ne fait pas longues études. Père de huit enfants, il étudie la nuit les livres de mathématiques. Autodidacte, Schwilgué devient vérificateur des poids et mesures à Sélestat au moment où la Révolution introduit le système métrique ! Il se voit confier la restauration de l’horloge de Strasbourg et mettra quatre ans à réaliser cette prouesse.
Sa société d’horlogerie se spécialise alors dans les horloges des monuments publics. Plus de 500 édifices selon certaines sources verront leur fronton décoré d’une ‘Schilgué’. Aujourd’hui, seules quelques unes restent en fonctionnement. C’est le cas de l’horloge de Rosheim. Entretenue et surveillée par un amateur passionné, c’est la machine inaugurée en 1843 par Schwilgué qui donne l’heure à Rosheim. Une merveille de mécanique et de précision !
Sélestat, Saverne, Lauterbourg, Baldenheim, Gunstett, Walburg, Artolsheim, Bischwihr, Lembach, Huttenheim, Freiburg, Grendelbruch, Illkirch, le jacquemart de Benfeld, le ‘Stubenkansel’…la liste serait longue.
Arrêtons nous cependant à trois réalisations toutes proches du Mont-Sainte-Odile.
- Les cloches du Kappelturm d’Obernai étaient également sonnées par une horloge Schwilgué. Le mécanisme est toujours en place dans les étages du Kappelturm, mais , à l’arrêt, il a été remplacé par une horloge électrique. Obernai fut réalisé en 1841, peu avant Rosheim. Les mécanismes sont analogues, les visuels similaires. Curieusement, à Rosheim, la gestion des minutes est au gauche du balancier, celui des heures à droite. Et à Obernai, la disposition est inversée. Pourquoi ?
- L’église Sainte-Aurélie de Bischoffsheim possédait également une horloge Schwilgué (1844). Le mécanisme a été déposé et est exposé à la mairie du village.
- A la chapelle Sainte-Marguerite d’Epfig, une petite horloge actionnait l’unique cloche du lieu. Le mécanisme est toujours dans la chapelle. La plaque de cuivre fait apparaître le nom de ‘Ungerer’. Les frères Ungerer ont travaillé avec Schwilgué et ont pris sa succession.
Le clocher de Rosheim n’est accessible au public que lors des Journées du Patrimoine. La visite est ‘einmalig’, allez-y ! Profitez-en pour visiter Rosheim, cité impériale des Hohenstaufen.
Remerciements à Monsieur Muller qui m’a fait découvrir ce lieu. Merci à lui de maintenir en marche l’horloge de Schwilgué et de savoir si bien la raconter. Sa lecture, si fine, si personnelle de la statuaire de Rosheim est des plus intéressantes.
Si vous avez la chance que ce soit Monsieur Muller qui vous fasse visiter le clocher de l’église Saints-Pierre-et-Paul, je suis persuadé que lui vous dira comment on a monté et mis en place la grosse cloche. Moi, j’ai promis de ne rien dire ! Pourtant…c’est particulier. J'ai escaladé bien des clochers, mais je n’ai jamais vu çà ailleurs !
La première horloge de Strasbourg avait été installée sous l’évêque Jean de Lichtenberg en 1354. Elle comportait déjà astrolabe et mouvement des planètes. Et, bien sûr, le fameux coq qui chantait déjà chaque midi.
La deuxième horloge fut réalisée sous la Renaissance par Conrad Dasypodius. 1571-1574, quatre ans de travaux, c’était pour l’époque un sommet de technicité. 1020 étoiles réparties dans 48 constellations, fêtes mobiles, années bissextiles, éclipses… Déjà, les quatre âges de la vie rythmaient les quarts d’heures. Le Christ et la Mort les heures. Bien entendu, le coq était présent.
Lorsqu’il était enfant, Jean-Baptiste habitait Strasbourg. Il visitait chaque semaine la cathédrale et était fasciné par cette horloge magnifique mais immobile.
Voici l’anecdote de ces visites, telle que la raconte Charles, son fils, qui devint horloger, comme papa.
Les dimanches, mon père ne manquait jamais, vers l’heure de midi, de se rendre à la cathédrale pour y contempler l’œuvre de Dasypodius, bien qu’elle fût devenue inactive. C’était également le moment choisi, par le suisse, pour donner aux curieux étrangers qui se pressaient aux abords du monument, une sorte d’explication à sa manière, toujours suivie de petites rémunérations, que recevait le cicérone, en récompense de l’érudition dont il avait cherché à faire preuve. Il terminait habituellement le discours invariable qu’il prononçait à cette occasion par cette légende du pays que raconte, dans la crainte que Habrecht – celui qui avait exécuté le mécanisme qui faisait chanter le coq – ne fut tenté d’aller porter ailleurs son ingénieuse invention, les magistrats de la ville lui avaient fait crever les yeux.
« Pour se venger de cette noire ingratitude, disait-il, Habrecht brisa le moteur principal de l’horloge, et depuis personne n’ayant pu rétablir, l’horloge ne marche plus ! »
Un jour que le suisse venait comme à l’ordinaire de prononcer ces mots, une voix juvénile partit du groupe des assistants en s’écriant : « Et bien, moi, je la ferai marcher ! »
Cette voie était celle de mon père qui avait assisté à l’explication du suisse.
Ce dernier, surpris de l’exclamation qui s’était fait entendre, se retourna pour savoir lequel de ses auditeurs avait prononcé ces paroles, qu’il jugeait au moins imprudentes, lorsqu’il aperçut mon père qui, les yeux fixés sur l’horloge et l’air inspiré semblait obéir à une volonté surnaturelle : « Mon petit ami ! lui dit-il d’un ton doctoral, vous feriez mieux d’aller à l’école, que de manifester une telle prétention. – Monsieur, lui répondit mon père, en étendant le bras comme pour faire un serment, je jure ici devant Dieu qui m’entend, qu’avec le secours de sa divine protection, je ferai marcher cette horloge et chanter le coq ».
Et mon père avait quitté le transept, en laissant les assistants étonnés de ce qu’ils venaient d’entendre.
A plus de cinquante ans de là, le vœu qu’il avait exprimé et la promesse u’il avait faire à Dieu, alors qu’il n’était qu’un enfant se trouvait réalisé.
Frédérick Schützenberger, maire de Strasbourg, a fait une déclaration analogue dans un discours daté du 31/12/1842.
Jean-Baptiste, devenu grand, réalisa le chef d’œuvre que nous connaissons. 5000 étoiles sont représentées dans 110 constellations, le modèle de la Renaissance a été considérablement enrichi. Charles Schwilgué nous dit qu’il faut attendre 25.804 ans pour que l’horloge fasse le cycle complet de sa programmation. Allez la contempler ! Et puis, si vous passez un peu avant midi, attendez un instant, le coq chantera !
Sources
- C. Schwilgué, Description abrégée de l’horloge astronomique de Strasbourg, 1854
- C. Schwilgué, Notice sur la vie, les travaux et les ouvrages de mon père J.B. Schwilgué, 1857
Ton horloge, ô Schwilgué ! fruit d’un labeur savant,
Des astres dans leur cours retrace l’harmonie.
L’homme, en face des cieux, reconnaît son néant,
Mais ton œuvre immortel atteste son génie.
Poème de Paul Lehr.
- Photographies du clocher de Rosheim, PiP
- L’ horloge astronomique de Strasbourg, Ch. Schwilgué, 1854
- Mécanisme de l’horloge de la chapelle d’Epfig, PiP
Les mots soulignés en bleu dans l’article permettent de lire nos autres articles dédiés à Rosheim.
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- La Guerre des Caves
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- Dietrich de Bern combat un dragon à Andlau et à Rosheim