Escapade à Moyenmoutier, sur les traces de Sainte Odile
Nouvelle escapade cycliste de l’été, outre Vosges, cette fois. Partis de Villé, passés par quelques cols, nous voilà dans le val du Rabodeau, cette vallée peuplée d’abbayes qui remontent aux rois mérovingiens. Les Vosges lorraines sont magnifiques et si calmes.
Personne !
Et pourtant que de trésors architecturaux, et même, vous n’allez pas le croire, les traces de Sainte Odile.
Au bon temps des rois fainéants, le christianisme s’étend sur la forêt des Vosges. Venus d’Irlande comme Arbogast ou Florent, issus de Bavière comme Hidulphe, les prêtres, les ermites semblent se plaire dans nos forêts. Et ils y rencontrent le succès. En quelques années, les abbayes vont fleurir dans toute la région. Penchons plus particulièrement sur les Vosges, versant lorrain.
- ~640 - Gandelbert fonde l’abbaye de Senones
- ~660 - L’évêque Bodon fonde l’abbaye d’Etival
- ~660 - Le même évêque fonde Bonmoutier, abbaye disparue qui était située sur la commune de Val et Châtillon
- ~670 - Fondation de l’abbaye de Saint Dié par Déodat
Si bien, que lorsque l’évêque de Trèves Hidulphe voudra se retirer du monde, il créera son établissement au croisement des chemins qui relient les quatre abbayes de ses prédécesseurs. Cette humble retraite deviendra une abbaye florissante, l’abbaye du milieu : Moyenmoutier.
Hidulphe était un prêtre bavarois, issu de noble famille. Il devint évêque de Trèves
Cette ‘retraite’ sera un rien différente de ce qu’avait imaginé Hidulphe. Sa simplicité, sa renommée sont telles qu’à sa mort, la communauté de Moyenmoutier comptera déjà plus de trois cent membres ! Du vivant d’Hidulphe, si on en croit les historiens anciens, plusieurs établissements secondaires sont déjà créés non loin de l’abbaye. (on en dénombre huit).
Au fil des siècles, Moyenmoutier gagnera encore en ampleur, pour preuve, voici une image des bâtiments lors de leur splendeur, sous Don Belhomme au XVIIIème siècle.
Mais venons-en au sujet de cet article. Notre Sainte Odile aurait recouvré la vue et été baptisée à Moyenmoutier. Bigre ! Voyons d’où nous vient cette assertion !
Voici le passage de la Vie de Saint Hidulphe qui raconte cet événement : le frère d’Hidulphe, Erhard, est alors en visite chez son frère à Moyenmoutier.
Alors la fille du duc Etichon qui était née aveugle fut présentée à ces hommes de Dieu, pour qu’ils soient pris de pitié pour celle qui jusqu ‘à présent était restée une païenne et qu’ils lui enseignent le catéchisme afin que, par la prière, ils demandent la clémence de Dieu pour le salut de cette jeune fille. Alors, éduquée dans la foi catholique, Saint Hidulphe la baptisa, et Saint Erhard l’accueillit des fonts baptismaux, d’esprit et de corps, et lui donna le nom d’Odile.
Cet extrait provient de la première Vie d’Hidulphe proposée par Don Belhomme. Ce texte aurait été écrit par le moine Valcandus peu après l’an mil. On retrouve un passage analogue dans la troisième vita d’Hidulphe, la seconde ne dit mot à ce sujet.
Cette version des faits a toujours été défendue par les moines de Moyenmoutier. Le monastère de Palma, évoqué dans le Manuscrit de Saint-Gall, premier document sur la vie d’Odile, serait Balma, un des établissements secondaires de Moyenmoutier situé sur la rive droite du Rabodeau, derrière Haute Pierre, à la Malfosse.
Curieusement, la Vita d’ Hidulphe n’en dit pas plus….. Pas question de l’enfance d’Odile, de son arrivée à Moyenmoutier, de sa vie là-bas, de son départ. D’autres passages de la vie d’Hidulphe sont décrits avec plus de détails. Le lecteur reste surpris par ces quelques lignes, isolées dans un texte plus disert. Il peut penser à un ajout tardif.
Quoiqu’il en soit, après la mort d’Hidulphe, lorsque les religieux voudront honorer leur saint, ils lui feront confectionner un cercueil orné de plaques d’argent sculptées qui retracent cet épisode de sa vie. Le relevé de ces plaques se trouve dans le livre de Don Belhomme. Johan de Bayon (livre II, Ch. 96) et Richer de Senones (Livre I , Ch. 15 ) mentionnent ce cercueil et son décor. Sur les plaques d’argent, on peut voir Odile, jeune fille, baptisée par deux hommes d’église, Hidulphe et Ehrard.
Malheureusement, en l’an 1618, le tombeau d’Hidulphe fut ‘rénové’ pour s’adapter au style de l’immense nef baroque que nous pouvons voir aujourd’hui à Moyenmoutier. Voici ce que nous dit Don Humbert Belhomme.
En 1618, la chasse de Saint Hidulphe a été rénovée ainsi que les plaques d’argent, mais celles-ci furent démontées et mutilées pour obtenir la forme de la nouvelle œuvre. De ce fait, il s’ensuivit que ces images très anciennes ont disparu. Ce que nous ne pouvons rapporter et supporter qu’avec une grande peine.
Le responsable de cette ‘modernisation’ est vraisemblablement le soixante et unième abbé de Moyenmoutier, un dénommé Fransciscus. Honte à lui !
Si la proximité avec l’Alsace et Obernai semble un élément qui parle en faveur de Moyenmoutier, il faut bien dire que nous n’en voyons pas beaucoup d’autres….
Que nous dit le manuscrit de Saint-Gall? Qu’Odile est recueillie et cachée au couvent de Palma. Mais Moyenmoutier est un couvent réservé aux hommes, alors que Baume est bien une abbaye de nonnes. Le manuscrit de Saint-Gall nous explique qu’Odile fut baptisée par un évêque bavarois nommé Erhard. Et qu’après le baptême, Erhard l’a confiée aux religieuses…. Mais le manuscrit ne mentionne pas Hidulphe. Si le baptême avait lieu à Moyenmoutier, ne serait-ce pas le cas ?
Enfin, le texte de Saint-Gall raconte la vie d’Odile à Palma, ses lectures, ses prières. On ne trouve rien de tel dans les textes de Moyenmoutier qui n’abordent qu’ en quelques lignes, le récit du baptême. Troublant.
Selon le moine de Moyenmoutier Valcandus, Erhard et Hidulphe sont deux frères, Erhard est évêque de Ratisbonne, en visite à Moyenmoutier, chez son frère. C’est crédible, mais ceci semble bien le seul point positif du récit de Valcandus.
L’explication doit se trouver dans la lutte entre les abbayes dans le but d’attirer pèlerins et aumônes. Vers l’an mil, la renommée d’Odile et de celle de ses couvents d’Hohenbourg et de Niedermunster sont telles que tous veulent être liés à la patronne de l’Alsace. Outre Moyenmoutier et Baume-les-Dames, d’autres lieux se disputent alors la gloire d’être Palma. Toute proche de Moyenmoutier, Etival est aussi candidate, mais sans argument réel. Ratisbonne en Bavière, où Erhard était évêque, a également un temps prétendu être le lieu du baptême d’Odile.
Les historiens d’aujourd’hui penchent pour Baume-les-Dames. Mais sans vraiment donner d’argument décisif. Alors, même troublés, pas totalement convaincus, pourquoi pas Moyenmoutier ?
Pour découvrir les trois abbayes du val du Rabodeau, rien de plus agréable que le vélo ! Le département a créé une voie verte qui court le long de la petite rivière sous les arbres, dans la forêt. Profitez-en ! Calme et nature, parcours facile, piste en excellent état. En quelques coups de pédales, vous voilà au pays d’ Hidulphe !
- Senones
Senones comme Moyenmoutier a été désertée par les moines lors de la Révolution. Par la suite, les terres et bâtiments des deux abbayes ont été longtemps le siège d’industries textiles, aujourd’hui les deux municipalités font des efforts considérables pour réhabiliter les deux immenses friches industrielles. Les résultats sont des plus encourageants.
De la première abbaye de Gandelbert subsiste le clocher roman de l’église abbatiale. Le parc offre de belles perspectives sur les bâtiments baroques de l’époque de Don Calmet, historien de la Lorraine et abbé de Senones.
- Moyenmoutier
Nous l’avons dit, le catafalque roman d’Hidulphe a malheureusement été fondu.
Pourtant l’église baroque qui a succédé à l’édifice roman garde trace du passage supposé d’Odile à Moyenmoutier.
Les stalles sculptées du XVIIème siècle sont magnifiques : dans le transept, le baptême d’Odile est représenté, entre deux cariatides.
On reconnaît les deux frères, évêques, qui officient. Au dessus du reliquaire de Saint Hidulphe, un tableau retrace le même événement.
- Etival – Clairefontaine
Abbaye d' Etival
Un peu plus bas dans la vallée, proche du confluent avec la Meurthe, l’abbaye d’Etival a gardé plus de souvenirs de son époque romane. L’édifice de grés a été remanié à la période gothique, mais la nef garde la beauté et la légèreté des chefs d’œuvres des architectes romans.
Les Prémontrés d’Etival avait été choisis par Herrade de Landsberg pour créer le prieuré de Saint-Gorgon proche du Mont-Sainte-Odile. L’abbaye a dépendu, un temps, d’Andlau et de Sainte Richarde. Un magnifique tableau peint en 1625 par Charles Bassot orne la chapelle Sainte Richarde. Il représente Richarde marchant sur les braises lors de son ‘Jugement de Dieu’. Débordant de vie, empli de détails réalistes, fort en couleurs, ce tableau à lui seul mérite le voyage. (Prochainement sur ce site, un article sur la vie de Richarde.)
- Richer de Senones, Chronique, 1250
- Jean Ruyr, Antiquitéz de le Vosge, 1625
- Don Belhomme, Historia Mediani Monasterii in Vosago, 1727
- Don Calmet, Histoire de la Lorraine, Vol. 1, 1728
- M.T. Fischer, La vie de Sainte Odile, 2006
- Schéma des abbayes de la Vosge, PiP
- Plan de Moyenmoutier, issu du livre de Don Belhomme
- Dessins du catafalque de saint Hidulphe, issus du livre de Don Belhomme
- Photos des abbayes, PiP
- Les stalles de Moyenmoutier, PiP
- C. Bassot, Sainte Richarde à Etival, 1625
Les lecteurs intéressés peuvent se reporter à l'étude des Tapisseries de Sainte Odile, ils verront que les versions du baptême d'Odile sont nombreuses.