L’impératrice Richarde, soumise au Jugement de Dieu
Une impératrice marchant sur des charbons ardents pour prouver sa fidélité envers son époux, le fait n’est pas banal. C’est pourtant l’histoire qui se serait déroulée au IXième siècle, du temps de Charles VI le Gros, en son palais de Kirchheim. L’empereur veut répudier son épouse pour cause d’adultère, Richarde propose de prouver sa fidélité et sa virginité par l’épreuve du feu.
Charles et Richarde convolent en justes noces en 862. Le jeune homme est un des fils de l’empereur Louis le Germanique. Richarde est une princesse alsacienne, fille du comte de Nordgau Erchangier. Elle descend donc du duc Adalric, le père de Sainte Odile. Ses parents sont inhumés à Hohenburg.
A la mort de Louis en 876, l’empire est partagé entre ses fils, et Charles obtient l’Alsace, le Brisgau et la Souabe.
Les débuts du jeune couple semblent se dérouler sous de bons auspices. L’an 880 voit deux faits marquants. Suite à la mort de son frère Carloman, Charles hérite de l’Italie. Charles et Richarde se rendent alors à Rome, où Charles est couronné empereur par le Pape Jean VIII. La même année, Richarde, femme très pieuse, fonde sur ses propres terres, le couvent d’Andlau.
La légende du choix du site dans le val d’Eléon est bien connue. Elle fut, maintes fois, racontée. Nous vous proposons la version de Jean Ruyr, chanoine de Saint Dié, écrite en 1634.
‘Et comme elle était en peine pour le choix d’un lieu convenable, une vision lui survint en sommeil, qu’elle choisit la place même, où elle trouverait un Ours qui lui marquerait l’endroit assuré. Elle croit, se dispose en chemin et parvenue au territoire destiné, un Ours lui apparaît fossoyant la terre à force de pieds et d’ongles, sans s’étonner du bruit des personnes étant à la suite de cette Dame. Laquelle à ce moyen satisfaite, ne voulut choisir autre place : y jeta les premiers fondements d’une église, que l’on dit aujourd’hui Souterraine, au milieu de laquelle se voit le trou fossoyé par l’Ours.’
Richarde est le plus souvent représentée accompagnée d’un ours. L’église ‘Souterraine’ du bon chanoine est la crypte de l’abbatiale d’Andlau. Au centre de la crypte romane, le ‘ trou’ est bien présent, aux pieds d’un ours de pierre.
Année 881, tout semble se passer pour le mieux entre les époux. Charles accorde à son épouse l’abbaye d’Etival, puis les revenus d’un couvent sis à Pavie, de deux abbayes en Suisse à Seckingue et Zurich. Autres successions avantageuses pour Charles qui se retrouve bientôt à la tête de tout l’empire du grand Charlemagne !
Las, il ne semble pas que Charles ait eu l’envergure nécessaire pour diriger un tel empire. Ses droits sont mis en cause par Hugues le Bâtard, les Normands remontent la Seine et menacent Paris. La politique de Charles est erratique, manque de constance. Atermoiements, signatures de traités vite dénoncés, assassinat de Godefroy, le roi des Normands, enlèvement d’Hugues à qui Charles fait crever les yeux. Malgré quelques victoires, le renom de Charles et l’espoir que son avènement avait fait naître sont vite oubliés. Charles se retire en Alsace à Sélestat, puis à Kirchheim. Malade, aigri, il laisse le soin de son gouvernement à ses ministres, et surtout au premier d’entre eux l’évêque Luitward. Luitward est un évêque italien, il a suivi Charles et Richarde à leur retour de Rome. Il est rapidement devenu le conseiller le plus proche du couple.
Plusieurs années après leur mariage, Richarde et Charles n’ont pas d’enfant. Charles se doit d’avoir un héritier, il se décide donc à adopter le jeune Louis, fils du roi Boson de Provence en 887. Ce choix semble être le nœud du drame qui va éclater. Un conseiller italien, un héritier provençal, un roi à la santé chancelante et versatile, c’en est trop pour les princes germaniques. Ainsi naîtra le complot contre les tenants de cette politique : Richarde et son ami Luitward. L’attaque sera des plus classiques, on ira rapporter au roi malade que Richarde et Luitward sont amants ! Et Charles le croira ! Voici le récit de notre ami Jean Ruyr.
‘Il eut de son temps beaucoup de guerres en diverses parties de sa Couronne, usant par tout de l’avis et du conseil de Luitward, évêque de Vercelles, au moyen duquel ses desseins lui succédèrent heureusement. Jusqu’à ce qu’étant retourné en Allemagne, Charles va concevoir une opinion de perfidie (encor que fausse) en la personne de Luitward, pour l’avoir vu discourir familièrement avec l’Impératrice Richarde, les accusant d’adultère. Si que sans autre information, il prescrit l’évêque et répudie sa très digne Epouse.
Laquelle iceluy fait représenter devant lui en pleine assemblée de sa Noblesse, affirmant n’avoir jamais eu compagnie charnelle avec elle, encor qu’il eut épousée douze ans auparavant. Elle alors se levant modestement pour sa justification, proteste que non seulement elle n’avait eu copulation charnelle avec lui son mari, mais encore n’était elle impolluée de l’attouchement de tous les autres. Rendant grâce à la divine providence de lui avoir si heureusement conservé sa virginité. Et que s’il agréait à sa Majesté elle offrait courageusement et d’assurance la preuve au jugement de Dieu tout puissant ; non toutefois selon le prescrit de Moïse rapporté par Philo Juif au Livre des Lois Spéciales, mais par combat de corps à corps, ou bien à l’épreuve d’une lame de fer ardent à la façon des anciens…’
Le chanoine de Saint Dié nous en apprend de belles… non seulement Richarde et Charles n’ont pas d’enfant après douze ans de mariage, mais le mariage n’a pas même été consommé. Bigre ! Richarde était certes très pieuse, Charles était bien malade… une conjugaison des deux causes explique sans doute le résultat.
Nous ne nous prononcerons pas sur les liens qui pouvaient unir Richarde et Luitward, improbables certes mais possibles, à tel point que Charles VI y a cru. Charles fait donc renvoyer l’évêque dans son diocèse italien et fait paraître son épouse en vue de la répudier devant l’assemblée des nobles et des évêques du royaume. Vous en conviendrez avec moi, on a connu des cocus plus discrets.
Devant le tribunal de Kirchheim, Richarde accusée par son époux, nie et demande le jugement de Dieu ! Jean Ruyr nous précise qu’il ne s’agit pas de la version proposée par Moïse. Il fait là allusion à un passage de la Bible (Nombre, Chapitre 5), les passionnés peuvent s’y reporter. Le ‘jugement’ consiste selon Ruyr, soit en un combat singulier où Richarde serait représentée par un chevalier de son choix, soit à la prise en main, par l’accusée, d’un fer porté au rouge !
Voici la description de cette épreuve par l’ Abbé Grandidier :
‘ Une manière de se justifier de ces temps-là était de toucher un fer qu’on faisait plus ou moins rougir selon la violence des présomptions. Il était béni et gardé soigneusement dans des églises Privilégiées, qui en retiraient quelque profit, car toutes n’avaient pas ce droit aussi utile qu’honorable. Ce fer était un gantelet dans lequel on mettait la main ou une barre rougie que l’accusé soulevait deux ou trois fois. On plaçait la main dans un sac sur lequel on apposait les sceaux qu’on levait trois jours après. S’il n’y paraissait aucune brûlure, il était renvoyé absous ; s’il y demeurait quelque trace de la vivacité du feu, il était censé coupable.’
Les diverses représentations du Jugement de Richarde nous montrent une version bien différente. Richarde vêtue d’une chemise enduite de cire, traverse un champ de braises. Les bords de la tunique sont en feu. Cette version est beaucoup plus impressionnante que la version du gantelet de fer. Admirez le tableau exposé dans la nef de l’église d’Etival.
Les auteurs anciens ne décrivent pas l’épreuve imposée à Richarde. Jakob Twinger de Koenigshoven est le premier, sept siècles plus tard, à décrire Richarde en chemise sur les braises. Voici une retranscription de son texte, en alémanique :
‘ …Do entschuldigte sü sich, das sü weder des keysers, bi dem sü XII ior was gawesen, noch keines andern mannes wip were ie worden, un das sü noch eine reine maget were, un das bewerte sü do mitte das sü ein gewihsser hemede ane det un do mitte ging in ein für und bleip unversert in dem füre.’
Koenigshoeven Chapitre II Para 51
En 887, Richarde s’est-elle faite représenter par un champion dans un tournoi ? A-t-elle porté un gant de fer porté au rouge ? A-t-elle traversé un champ de braises ? Le lecteur des auteurs anciens ne trouve aucune réponse. Nous pencherons pour l’avis de l’abbé Grandidier : Richarde s’est proposée au Jugement de Dieu, mais aucune épreuve ne lui fut imposée. Luitward était chassé, Richarde répudiée, les nobles alsaciens et Charles étaient satisfaits. Pourquoi aller plus loin ? Richarde pouvait se retirer dignement dans son abbaye d’Andlau.
(Note pour les passionnés : Grandidier cite, tome II – livre 5 – page 233, les nombreuses versions contradictoires de cette histoire).
L’empereur Charles ne sort pas grandi de cette accusation. Quelques mois plus tard, il sera démis de son titre, et vivra encore quelques mois, malade, seul, délaissé de tous à Kirchheim. Il semble qu’il meure étranglé par les quelques serviteurs restés à son service.
l'Abbatiale romane d'Andlau
Richarde se retire à Andlau, elle se livre à ses exercices de piété, à la lecture et à la poésie. Voici, traduit par Jean Ruyr, un des poèmes composés par l’impératrice déchue et retirée du monde.
Au plus luisant Soleil s’opposent les nuages,
Mais de leur ombre épaisse, il n’est point obscurci :
Le sort me suscita de grands désavantages
Mais tout à mon honneur est enfin réussi.
Traduction d’un poème attribué à Richarde.
Richarde meurt le 18 septembre 893 ou 894. Elle repose à Andlau. Son chef est transféré à Etival ainsi que la fameuse tunique qui aurait servi lors du Jugement de Dieu.
Sur les pas de Richarde, le promeneur se rendra à Andlau. Les tableaux anciens de l’abbatiale d’Andlau furent détruits lors de la révolution. On y voyait Richarde subissant l’épreuve du feu. Les représentations actuelles sont tardives. L’amateur d’art roman contemplera la frise romane exceptionnelle de l’abbatiale. Il s’attardera dans la crypte, auprès de l’ours de Richarde.
Dans cette même crypte, le crâne de Lazare est exposé. Richarde aurait effectué un voyage à Constantinople et ramené à Andlau les reliques de Lazare. Nous nous pencherons sur cette énigme dans un prochain article.
Un peu plus loin, Outre Vosges, la visite de l’ ancienne abbaye d’Etival, présente quelques souvenirs de Richarde, l’impératrice de chez nous. Le tableau de Charles Bassot est un chef d’œuvre méconnu.
De nombreuses églises et chapelles d’Alsace gardent le souvenir de Richarde, témoin ce vitrail de la chapelle du cimetière de Stotzheim.
Deux articles de notre site racontent l'abbatiale romane d'Andlau ( cliquez sur le lien )
- Jakob Twinger von Koenigshoven, Chroniques, 1419
- Bernhardt Herzog, Chroniques, 1592
- Jean Ruyr, Antiquités de la Vosge, 1634
- Philippe Grandidier, Histoire de l’Eglise de Strasbourg, Tome II, 1778
- Hunckler, Vie des Saints d’Alsace, 1837
- C. Bassot, Sainte Richarde à Etival, 1625
- Chasse de sainte Richarde, Andlau, photo PiP
- Frise de l’abbatiale ( détail ), photo LiD
- Extrait de la Chronique d’Herzog
- Puits de Richarde, Andlau, photo PiP
- Statue de Richarde, Andlau,
- Vitrail de Richarde, cimetière de Stotzheim
- Diaporama de la frise romane, photos LiD et PiP