La Roue de la Fortune, dans l’ Hortus Deliciarum
De nombreuses gravures anciennes traitent ce symbole de la vanité des richesses de notre monde. On peut cependant s’étonner de voir ce thème traité par Herrade de Landsberg dans l’Hortus.
Commençons par le calque du préfet Engelhardt qui nous donne une vue d’ensemble de l’œuvre.
La ‘Fortune’ couronnée, assise sur un trône, agit sur une manivelle qui fait tourner une vaste roue. Un jeune homme est entraîné par ce mouvement ascendant, il s’élève. Parvenu à l’apogée du mouvement, il trône, satisfait souriant, avant de commencer sa descente. Plus avant, la couronne tombe de sa tête, puis, lui même semble choir, entraîné par son destin. Pourtant, la roue continue de tourner, et c’est le même jeune homme qui semble s’élever à nouveau. La ‘Fortune’ lui donnerait-elle une deuxième chance ? Toute aussi fugitive que la première. Le choix de la roue semble l’indiquer !
La déesse Fortuna est une allégorie romaine de la chance et du hasard, comme son nom l’indique. Peu de rapport avec les textes des Evangiles. La vie de chacun serait liée, non au mérite, à l’effort, mais au hasard, au bon vouloir d’une divinité. Ceci semble contraire aux principes d’éducation des moniales d’Hohenburg. Nous pouvons donc marquer un instant de surprise à voir ce thème traité par Herrade dans l’Hortus.
La déesse d’Herrade est couronnée, son trône est sis sur trois pics d’une montagne qui symbolise la terre. Des sommets, la déesse païenne semble dominer le monde. Richement vêtue, front volontaire, elle semble diriger fermement la destinée de l’homme agrippé à la roue. Herrade nous surprend, une fois de plus. C’est le hasard qui réglerait nos vies ?
Voici la traduction du texte qui accompagne l’image :
Fortune nous montre l’ambition des hommes, leur vaine gloire et l’illusion que laisse le bonheur.
La roue tourne, ainsi varie le monde, instable dans son cours.
Le propos d’Herrade n’est assurément pas de promouvoir une déesse romaine. Peut-être est-il plus politique ?
Qui est le prince présenté face à son destin ? Si nous nous fions à la reconstitution en couleurs de Claudia Tisserant-Maurer, il nous semble reconnaître un empereur du Saint Empire. Jeune, doté d’une longue chevelure, d’une barbe fournie et flamboyante, c’est Frédéric Barberousse. Frédéric tient dans ses mains deux globes dorés, et porte sur ces genoux un trésor ! Tout lui semble acquis, il règne sur le monde.
Frédéric est le prince qui a refondé Hohenburg et tout le Mont-Sainte-Odile. En 1156, c’est lui qui a nommé Relinde, l’abbesse qui a formé et éduqué Herrade de Landsberg. Herrade a-t-elle voulu rappeler à Frédéric Barberousse la vanité de sa puissance terrestre ? A-t-elle voulu le préserver de tout abus de puissance ? Le prévenir qu’il passerait comme tout autre ? Nous ne saurions dire.
Quelques années plus tard, en 1190, Frédéric meurt noyé alors qu’il se rend en croisade à Jérusalem. Pour lui, la Roue de la Fortune ne présentera pas de nouvelle chance.
Voilà une image étonnante.
La Roue entraîne le Prince vers le bas et celui-ci perd sa couronne. Le lecteur attentif notera que le prince ne porte plus la barbe étincelante de Barberousse. Sans doute, Herrade n’aurait pas osé représenter crûment la chute de Frédéric, celui qui combla le Mont-Sainte-Odile de ses bienfaits.
Osons une autre analyse. Ce dessin aurait été terminé à la fin du siècle, après la mort de Frédéric et après celle d’Herrade, par ses disciples. Alors, le prince précipité pourrait être Henri VI le Cruel, fils de Frédéric. Ce prince violent attînt les sommets de l’impopularité dans tout l’Empire. Certains prétendent qu’il finit empoisonné par son épouse. Cette partie du dessin représenterait alors la chute des Hohenstaufen en 1197.
Traduction des textes associés à la Roue :
Elevé, je me glorifie. Descendant, je deviens petit. Arrivé en bas, je suis privé de tout, puis, je me sens à nouveau entraîné vers le haut.
Ce thème fut couramment traité tout au long du Moyen Age. Cette allégorie courante se retrouve dans la symbolique des rosaces de nos cathédrales. Plusieurs églises italiennes portent à ce sujet des sculptures fort explicites ornant leurs roses.
Concernant également ce thème, nous vous proposons une image étonnante. Elle est extraite de la bibliothèque de Monaco et représente une Roue de la Fortune avec Frédéric II, appelé à reparaître après sa chute. Frédéric II était le petit-fils de Barberousse !
Aujourd’hui, on ne retrouve plus guère ce thème que dans les jeux de tarots.
Les reproductions de l’Hortus proviennent des deux ouvrages sous-cités.
- Roue de la Fortune avec Frédéric II, Bibliothèque de Monaco.
- Tarots, la carte du hasard.
- Hortus Deliciarum, Braun, 1945
- Hortus Deliciarum, Reconstitution du manuscrit du XIIème siècle de Herrade de Landsberg, A. Christen
- Frédéric Barberousse, M. Pacaut, 1991
- Frédéric de Hohenstaufen, J. Benoist-Méchin, 2004
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