Edelinde et le château de Landsberg
A la fin du XIIème siècle, Edelinde était l’abbesse de Niedermunster, le deuxième couvent du Mont-Sainte-Odile, au pied de la montagne. Le 22 mai de l’an 1200, Edelinde signe un acte de cession de terrain au ‘chevalier Conrad’. Nous nous intéressons aujourd’hui à ce curieux document. Et puis, nous ferons une petite visite d’hiver au château de Landsberg.
L’acte de vente fut rédigé en latin, comme toujours à cette époque. Il figure au Archives Départementales avec l’en-tête suivante.
‘Instrumentum in quo Adelindis Abbatissa monasterii inferioris Hohenburg Conrado militi fundum illum in quo castrum suum Landsperg situm est pro 50 marcis sub nomine concambii, pensione annuali 12 denariorum interposita, contradidit a.1200.’
Voici la traduction proposée par Louis Spach de l’ensemble de l’acte de vente :
Au nom de la sainte et indivisible Trinité, moi, Edelinde, abbesse du monastère inférieur de Hohenburg, à tous les fidèles du Christ. Puisque la mémoire des temps parvient d’habitude par écrit à la connaissance à la postérité, nous avons jugé convenable de notifier aux hommes du temps présent et à venir, et de corroborer, par le témoignage de notre sceau, comme quoi l’illustre chevalier Conrad a obtenu de nous, par droit d’échange, le fonds de terre sur lequel est situé son château de Landsberg, à l’effet d’y élever des constructions. A cet effet s’est présenté à nous l’illustre seigneur Otton, comte palatin de Bourgogne ; et il a obtenu, par les instances répétées de ses prières, que nous consentions à livrer au susdit chevalier Conrad le fonds de terre où le susdit château est situé, pour 50 marcs, à titre d’échange, et à raison d’une rente annuelle de 12 deniers. Et nous, mue par le conseil de nos fidèles et d’autres prud’hommes, ainsi que du consentement unanime de notre sainte communauté, nous avons acquiescé à sa pétition, et avons, de notre plein gré, concédé ce qu’il désirait. De plus, pour consolider cet arrangement, et prévenir la rupture de la concorde, nous avons cédé à l’entour dudit château une partie de notre forêt, savoir, à partir du château jusqu’au sentier qui est en haut du closage, et le long de ce même sentier jusqu’à la fosse à chaux. Et à partir de la fosse à chaux jusqu’au chemin qui conduit de la carrière au château, et derechef en arrière du château jusqu’à la fontaine qui s’appelle le Brettenbrunnen. Et afin que personne à l’avenir ne s’avise d’infirmer notre acte – après avoir reçu le payement total de la susdite somme de 50 marcs – avons décidé de le corroborer de notre sceau. Fait l’an 1200 de l’incarnation de Notre Seigneur, indiction quatrième, dix des calendes de juin, sous le règne de Philippe l’Illustre, Roi de Romains.
Les témoins de notre acte sont : Rodolphe d’Andlau, Conrad zum Stein, Roger d’ Ufholz, Thierry vice-dome et plusieurs autres.
En l’an 1200, le premier château de Landsberg est bel et bien déjà construit. Il est aux mains de ‘l’illustre chevalier Conrad’. Et il a été bâti sur les terres de l’abbaye de Niedermunster. L’acte que nous venons le lire n’est qu’un ‘arrangement’ a posteriori entre Conrad et l’abbesse. Edelinde consent à vendre le terrain, où se dresse le château, et même une partie de la forêt attenante, sans doute en vue d’extension du burg.
Edelinde écrit ‘sous le règne de 'Philippe l’Illustre, Roi de Romains’. Nous sommes en 1200. Après la mort de l’empereur Henri VI, en 1197, la lutte est engagée pour sa succession : Otton de Brunswick, candidat de la papauté s’oppose à Philippe de Souabe, le dernier fils de Frédéric Barberousse, tenant des Hohenstaufen. C’est lui qui est cité par Edelinde : Philippe l’Illustre.
Depuis Barberousse, les Hohenstaufen sont les protecteurs du Mont Sainte Odile. C’est Frédéric qui a fait rénover les couvents en y installant l’abbesse Relinde et en finançant les reconstructions. Herrade a succédé à Relinde à Hohenburg et Edelinde à Niedermunster. Lors des désordres de 1197, Philippe de Souabe a fait renforcer les défenses du Mont-Sainte-Odile. C’est ainsi que le château de Landsberg a été érigé vers le versant sud, comme le Waldsberg (Hagelschloss) au nord du Mont. L’acte de 1200 ne vise qu’à régulariser la situation avant d’entreprendre les extensions du château.
Edelinde nous parle des prières répétées du ‘seigneur Otton’, auxquelles elle a du céder. Il s’agit là du frère de Philippe, Otton, comte de Bourgogne.
Quant à ‘l’illustre chevalier Conrad’, dans le texte latin ‘qualiter Cuonradus miles’, il s’agit du châtelain Conrad de Landsberg. Selon Joseph Gyss, sa famille portait avant l’édification du burg le patronyme de Vinhege, du nom d’un village situé à proximité directe d’Obernai. Le premier Vinhege connu s’appelait Gunther et était ministériel à Hohenburg. On voit apparaître des membres de cette lignée dans les chartres de Saint Gorgon, de Truttenhausen … C’est naturellement à un membre de cette famille que Philippe de Souabe a fait appel pour protéger les couvents. Selon la plupart des historiens, Herrade et Edelinde seraient également membres de la même famille de Landsberg. Certains supposent même que Conrad était le frère d’ Edelinde de Landsberg.
Edelinde ne nous confirme pas cette parenté puisqu’elle se désigne dans l’acte de vente ‘Edellindis monasterii inferioris in Hohenburc abbatissa’ sans ajouter de nom de famille.
Quoiqu’il en soit, Edelinde ne semblait guère encline à céder ses terres à son ‘frère’ et il a fallu les demandes réitérées du Comte Otton pour la faire céder. Sans doute les cinquante marcs d’argent et la rente annuelle de douze deniers ont-ils aussi joué leur rôle. L’année précédente, d’après les chroniques, le couvent avait subi un gros incendie et l’abbesse devait avoir besoin de fonds pour reconstruire le couvent !
Comme Herrade à Hohenburg, Edelinde œuvrait pour la grandeur de son couvent. Alors qu’Herrade rédige l’ Hortus Deliciarum, Edelinde fait rénover et embellir la Grande Croix Reliquaire de Niedermunster.
Terminons la lecture du document latin d’Edelinde en notant les noms des cosignataires, les témoins de l’accord : ‘Ruodolfus de Andela, Cuonradus de Lapide, Ruodegerus de Ufholz’ et plusieurs autres…
Un Andlau, un Ufholz, et un dénommé Lapide. Les noms sont cités, preuve de la notoriété des témoins. Lapide, la pierre en latin, a été traduit par Spach par ‘zum Stein’. Il semble bien que nous retrouvions là la famille des premiers seigneurs des châteaux de Dreistein, avouerie du Mont-Sainte-Odile.
Eléments architecturaux du Landsberg
Le château de Landsberg est une ruine facilement accessible. La promenade à partir de Saint Jacques est aisée, un peu plus ardue quand le marcheur part de Truttenhausen. Voici quelques années déjà, le sommet du donjon et les belles baies de la salle d’apparat du vieux burg ont été sauvés par une campagne de travaux importante et salvatrice.
Aujourd’hui, le promeneur peut admirer les éléments architecturaux magnifiques du château des Landsberg : l’oriel qui surplombe la porte gothique attire tous les regards. Les baies géminées et leurs oculi méritent toute votre attention. Le chapiteau ouvragé de la colonnette encore en place est de toute beauté. Le tour complet de la ruine dans les fossés souligne l’ampleur de la forteresse.
La végétation envahit les ruines
Malheureusement, toutes ces merveilles sont aujourd’hui menacées par la végétation qui envahit année après année le site. Les arbrisseaux se sont accrochés à l’intérieur même des tours circulaires et au sommet des murs. Les lierres repartent à l’assaut des façades. La végétation envahit l’ensemble des ruines. Le diaporama proposé montre des vues du mois de janvier…. L’été, la situation est inextricable. Une opération de nettoyage, comme celle qui a eu lieu cet automne au Dreistein, est nécessaire, urgente. Appel aux volontaires !
Pour plus de détails sur Niedermunster et les autres noms cités, reportez-vous aux articles suivants
Depuis la rédaction de notre article, une association a été créée et le château du Landsberg est aujourd'hui entre de bonnes mains. Bravo aux bénévoles qui entretiennent le site !
- Photographies du Landsberg, BrR
- Schéma des diverses phases d’extension, PiP
- Tombe supposée d’Edelinde, ruines de Niedermunster
- Reconstitution, Winckler, 1874
- Dessin de Louis Laurent-Atthalin, 1836
- L. Spach, Le château et la Famille de Landsberg, 1868
- J. Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
- F. Hecker, die Herrschaft Barr, 1914