L’héritage de Gertrude de Dabo et le château de Bernstein
Au début du treizième siècle, la lutte entre les Eguisheim et les Hohenstaufen a déjà largement tourné au profit des seconds. Frédéric Barberousse (1166) et Henri VI le Cruel (1191) sont devenus empereurs et nombreux sont les domaines et châteaux des Eguisheim qui sont déjà tombés sous l’emprise de Staufen. Un des derniers épisodes de la lutte entre les deux dynasties se déroulera au dessus de Dambach-la-Ville, au château de Bernstein.
Lors du Petit Interrègne, à la mort d’Henri VI, Philippe de Souabe représente les Hohenstaufen pour l’élection impériale. Les Eguisheim, comme l’évêché de Strasbourg, prennent le parti opposé, celui d’ Otton de Brunswick. C’est alors Albert II d’Eguisheim le chef de la famille, Albert est comte de Dabo, comte de Metz, comte de Sulzbach ( en Bavière) et comte de Moha ( en Belgique). Il cumule aussi les avoueries de plusieurs riches abbayes : Andlau, Altorf, Neuwiller, Hesse… C’est un grand seigneur et sa descendance semble assurée par ses deux fils Henri et Guillaume. Albert a également une petite fille Gertrude qui est mariée, très jeune, au futur duc de Lorraine, Thibault. L’avenir semble sourire aux Eguisheim.
Las, lors d’un tournoi, en Flandres, les deux jeunes frères s’entretuent au plus fort d’une joute. Quelques années plus tard, à la mort d’Albert, en 1211, c’est donc Gertrude qui hérite de l’ensemble des titres et possessions de son père. Ce n’est alors qu’une toute jeune fille et son mari Thibault de Lorraine est le garant de la fortune de son épouse.
Nous avons déjà rapporté la vie de Thibault sur ce site. Ses démêlés avec Frédéric II concernent l’héritage de Gertrude : Thibault est le héros malheureux de la Guerre des Caves à Rosheim. Nous avons aussi raconté son conflit avec son oncle, Maheu, l’évêque scandaleux de Toul. (cliquez sur les liens)
Thibault meurt, probablement assassiné sur ordre de Frédéric II en 1220. Gertrude est veuve, sans enfant, et à la tête d’un important héritage.
A cette époque, une jeune femme, noble et riche, ne peut rester seule et Gertrude se remarie, la même année, contre l’avis de Frédéric II, avec le comte de Champagne, prénommé lui aussi Thibault. L’union se sera pas heureuse, Gertrude est répudiée en 1222, pour cause d’infertilité. Un dernier mariage aura lieu l’année suivante, Gertrude épouse Simon, comte de Linange. Ils n’auront pas d’enfants.
Gertrude de Dabo était trouvère. La Bibliothèque de Berne possède le manuscrit d’une de ses œuvres, rédigée en vieux français ‘Un petit devant le jour’. Une version est accompagnée de notes de musique.
La mort de Gertrude, en mars 1225, au château de Herrenstein, près de Saverne, verra le début de luttes terribles pour s’approprier l’important héritage de la dernière des Eguisheim.
Gertrude de Dabo fut inhumée, à l’instar de plusieurs ducs de Lorraine, dans l'abbaye de Sturzelbronn, détruite après la Révolution Française.
Les ruines du Bernstein
Princes, comtes et ducs vont se disputer l’héritage de Gertrude, en Bavière, en Flandres et Outre Vosges. Mais, en Alsace, les évêques de Metz et de Strasbourg, les sires de Linange vont s’intéresser aux châteaux de Dabo, de Guirbaden et de Bernstein, places fortes stratégiques. Les Linange se sont fortifiés au Dabo.
Le jeune évêque Berthold de Teck vient mettre le siège au Guirbaden, puis devant le Bernstein qui domine la ville de Dambach. Voilà des siècles que le Bernstein est possession des Eguisheim et l’évêque tient à s’imposer en enlevant ce symbole de la puissance de Dabo-Eguisheim. Les troupes de Simon de Linange soutiendront un siège d’un mois avant de devoir capituler devant les forces de l’évêque.
‘ Donoch über vier ior belag er Bernstein einen monot un gewan es.’ nous dit Koenigshoven.
Le château incendié fut reconstruit par Berthold, et l’essentiel des fortifications que le visiteur peut admirer aujourd’hui date de cette reconstruction du XIIIème siècle.
Le visiteur du Bernstein est souvent surpris par la position de la forteresse. Pourquoi le château se trouve-t-il à mi-pente, alors que la plupart de ruines se trouvent au sommet des Vosges, sur la ligne de crêtes ? La réponse est simple, le massif vosgien au dessus de Dambach est sec, voire aride. Une seule source au dessus de Dambach ! Alors, les Eguisheim ont cherché une solution pour l’approvisionnement en eau de leur forteresse. La solution adoptée est astucieuse, curieuse.
Les constructeurs du burg ont choisi un éperon rocheux situé à mi-pente. Les eaux de pluies infiltrées sur la partie supérieure du massif s’accumulent devant la barrière rocheuse. Un puits de faible profondeur, bien situé, donne un débit suffisant pour soutenir un siège.
Regardez le schéma proposé. Le burg est posé à même le roc, le puits est creusé à proximité immédiate, dans le ‘jardin’, hors des murs, donc vulnérable. Pour le rendre discret, pour le protéger en cas d’assaut, les architectes du moyen âge ont creusé un puits souterrain, accessible à partir d’une galerie enterrée. Cette disposition est inattendue, unique en Alsace. Le dispositif de défense est complété par une tour palière qui dominait l’entrée de la galerie et un bastion qui cerne l’ensemble.
Voici le plan et la coupe du puits, publié par J.M. Gall en 1967.
Lors du siège de 1227, qui dura un mois, les troupes de Linange ont-elles manqué d’eau ? Le puits était-il tombé aux mains de l’évêque Berthold ? Etait-il sec ?
Le puits du Berstein
Note : une citerne apparaît sur le plan de J.M.Gall. Elle fut aménagée au XVème siècle , bien après le siège de 1227.
- Richer de Senones, Chroniques, 1250
- J.T Koenigshoven, Chroniques, 1419
- D. Specklin, Collectannées, notule 891, 1580
- J.D. Schoepflin, Alastia Illustrata, Tome IV, 1761
- J.M. Gall, L’approvisionnement en eau de la forteresse du Bernstein, SHABDO 1967
- Photographies du château de Bernstein, ElJ
- Sceau de Thibault de Lorraine
- Armoiries de Berthold de Teck
- Schéma du Bernstein, suivant les relevés de J.M.Gall, PiP
- Plan du puits, J.M.Gall, SHADBO 1967
- Aquarelle de F. de Dartein, collection particulière
- Lithographie, Golbery, 1828