La Chapelle Pendante et sa tradition oubliée
A l’extrémité orientale du plateau du Mont-Sainte-Odile, sur les terrasses du monastère qui dominent la plaine d’Alsace, se dressent deux petites chapelles romanes. Aujourd’hui, nous nous intéressons à la Chapelle Pendante, die Hängende Kapelle, appelée présentement Chapelle des Anges.
La façade est aveugle, l’édifice de petite taille. C’est essentiellement sa position isolée, directement sur l’à pic, qui attire l’œil de l’observateur et donne à l’ensemble un cachet romantique, fort agréable.
Comme l’ensemble du couvent, la chapelle est posée sur les énormes blocs de grès qui délimitent le plateau. Elle se situe à l’endroit où ils sont les plus élevés et ses murs prolongent les parois verticales. L’effet est saisissant. Plus étonnant encore, un chemin dallé, sans garde-fou, cerne l’édifice au dessus du vide ! Qui donc pouvait oser emprunter une telle voie ? Nous l’allons conter tout à l’heure !
La Chapelle Pendante du Mont Sainte Odile
Autrefois, cet édifice était dédié à Saint Michel. Les spécialistes proposent une construction au XIIème siècle. Vraisemblablement lors de la grande période de reconstruction du couvent par l’abbesse Relinde, puis Herrade de Landsberg.
Les historiens du siècle dernier, dont Louis Levrault, pensaient les fondations plus anciennes encore. Les grosses assises de grès dateraient de la période romaine, du temps où le Mont était occupé par un castrum romain. Une tour de guet aurait occupé l’extrémité du plateau, endroit idéal, il est vrai, pour surveiller la plaine. La chapelle a subi, comment l’ensemble du couvent, les incendies et les guerres. Elle fut remaniée à plusieurs reprises. Seules les petites baies romanes et la frise lombarde semblent dater du temps d’Herrade.
Le sanctuaire fut restauré en 1617 à la demande de Léopold d’Autriche, évêque de Strasbourg. On trouve ses armoiries au dessus de la porte avec l’inscription latine ‘RestItUta in anno DoMInI IesV ChrIsti’
Lors des travaux de 1617, le cercueil d’Adalric, père d’Odile, est transféré de l’église dans la Chapelle des Anges. Curieusement, les autorités d’alors décident d’incruster le sarcophage dans le mur extérieur de la chapelle. Une face était visible dans l’édifice, mais il fallait passer sur le petit chemin, au dessus du vide, pour admirer la deuxième face. En 1751, Silbermann effectue le dessin que nous vous proposons de cette face extérieure. Johannes Andréas devait être perché dans une situation peu confortable pour son relevé, il n’avait pas peur du vide !
Ce n’est qu’en 1753, que le prieur Dionysus Albrecht décide de ramener le sarcophage mérovingien dans la Chapelle de la Croix, où il est encore aujourd’hui.
Une nouvelle campagne de restauration fut entreprise en 1858 par le vicaire Nicolas Schir. Une inscription latine rappelle cette date. On peut lire sous une arcade de la frise lombarde ‘HaeC ang. Consec. AeDes eX Labore sIX fratrUM renoVata’. Ainsi, la chapelle a été rénovée grâce au travail de six frères.
L’intérieur était alors décoré de fresques réalisées par Michel Oster. Sainte Odile était entourée par des Anges.
Le décor actuel est bien différent : les mosaïques actuelles datent de 1947 et furent réalisées par Gentil et Bourdet, d’après un carton de Franck Danis, qui a tant modifié le couvent après la guerre.
‘Le touriste Engelhardt est le premier à mentionner, d’après ses souvenirs de 1809,la coutume du pieux pèlerin de faire le tour de la chapelle au péril de sa vie.’ nous dit Alfred Pfleger.
Ainsi, c’étaient les pèlerins qui empruntaient ce parcours vertigineux pour compléter leur recueillement sur le Mont ! Mais Engelhard ne nous dit pas tout. Voyons ce que nous racontent d’autres écrivains, eux aussi visiteurs du Mont-Sainte-Odile.
‘On voit une chapelle construite sur un rocher à pic, on la nomme la Chapelle des Anges. Les filles qui désirent trouver des maris, doivent, dit-on, en faire sept fois le tour.’
Merlin, Promenades Alsaciennes, 1824
‘C’est à la chapelle des anges qu’une superstition toute poétique et gracieuse, héritage probable des pèlerinages druidiques, appelle les jeunes filles qui désirent se marier, et qui, après avoir fait sept fois de suite, en pensant à celui qu’elles aiment, le tour de l’étroit sentier suspendu aux flancs de la chapelle, peuvent se trouver assurées de l’épouser avant la fin de l’année.’
Levrault, Sainte Odile et le Heitenmauer, 1853
‘Une superstition singulière est restée attachée à la chapelle des Anges au Mont-Sainte-Odile, à l’emplacement du temple de Bélen. Les jeunes filles qui veulent se marier dans l’année en font trois fois le tour. C’est peut-être un souvenir de l’ancien culte solaire et des vierges gardiennes du feu.’
Schuré, Les grandes légendes de France,1892
‘Les pèlerins font, sur un sentier étroit, le tour de cette chapelle ; qu’on appelle aussi la chapelle pendante, parce que la portion de rocher où elle est assise, s’avance sur le précipice. On jouit d’une vue magnifique entre cette chapelle et celle des larmes.’
Schweighaeuser, Antiquités de l’Alsace, 1928
Les jeunes filles qui cherchaient un mari, venaient tourner trois fois, voire sept fois autour de notre petite chapelle. Certains auteurs racontent même qu’elles se chargeaient de pierres, bien lourdes, pour augmenter leurs chances de trouver un beau mari ! La plus chargée était assurée de se marier dans l’année ! Que voilà une belle coutume ! Vraisemblablement plus efficace que les sites de rencontres d’Internet d’aujourd’hui. Les jeunes hommes, adossés aux tilleuls plusieurs fois centenaires d’Odile, admiraient les plus courageuses. Gageons qu’ils n’hésitaient pas à aborder ces demoiselles décidées.
Sur la lithographie d’Engelmann, 1830, on discerne une femme au dessus du vide. Sur le dessin de Lix, 1889, une rambarde a été mise en place.
Le vicaire Nicolas Schir, dès 1856, présente la tradition de façon moins plaisante. Certains pèlerins croyaient, nous dit-il, gagner des indulgences en risquant de se casser le cou. Le bon vicaire s’insurge contre ses croyances populaires que l’Eglise réprouve ! Nicolas parle de neuf tours à effectuer ! Bigre !
Deux années plus tard, le chemin n’était plus accessible ! Une grille fut posée en 1865 ! Les religieux ne voulaient plus de cette coutume.
La Chapelle Pendante
Pour Schir, ‘croyance superstitieuse’, pour J.Gyss, ‘légende comique,’ pour N. Barth, ‘Volkswitz’… la tradition de la Chapelle Pendante était bien sympathique ! Dommage que d’aucuns aient cru bon d’interdire l’accès du balcon vertigineux par un parapet rédhibitoire et fort laid…. Il y aurait plus de monde autour de la Chapelle Pendante du Mont-Sainte-Odile !
En 1913, Tanconville publie un recueil de chansons alsaciennes.
Sur une des 48 aquarelles, un jeune garde champêtre à la moustache avantageuse serre de près une jeune et belle paysanne, attrayante, qui a déjà posé son panier dans l’herbe.
Ah !
Nos tourtereaux ne doivent pas être bien loin de la chapelle Saint Jacques! Dans le fond du paysage, vous reconnaissez le Mont-Sainte-Odile et la toiture de notre Chapelle Pendante.
Nul doute, la ‘Maidele’ a fait sept fois le tour de la chapelle, et elle a trouvé son galant !
‘Maidele, ruck ruck ruck an meiner grüne Seite,
Ich hab Dich gar so gern und kann Dich leide
Maidele, ruck ruck ruck an meiner grüne Seite,
Ich hab Dich gar so gern und kann Dich leide’
- J.A. Silbermann, Beschreibung von Hohenburg, 1781
- Merlin, Promenades Alsaciennes, 1824
- L. Levrault, Sainte Odile et le Heitenmauer, 1853
- E. Schuré, Les grandes légendes de France,1892
- Tanconville, Elsässiche Volkslieder, 1913
- Schweighaeuser, Antiquités de l’Alsace, 1928
- A. Pfleger, Roches sacrées, survivances du culte des Pierres en Alsace, 1954
- J.M. Le Minor, Le Mont Sainte-Odile, 2003
- J.M. Le Minor, Le Mont Sainte Odile, 2008
Nos informations viennent essentiellement de l’article d’Alfred Pfleger. De loin le plus complet. Alfred y retrace de nombreuses traditions liées aux roches ‘sacrées’. Attrayant et bien documenté, à ne pas manquer.
- La chapelle pendante, photographies, PiP
- Vue en perspective des deux chapelles du Mont, J.A.Silbermann, 1750
- Cercueil du duc Adalric, J.A. Silbermann,1750
- Lithographie, G. Engelmann, dessin de N. Karth, 1830
- Lithographie, F. Lix, 1889
- Baies romanes de la chapelle des Larmes, PiP
- 'Maidele ruck, ruck, ruck', aquarelle de Tanconville,1913
Cette dernière image est publiée avec l’aimable autorisation de Jean-Luc.
Jean-Luc dirige la boutique Alsa-Passions à Obernai. Vous trouverez chez lui un accueil chaleureux et une foule de livres et documents anciens.
Notre article lui est redevable de l’illustration de Tanconville. Merci.