Rosine de Stein, dernière abbesse de Niedermunster
Lorsque Rosine devient abbesse de Niedermunster le 4 mai 1514, elle est loin de pouvoir imaginer qu’elle sera la dernière abbesse de cette maison plusieurs fois centenaire, fondée jadis par Sainte Odile. Le couvent de Niedermunster rivalise alors avec Hohenburg, le couvent situé sur le sommet du Mont-Sainte-Odile. L’immense église Sainte-Marie, posée au pied du Mont, contient la magnifique Croix Reliquaire qui attire nombre de pèlerins. Certes, les idées de Luther et de la Réforme font leur chemin en Alsace et les monastères n’ont déjà plus leur lustre d’antan, les nonnes ne sont plus aussi nombreuses que du temps de la splendeur des abbesses Relinde ou Edelinde, mais Niedermunster reste un couvent riche et renommé. Parmi les sœurs qui assistent à son élection siègent deux membres de sa famille, Ursula de Stein et Odilia de Stein.
La révolte des Paysans contre l’Eglise et les corps constitués menace depuis le début du siècle. Plusieurs débuts de soulèvement ont déjà eu lieu en Alsace et en Souabe. Mais l’embrasement général des campagnes aura lieu au printemps 1525. En Basse Alsace, les premiers prêches abbaye d’Altorf, dont ils feront leur quartier général. C’est le début d’une véritable révolution qui finira écrasée quelques semaines plus tard par les troupes du duc Antoine de Lorraine lors des massacres de Saverne, Lupstein et Scherwiller.
ont lieu tout près du Mont-Sainte-Odile dés le mois d’avril : Heiligenstein, Ottrott, Bernardswiller. Clément Ziegler, un simple jardinier, enflamme les foules. Le 13 avril 1525, à Dorlisheim, Erasme Gerber lance un véritable appel à l’insurrection générale en Alsace. Trois jours plus tard, le dimanche de Pâques, les Rustauds s’emparent de l’La troupe la plus importante des Paysans alsaciens siège à Altorf sous la direction d’Erasme Gerber. Au pied du Mont, il semble que ce soit un certain Ludwig Ziegler qui mène le groupe de Paysans restés sur place. Dans son livre passionnant, Georges Bischoff retrace le parcours des Rustauds dans les différents édifices religieux de la contrée :
- 17 avril – abbaye d’ Ebersmunster – collégiale de Saint Léonard
- 18 avril – abbaye de Niedermunster
- 19 avril – abbaye de Neubourg – collégiale de Haslach
- 20 avril – prieuré d’Ittenwiller
- 22 avril – prévôté de Truttenhausen
- 24 avril – abbaye de Marmoutier
( Nota. Bischoff ne propose pas de date précise pour le passage au couvent de Hohenburg).
Lorsque Ludwig se présente à la tête de ses paysans le mardi matin à Niedermunster, que trouve-t-il sur place ? Vraisemblablement peu de monde. Il semble que Rosine de Stein, comme sa consœur de Hohenburg, Agnès de Zuckmantel, ait quitté les lieux qu’elles savaient menacés par les insurgés. Réfugiées à Strasbourg, sans doute avaient-elles emmené quelques sœurs avec elle… le couvent devait être presque désert. Sans murs, sans personnel autre que les valets, sans défense d’aucune sorte, les Rustauds ont tout simplement pénétré dans le couvent.
Nous n’avons pas trouvé de documents relatant les faits. Seuls les actes d’accusation rédigés par Rosine quelques mois plus tard peuvent éclairer ce qui a pu advenir. En effet, une fois le calme revenu, après le massacre de Scherwiller, c’est devant les tribunaux que se sont retournées les ‘victimes’ des Rustauds. Voyons quelles sont les doléances de Rosine.
- Disparition des ornements sacerdotaux, du tabernacle
- Vols des quatre cloches de l’église
- Disparition de livres de messe, valeur 200 florins
- Vol trente vaches, plus veaux et cochons, 250 florins
- ….
Lorsqu’on compare le texte de Rosine avec ceux des autres ecclésiastiques des abbayes voisines, on remarque qu’il n’est pas fait allusion à des destructions des bâtiments, ni à des actes blasphématoires contre les lieux. Vraisemblablement, comme ailleurs, les ornements ont été déplacés dans les églises voisines. Les Rustauds détestaient les riches couvents, mais respectaient le bon dieu et leur petite église. Le bétail, le vin, les réserves ont été bel et bien pillés….certes. Mais quelles étaient les véritables richesses de Niedermunster en 1525 ? La grande Croix Reliquaire et les deux précieux Codex, ornés d’or, d’argent et de pierreries.
L’ historien Hieronymus Gebwiler a visité Niedermunster en 1521. Il décrit fort précisément la Croix et les deux livres précieux offerts à l’abbaye par le duc Hugues et sa femme Abba. Nous sommes là face à de réels trésors. Or Rosine n’en parle pas dans ses doléances…. La Croix aurait-elle été mise en sécurité derrière les murs d’Obernai ? Chaque année, la Croix était déplacée vers la Ville Impériale lors des fêtes de Pâques pour une procession. On ne trouve pourtant pas de trace d’une telle translation. Il est plus vraisemblable qu’elle soit restée sur place dans la nef de l’abbatiale et ait été respectée par les Rustauds, qui étaient des croyants. (La Croix de Niedermunster sera transférée à Molsheim quelques années plus tard, et disparaîtra lors de la Révolution Française).
Quant aux deux livres enluminés qu’Abba fit attacher sur le dos du célèbre chameau de Niedermunster, on ne sait leur devenir… S’il s’agit des ‘livres de messes’ évalués par Rosine à 200 florins, soit le prix de trente vaches, ils ne sont jamais reparus. Et Rosine avait une bien piètre idée de leur valeur.
Le vrai problème pour Rosine de Stein, comme pour tous les abbés et le abbesses, c’est la perte des archives : ‘Ils ont déchiré, emporté et brûlé un certain nombre de registres, de comptes et de terriers, des contrats de vente et d’achat dont on peut estimer la valeur à 600 florins’. Que l’on comprenne Rosine ! La trésorerie des couvents, les rentrées d’argent, c’était les prêts, les dîmes, les droits de propriété, les fermages, les intérêts dus par les pauvres gens. Et c’était bien là une des raisons primordiales du soulèvement de 1525, ces prébendes des pouvoirs établis : les Rustauds le savaient bien, ils ne voulaient plus payer ! Dans tous les couvents, les archives ont été détruites.
Après le désastre de Scherwiller, après les premiers règlements de comptes qui font suite à toute révolution, les pseudo victimes du Bundschuh se sont tournées vers les tribunaux. Les pauvres étaient vaincus, ils allaient devoir payer la reconstruction, remplir les caisses des vainqueurs, des puissants. Il y eut deux types de d’amende infligés aux Paysans et à leurs alliés…
La première pourrait surprendre à notre époque : elle fut collective ! Tous les sujets des campagnes furent astreints à une peine pécuniaire : l’ ‘abtrag’. Les villages devaient dédommager les ‘victimes’. Le taux fut fixé par village suivant sa participation présumée au conflit. Chaque foyer devait payer l’amende. Six florins par feu à Soultz les Bains, cinq à Dambach…. Seules les personnes pouvant prouver leur non participation à la révolte étaient exemptées. F. Rapp chiffre l’abtrag ainsi perçu à plusieurs dizaines de milliers de florins.
Parallèlement à l’abtrag, les ‘victimes’ pouvaient également attaquer les personnes ‘ad hominem’. Il suffisait de dénoncer les participants au pillage de vos biens. Nous pouvons imaginer les conséquences d’une telle politique en temps de crise.
Pour Niedermunster, Rosine de Stein, qui n’était pas présente au pillage, a néanmoins établi la liste nominative des soixante quatre personnes qui ont participé au sac de l’abbaye. Les noms des personnes sont cités ! On retrouve 17 barrois, 35 de habitants de Heiligenstein et 12 de Gertwiller. Parmi eux, Conrad, burgvogt de Kagenfels, un ancien prévôt de Barr et trois femmes ! Parmi elles une bergère au doux prénom d’Agnès. En fait, ce sont les chefs de famille qui sont nommés. Rosine vise des familles précises, solvables, en vue de récupérer quelque argent. Bigre, on frémit ! On ne sait quelles furent les décisions du tribunal.
Le calme revenu, Rosine de Stein retrouve son abbaye, où elle vivra neuf années encore. Rosine est enterrée dans la nef de l’église abbatiale. La communauté de sœurs s’est encore amoindrie, elles ne sont plus que quatre à la mort de Rosine (1534), pour désigner sa suivante, Ursule de Rathsamhausen, qui ne sera pas intronisée abbesse, mais simplement nommée ‘administratrice du couvent’.
- 1542, un incendie détruit les bâtiments conventuels, les dernières nonnes se réfugient à Hohenburg.
- 1546, Hohenburg, le couvent du haut du Mont, est lui aussi la proie des flammes. C’est la fin des couvents de Sainte Odile.
- 1572, la collégiale Sainte Marie de Niedermunster est victime de la foudre. Niedermunster devient une carrière de pierres. Toute la région viendra piller l’abbaye : fortifications de Benfeld, clocher d’Erstein et plus tard réédification de l’église des prémontrés en haut du Mont-Sainte-Odile. Que n’a-t-on pas construit avec les pierres de Niedermunster?
Le nom et les armes de Rosine de Stein se retrouvent sur un vitrail ancien, autrefois présenté au public à Obernai, jusqu’à la fermeture du Musée Historique. Ce vitrail représente la légende de l’arrivée de la Croix Reliquaire et des deux précieux codex, portés par un dromadaire, à l’abbaye de Niedermunster. Magnifique !
Certains auteurs pensent que le vitrail aurait été sauvé de l’incendie de Niedermunster. J. Gyss et X. Ohresser proposent une version plus crédible.
En 1521, la salle de délibérations de l’ Hôtel de Ville d’Obernai est édifiée sur les plans de H. Jungling. Seize livres, sept sous et un denier correspondent au salaire du maître verrier Martin Kurtzel. Il semble que notre vitrail de Niedermunster soit l’un des six vitraux réalisés à cette occasion.
Hans Baldung Grien, un des artistes les plus renommés de cette période, a réalisé les avant-projets des vitraux.
Voici le carton du Vitrail de Niedermunster. Les armoiries visibles sur le carton sont celles de l'abbesse’ Ursule de Triebel, qui avait précédé Rosine à Niedermunster. Il est daté de 1512, sans doute, le projet a-t-il traîné, et les armoiries ont été modifiées à la mort d’Ursule.
Deux autres vitraux de la salle de Justice sont connus par des images qui nous sont parvenues.
Ils sont consacrés à Hohenburg : remise des clefs d’Hohenburg à Odile par le duc Adalric, présence des témoins lors de cette donation.
Le dessin de la donation des clefs a été réalisé par Silbermann d’après nature. A l’époque, le vitrail était inclus dans la fenêtre d’une auberge d’Innenheim. Aujourd’hui, il a disparu.
Si vous désirez en savoir plus : nous avons déjà abordé le Bundschuh, guerre des Paysans de 1525 dans deux articles.
Par ailleurs, l’histoire de l’ abbaye de Niedermunster et de sa Croix Reliquaire est à découvrir dans huit articles. ( cliquez sur les liens )
- J. Gyss, Notice Historique sur l’Hôtel de Ville d’Obernai, 1864
- H. Haug, Le Musée Historique de la Ville d’ Obernai, 1930
- X. Ohresser, Hans Baldung Grien et les vitraux de l’hôtel de ville d’Obernai, 1954
- F. Rapp, La répression dans le territoire des évêques de Strasbourg, 1975
- G. Bischoff, La guerre des Paysans, 2010
- C. Wilsdorf, Comment la sainte Croix parvint à Niedermunster, 2012
- S. Klapp, die Äbtissinnenamt in den unterelsässichen Frauenstiften, 2012
- Armoiries de Rosine de Stein
- Roue de la fortune du Bundschuh
- Luther conduisant le Bundschuh, T. Murner, 1522
- Lithographie de Rothmüller,1833
- Nef des ruines de l’abbaye, PiP
- Vitrail de Niedermunster
- Dessins des vitraux de l’hôtel de ville d’ Obernai, Hans Baldung Grien, 1512