Escapade à Ranrupt, dans la Haute Vallée de la Bruche
La semaine passée, les ‘Amis du Mont-Sainte-Odile’ nous ont proposé une sortie fort sympathique autour du petit village de Ranrupt. Voilà l’occasion de vous proposer quelques images de la vallée de la Bruche, et aussi un prétexte pour vous raconter une histoire moyenâgeuse à souhait. Nous y retrouverons l’évêque Walter et le comte Rodolphe de Habsbourg.
Nous sommes en 1261 !
L’évêque Walther de Geroldseck, fraîchement nommé, a réussi en quelques mois à soulever sa ville, Strasbourg, contre lui. Retiré dans sa forteresse de Dachstein, bien décidé à reprendre son pouvoir, Walter a jeté l’interdit sur la Ville, et l’ensemble du clergé a du quitter Strasbourg.
Dans un premier temps, l’ensemble de la noblesse alsacienne a fait corps autour de l’évêque. Mais quelques mois plus tard, le comte Rodolphe de Habsbourg, fin politique, change de camp et devient un des principaux chefs de guerre alliés à la Ville de Strasbourg.
Les paysans de Ranrupt pourraient se croire bien tranquilles, loin de ces querelles, dans leur village perdu dans les hautes prairies des Vosges. Tranquilles ?…
Walter a demandé l’aide ses confrères, les évêques de Trêves et de Bâle. Il attend des renforts et ne se sent pas encore en mesure d’attaquer Strasbourg, ses murailles et ses milices aguerries. Walter commence sa campagne plus modestement par l’attaque de Colmar, où ses troupes se font proprement étriller par celles de Rodolphe. Le Comte de Habsbourg s’enhardit alors et enlève Mulhouse, sur un coup de main. L’évêque, furieux de ces revers, charge son frère Hermann de Geroldseck de saccager les terres des Habsbourg en Alsace.
Hermann commence ses représailles par le Val de Villé. Le conflit se rapproche de Ranrupt ! Voici un extrait de la Chronique de notre ami, Richer de Senones.
‘ … Le matin venu, ils mirent à feu toutes les maisons et tout ce qu’ils trouvaient dedans. En cette sorte, ils ruinèrent tout le Val de Villé. La même nuit grande abondance de neige tomba sur la terre, et en cette même nuit, les gens de l’évêque, sortant de Brunstanval occupèrent la terre du dit Comte Rodolphe, à savoir Sales et Brustam, et autres villages en ces montagnes là, et tout ce de dépouilles qu’il trouvèrent, ils s’efforcèrent à s’en charger. Mais les paysans des alentours assemblés, les arrêtèrent en une petite montagne, demandant la restitution de leurs dépouilles. Et comme il s’en aperçurent tant chargés, en sorte qu’ils n’eussent pu descendre qu’avec difficulté, courageusement se jetèrent sur eux, et en tuèrent trente cinq, sans les blessés qui pensant fuir la mort en s’enfuyant desdits paysans, tantôt après mourraient dans les haies et forêts, tant pour le danger de leurs plaies que pour la froidure des neiges.’
Le moine Richer est un contemporain des faits. Son abbaye de Senones est toute proche. Les renseignements donnés sont donc fort étayés. Que nous dit Richer ? Nous sommes en plein hiver et la neige a envahi le Val de Villé. Les spadassins de l’évêque pillent et incendient les villages du Val. Ils quittent le val, comme ils sont probablement venus, par le col de Steige. Lors de leur retour, ralentis par la neige et par le lourd chargement que représente le fruit de leurs rapines, ils sont attaqués et défaits par les paysans de la Haute Vallée de la Bruche ! Trente cinq tués avant la débandade ! Bien d’autres meurent de leurs blessures dans leur fuite, selon Richer.
La Chronique du moine de Senones utilise des noms ‘francisés’ parfois difficiles à déchiffrer.
‘Colombier’ pour Colmar, ‘Hebesporch’ pour Habsbourg, ‘Milhuse’ pour Mulhouse, ‘Villers’ pour Villé. Pour les petits villages, la tâche est plus compliquée encore : ‘Brunstam’ désigne le village appelé aujourd’hui Bourg-Bruche.
Mais redonnons la parole au moine de Senones.
‘Mais on croit que cette infortune advint principalement aux hommes de l’évêque, pour avoir iceux tant présumé de soi, d’entreprendre chose tant exécrable à la solennité des Octaves du Saint Sacrement, comme il advint également au frère de l’évêque qui, en la même solennité, mit à feu tout le Val de Villers. Les soldats de l’évêque donc infiniment marris de la perte de leurs gens qui moururent, allèrent au village nomme Neufchasteau et le brûlèrent. Et retournant à Sales, en firent de même et peu après brûlèrent encore le village de Brunstam. Mais que dirais-je ? Ils mirent à feu Saverne, Lasace, Stampomont et Kamru avec l’église Saint-Vincent, et totalement consumèrent le Coret. Quoi tant malheureusement exécuté, retournèrent à leurs propres.’
Les troupes de Hermann de Geroldseck se regroupent donc et lancent une série de représailles. Ils brûlent ‘Neufchâteau’: il s’agit vraisemblablement du petit château qui dominait le village de Bourg-Bruche, puis Saales et Bourg-Bruche. Richer termine en citant ‘Stampomont et Kamru avec l’église Saint-Vincent’. (‘Le Coret’ désigne Colroy la Roche.). Le lecteur averti aura reconnu le hameau de Stampoumont et le village de Ranrupt.
Et voilà, comment les paysans de Ranrupt virent leur village et leur église incendiés,
l’hiver 1261, par Hermann de Geroldseck lors d’un conflit qui ne les concernait en rien !
Cette équipée, peu glorieuse, contre des paysans, ne porta pas chance au frère de l’évêque Walter ! Un an plus tard, Hermann est tué lors de la Bataille d’Hausbergen qui vit la défaite totale de l’évêque face aux milices de la Ville de Strasbourg. Son corps est retrouvé, dépouillé et mutilé, sur le champ de bataille, le lendemain de la déroute de Walter. ( Pour lire l’histoire de la bataille et ses conséquences, cliquez sur le lien.)
La commune de Ranrupt est éclatée, entre le petit village regroupé autour de son église baroque, sur les rives de la Climontaine, et plusieurs hameaux, encore plus reculés, aux noms évocateurs : Fonrupt, Mettimpré, Stampoumont. Grand air, calme, sérénité. Les vastes maisons vosgiennes attireront vos regards, avec leurs vastes portails souvent agrémentés de frontons sculptés d’initiales et de dates.
Partout, au pied des calvaires, sur les bornes, et même sur les façades, on retrouve la même fleur gravée. Pourra-t-on m’expliquer sa signification ? Elle ne figure pas sur les armoiries de Ranrupt.
La promenade à pied dans les différents hameaux du village est fort agréable, champêtre. Le vélo peut être une bonne solution également, le col de Villé est un des plus accessibles des Vosges !
Pour les amateurs de vieux burgs en ruine, à deux pas :
- Le château de la Roche et le siège subi par Jacques de Rathsamhausen.
- Le château de Bilstein et l’histoire des Marx d’Eckwersheim
( Pour lire l’histoire des châteaux, cliquez sur le lien.)
- Armoiries des protagonistes du conflit de 1261
- Photographies de Ranrupt, GaD et PiP
- Plan de situation, PiP
Richer de Senones, Chroniques ,Chapitre XVI