La Burg, château impérial des Hohenstaufen, à Obernai
A Obernai, le touriste admire la Place du Marché, l’hôtel de ville, le puits aux six seaux et le Kappelturm. Le promeneur averti prolonge sa visite par le tour des remparts. A hauteur de la cour Athic, il découvre une plaque gravée portant l’inscription ‘Stammhaus der Heiligen Odilia’. Maison natale de Sainte Odile !
Bigre ! Voilà une affirmation bien étonnante pour un bâtiment qui ne date visiblement pas du septième siècle. Certes, si on se réfère au Manuscrit de Saint Gall, le duc Adalric a redécouvert le site de Hohenburg et y a fait construire une église. Les historiens semblent s’accorder pour dire que le duc l’Alsace partageait son temps entre Hohenburg, qui allait devenir le Mont Sainte Odile, et Ehenheim (aujourd’hui Obernai). Mais le Manuscrit ne dit rien sur le lieu de naissance d’Odile. La Chronique d’Ebersmunster (douzième siècle) rapporte cependant qu’ Odile serait née à Obernai dans la villa où résidait son père Adalric. Si le fait n’est pas prouvé, il reste probable et la tradition populaire fait d’Obernai la ville natale d’Odile.
Mais, qui est à même de dire, où se trouvait la résidence du Duc Aldaric, à Ehenheim ?
En fait, les historiens ne se prononcent pas et c’est la tradition qui a situé, en une même place, l’antique villa d’Adalric et le château médiéval des Hohenstaufen.
Voyez la lithographie de Levrault qui représente l’édifice vers 1830. Sur les murs d’enceinte de la Ville, grande et bien lisible, on trouve l’inscription : ‘Stammhaus der Heiligen Odilia, Berceau de Sainte Odile et des maisons souveraines de France, d’Autriche, de Lorraine et de Bade’.
L’intitulé peut surprendre. Il est dû au curé d’Obernai Oberle, il retranscrit l’opinion courante à l’époque selon laquelle plusieurs familles régnantes verraient leurs origines liées à la descendance d’Adalric. Notamment, la famille de Habsbourg. En ces temps troublés, où après Waterloo les Autrichiens occupaient l’Alsace, la formule se voulait protectrice….
Si l’hypothèse du lieu de naissance d’Odile se discute, le fait est qu’à cette place se situait, quelques siècles plus tard, le château médiéval des Hohenstaufen. Et oui, Obernai a eu son château fort !
Le début du XIIème siècle a vu l’ascension de la dynastie des Hohenstaufen. Ce fut d’abord la chevauchée du duc souabe Frédéric le Borgne. Il s’attaqua aux Eguisheim pour s’implanter en Alsace. Frédéric fut un guerrier infatigable mais aussi un bâtisseur impénitent. C’est lui qui fit construire, en autres forteresses, le ‘Burg’ d’Obernai.
Son fils, Frédéric Barberousse et son petit fils Henri VI résidèrent, parfois, à Obernai. A l’époque, la cour se déplaçait au gré des conflits et des intérêts politiques du moment. Joseph Gyss, l’historien de la ville d’Obernai, a recherché les preuves de la présence des empereurs à Obernai.
En 1153, la chartre de Frédéric Barberousse en faveur de l’église Sainte Foy de Sélestat est rédigée à Hohenburg, au couvent fondé par Odile. Par contre, en 1178, le diplôme du même Frédéric en faveur de Saint Gorgon porte la mention ‘apud Ehenheim’. Le texte a été rédigé à Obernai. La même année, le duc Frédéric, fils de Barberousse, signe une charte qui porte le même intitulé ‘apud Ehenheim’.
La présence de Henri VI à Obernai, à son retour de Sicile en 1196, est attestée par plusieurs chartres. Deux portent la mention ‘ apud Ehenheim’, une troisième ‘ in Enheim’. Vous pouvez consulter ces documents dans l’Alsatia Diplomatica de Schoepflin. Henri VI est venu à plusieurs reprises dans le château érigé par son grand-père.
Le château d’Obernai, la Burg, ne devait pas avoir l’ampleur de Haguenau ou d’autres. Ce devait être un burg de dimensions modestes. Voyons ce que nous dit Koenigshoven de la campagne de l’évêque Henri de Stahleck en 1246.
… donoch fur dirre Bischof mit dem Swoben in Elsas und besas alle stette und burge die Keyser Friderich und sin sun künig Cunrat do hettent und sfleifent zwo gute burge, Wikersheim und Cronenberg, die andern kleinen burge verbrannt er, also Haldenburg, Andelo une Ehenheim.
‘Alors l’évêque se rendit avec les Souabes en Alsace et prit toutes les villes, tous les châteaux que tenaient l’empereur Frédéric et son fils le roi Conrad. Il détruisit deux belles forteresses, Wikersheim et Cronenbourg. Il fit incendier les autres petits châteaux comme Haldenbourg, Andlau et Obernai.’
La Burg d’Obernai n’était qu’un ‘petit’ château parmi d’autres. Elle est vouée aux flammes et ne sera plus relevée. Notre burg n’aura pas duré bien longtemps. 1120– 1246 !
Si le château est détruit, il semble, selon Joseph Gyss, que le fief qui lui est lié perdure tout au long du moyen âge. On trouve dans Schoepflin des chartes qui confirment les droits du fief à diverses familles.
- 1280 Les nobles de Wangen sont chargés de protéger les lieux par Rodolphe de Habsbourg. Schoepflin, AD 720
- 1288 Même type de diplôme toujours signé Rodolphe de Habsbourg, Schoepflin, AD 732
- 1316 Même type de document dans la chartre de Louis de Bavière, Schoepflin AD 903
Burg d'Obernai
Et puis, même le souvenir du fief s’estompe. Cependant, en parcourant l’ouvrage de notre ami Joseph, on retrouve ensuite les étapes de la vie de notre ‘Burg’. En 1470, la Ville acquiert la ‘Burg’et réorganise les lieux. On réaménage la ‘Burg’ en grenier public, et la Ville y stocke également le bois de charpente. Peu avant la guerre de Trente ans, la ‘Burg’ est un entrepôt où sont stockées les pièces d’artillerie de la Ville En 1779, le ‘Burg’ est occupé par le cocher et les chevaux de la ville. Plus tard, la ‘Burg’ accueille une école de filles, puis une école ‘ménagère’, jusqu’en 1970.
Aujourd’hui notre ‘Burg’ connaît une nouvelle destination, le bâtiment accueille l’Ecole de Musique d’Obernai et diverses associations locales. Un temps, on a pu penser qu’il pourrait abriter un musée municipal. Nos édiles en ont décidé autrement. Le bâtiment est fonctionnel, et l’aspect extérieur respecte, autant que faire se pouvait, les traces du passé. Témoin, à la base de l’édifice, côté rempart, un témoin étonnant et réjouissant de l’humour des tailleurs de pierre de la Renaissance !
Trinkspruchle
A la base du bâtiment, caché sous une vigne vierge sauvage, sur la doucine, court un texte gravé en écriture gothique. Regardez ! Lisez ! et surtout, souriez ! Il s’agit d’un Trinkspruch ! Les tailleurs de pierre d’antan avaient bien de l’humour !
‘ Zu vor must du o meister wyn han ee ich mich wolt recht lege lon’
Tentons une traduction ! Pas facile de rendre l’alsacien… essayons ! C’est la pierre qui parle…
‘Avant que je ne sois bien posée, il te faudra, maître, donner du vin !’
En ces temps de vendanges, saluons nos glorieux anciens !
Si le pampre de la vigne vous cache le texte complet, surtout ne le déplacez pas. Voici le relevé qu’en fit monsieur Henri Sauter en 1971. Quel talent !
- J.T de Koenigshoven, Chroniques, 1419
- Specklin, les Collectanées, 1580
- H. Peltre, La vie de Sainte Odile, en fin de l’ouvrage, textes relatifs à Saint Gorgon, 1719
- Schoepflin, Alsatia Diplomatica (réf des documents cités 328-357-359-363-538-720-732-903), 1761
- J. Gyss, Le château impérial des Hohenstauffen à Obernai, 1866
- J. Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
- J. Braun, le château impérial d’Obernai, SHADBO 1971
- C. Muller, Obernai, histoire et patrimoine, 2002
- M.T. Fischer, La vie de Sainte Odile, 2006
- La Burg, Lithographie de F.G.Levrault, 1830
- Dessin du Trinkspruch, H. sauter, 1971
- Photographies, PiP
Les termes indiqués en bleu et soulignés sont des liens vers d'autres articles de notre site. Cliquez sur le lien!
Vous pouvez aussi lire le poème de Goesli d'Ehenheim, rédigé à la même époque.