Le château de Guirbaden dans l’ histoire
Il domine la vallée de la Magel, non loin de Mollkirch, c’est la plus vaste ruine médiévale d’Alsace. Le château de Guirbaden est un site magnifique, perché dans les Vosges, noyé dans une superbe forêt. Nous allons tenter de donner les grandes lignes de sa longue histoire…
La plupart des notices historiques affirme l’occupation romaine du mont où se dresse le Guirbaden. Pourtant, lorsqu’on se promène dans les ruines et aux alentours, les vestiges ‘romains’ ne sautent pas aux yeux. D’où vient cette affirmation et qu’en est-il réellement ?
Château de Guirbaden
Nous avons souvent utilisé sur ce site la Chronique de Specklin, rédigée au XVIème siècle. Daniel n’était pas seulement l’auteur des Collectanées, c’était un architecte reconnu. Nous lui devons la modernisation des remparts de Dachstein, par exemple. Dans son livre ‘Architectura von Vestungen’, Daniel est le premier à parler de vestiges romains au Guirbaden. Voici, dans le chapitre qui parle des fortifications antiques des Vosges, le passage qui les décrit :
‘…. On trouve aussi des murs longs et larges, de toutes sortes. Je souhaite n’en mentionner que trois.
Près du Guirbaden, tout proches, se dressent un bon nombre de murs longs, larges et écroulés. A proximité, se dressent quatre ou cinq tours carrées qui mesurent encore 30 à 40 pieds de haut, si solides que personne ne saurait les détruire, et cet ensemble s’étend, à mon sentiment, sur une longueur de 4000 pieds.’
Les deux autres murs antiques cités par Specklin sont celui du Mont Sainte Odile, et celui du château de Hohnack. Specklin était le tenant d’une forte présence romaine dans les Vosges et parlait même d’un mur continu qui aurait couru tout au long de la chaîne ! Il suggère que sa création remonterait au règne de Tibère au IVème siècle.
Plus que cette théorie réfutée par les historiens modernes, c’est la description des lieux qui étonne. Quatre mille pieds de long, soit plus d’un kilomètre. Voilà qui ne passe pas inaperçu. Certes, sur le versant est du sommet, à droite du sentier balisé, en descendant vers Laubenheim, le promeneur remarque une ligne de pierres sèches. Mais les pierres sont amoncelées, non taillées, et ne ressemblent guère aux fortifications romaines. Quant aux quatre ou cinq tours, hautes de près de dix mètres, nous avons bien cherché mais n’en avons pas trouvé la trace.
Cependant, Schoepflin puis Grandidier ont suivi l’hypothèse de Specklin et le premier a même édité une carte du fameux mur romain qui aurait couronné les Vosges.
Plus récemment, Schweighaeuser s’est intéressé à l’affirmation de Specklin. Au début du XIXème siècle, il n’a vu à proximité du burg, comme nous aujourd’hui, que ‘des murs anciens et délabrés’ et se montre des plus circonspects sur les conclusions de ses prédécesseurs.
Quoiqu’il en soit à Guirbaden, la présence romaine est certaine dans nos Vosges : les temples du Donon, la voie romaine du Mont Sainte Odile, le castrum du Ringelstein sont des réalités. Le Purpurkopf et le sommet du Heidenkopf semblent avoir, eux aussi, été occupés par les romains. Alors, pourquoi pas le Guirbaden, même si les traces sont plus ténues ? Sa situation dominante au dessus de la vallée en font un poste d’observation appréciable. Et puis, si les fortifications romaines occupaient le sommet de la montagne, sans doute, comme à Hohenburg, ont-elles disparu lors de la construction du château du moyen âge.
C’est, une fois de plus, sur les traces de notre pape alsacien Léon IX que nous allons retrouver notre château quelques siècles plus tard. En décembre 1049, Léon signe une bulle en faveur du Monastère d’Altorf. Dans ce texte, il rappelle la consécration de l’église quelques dizaines d’années plus tôt par l’évêque de Strasbourg. Voici le paragraphe qui nous intéresse aujourd’hui.
….‘ L’évêque de Strasbourg Eckenbolt, à la demande de ce même Hugues, a consacré cette église à la célébration de ces reliques. Dans sa demande, Hugues a transmis à cette église les dîmes de sa propriété que l’on nomme Altdorf, et celle d’une ferme de montagne située près de Burcberck. Au sommet de ce mont se dresse un château. Hugues a également transmis les dîmes de toutes ses propriétés du voisinage. Ce fut fait en présence de l’abbé de Cluny, Mayeul, et devant d’autres primats.’…
Ce texte, dont l'authenticité est parfois mise en cause, mérite quelques explications :
- Notre pape Léon parle ici des reliques de Saint Bartholomé et de Saint Grégoire, vénérées à Altorf avant l’arrivée de celles de Saint Cyriaque en 1049.
- Hugues est le duc d’Alsace Hugues III d’Eguisheim, fondateur de l’abbaye d’Altorf en 966.
- Léon IX nous indique la présence lors du don d’Eckenbolt, évêque de Strasbourg de 965 à 991 et de celle de l’abbé Mayeul de Cluny, abbé de 953 à 994. Il fait bel et bien allusion à l’acte fondateur d’Altorf en 966.
Notre château de Burcberck serait donc présent dès cette période, avant l’an mil ! Il est possession des Eguisheim. Mais où est-il situé ? Schoepflin donne le texte complet de la bulle papale et nous précise en note :
‘Burcberck pourrait être l’endroit où se trouve le château de Guirbaden. De longue date, l’abbaye d’Altorf possède des droits en ce lieu et, de plus, des dîmes dans les localités voisines, Mollkirch, Grendelbruch, Schirmeck et Baerenbach.’
Cette hypothèse semble bien étayée, plausible. C’est celle couramment retenue. Burcberck était un château d’avant l’an mil, propriété des Eguisheim, il se dresserait au dessus de la Magel et de Mollkirch : ce serait le premier Guirbaden.
Note : Charles Laurent Salch propose une autre implantation pour le Burcberck. Purpurkopf serait une déformation de Burcberk, et ce premier château aurait donc occupé la butte située en vis à vis, sur l'autre rive de la Magel. Il aurait été abandonné en faveur du site actuel, plus à même d'accueillir une forteresse.
Château de Guirbaden
Le nom de ‘Guibaden’ pour notre château apparaît en 1192 dans une bulle de Célestin III concernant la chapelle du burg, possession de l’abbaye d’Altorf. Plusieurs explications ont été proposées pour l’étymologie de ce nom qui ne sonne pas ‘de chez nous’. Ni ‘burg’, ni ‘stein’ ! Retenons la plaisante version de L. Levrault. Guirbaden viendrait de Geyer, le vautour et de Bett, le lit. Guirbaden serait le ‘Nid du Vautour’. Bien trouvé pour une forteresse perchée dans la montagne. Non ?
Le château semble rester propriété des Eguisheim jusqu’à l’arrivée des Hohenstaufen en Alsace. En 1114, Frédéric le Borgne mène sa longue chevauchée du sud au nord de l’Alsace, s’emparant des places fortes des Eguisheim. Son frère, l’évêque Otton a fait assassiner Hugues d’Eguisheim quelques années plus tôt. La machine de guerre des Hohenstaufen est en marche, ils finiront par emporter la couronne impériale.
Sans doute le château de Guirbaden fut-il, comme tant d’autres, victime du conflit entre Eguisheim et Hohenstaufen. Quelques années plus tard, sous le règne de Frédéric II, les textes nous disent la conclusion de ces luttes.
Guirbaden, cartes postales anciennes, collection PiP
En 1220, le troisième époux, Frédéric de Linange, de la dernière des Eguisheim, Gertrude de Dabo, cède Guirbaden à l’évêque de Strasbourg pour conserver ses droits sur le Dabo. Le texte nous dit ‘ munitionem in Gürbaden cum quibusdam villis vallis Bruchsdal’ : la fortification de Guirbaden ainsi que les villages de la vallée de la Bruche. Visiblement, Frédéric de Linange voulait s’entendre avec l’évêque sur le dos des Hohenstaufen.
En 1236, dix ans après la mort de Gertrude de Dabo, la situation semble s’être apaisée. Un accord est signé entre l’empereur et l’évêque Bertholt de Teck qui récupère le Guirbaden alors occupé par les Hohenstaufen. C’est Henri, fils de Frédéric II, qui signe cet accord. Dans le texte, on trouve la phrase suivante : ‘ castrum novum ante Girbaden noviter constructum’ : un château neuf, récemment construit devant Guirbaden. Les Hohenstaufen n’ont pas seulement occupé le château des Eguisheim, ils l’ont considérablement agrandi !
En 1239, le comte de Linange accepte cet arrangement. Par la suite, le château de Guirbaden restera durablement, sans contestation nouvelle, aux évêques de Strasbourg.
Cette question peut surprendre. Pourtant, Specklin dans ses Collectanées affirme que l’ordre du Temple a bel et bien été en possession du Guirbaden. Dans son notule 1227, Daniel situe cette occupation sous l’évêque Jean de Dirpheim. (1306-1328). Berthold de Bucheck, son successeur, aurait repris le château et l’aurait embelli et agrandi. Aucun historien, aucun texte ne semble aller dans ce sens. Cependant, l’année 1307 a vu le début du Procès des Templiers, lancé par Philippe le Bel à Paris. Certains Templiers se sont réfugiés en terre d’Empire. Peut-être ont-ils, un temps, séjourné au Guirbaden. Frédéric de Salm n’a-t-il pas du prouver son innocence en subissant l’épreuve du fer rouge lors du concile de 1310, où on jugea les Templiers de l’Empire ?
Les lecteurs intéressés par cette hypothèse se reporteront à l’article de Louis Levrault. (cf. Sources )
Chateau de guirbaden
Les évêques de Strasbourg n’occupent pas la forteresse vosgienne. Ils délèguent leurs droits à des seigneurs qui habitent et gèrent le château et les terres. Les seigneurs de Balbronn sont les premiers cités. Par la suite, l’évêque Guillaume de Diest, toujours en mal d’argent, engage le château et les villages à Rodolphe de Hohenstein ( en 1395). Nous avons déjà raconté les démêlés et la guerre qui s’en suivit entre Rodolphe et l’évêque Guillaume en 1398. ( Cf. notre article : Les Remparts de Boersch).
Parmi les vassaux de l’évêque possessionnés à Guirbaden, Schoepflin cite Jean puis Burckhart de Hohenstein, Henri de Rodesheim, Werlin de Balbronn, Jean de Dorlisheim, Goetzon de Bischoffsheim et d’autres…
Un temps, la famille vassale de l’évêque prit le patronyme du château : on trouve des sires de ‘Girbaden’. Ceci fut de courte durée, Walter de Girbaden fut un des seigneurs qui s’engagea aux côtés de la Ville de Strasbourg contre son évêque Walter de Geroldseck lors de la bataille d’ Hausbergen en 1260. On comprend la réaction de l’évêque défait qui ne renouvellera pas sa confiance à cette lignée. Nous eussions fait de même. Le fief échoit alors à la famille de Landsberg.
Dans le village de Mollkirch, un vieux pont roman enjambait la Magel autrefois. Une des pierres était gravée, un chevalier casqué regardait une croix. Peut-être était-ce un souvenir des armes des chevaliers de Girbaden qui représentaient un chevalier casqué. Le pont a été reconstruit et la pierre n’est plus en place.
Le Guirbaden n’est pas cité lors de l’entrée en Alsace des Grandes Compagnies, pas plus lors du passage des Armagnacs.
Nous voici maintenant en 1475. Le Guirbaden est revenu aux Hohenstein. Le Duc de Bourgogne, Charles le Téméraire rêve de se constituer un royaume d’un seul tenant : réunir sa Bourgogne et ses possessions de Flandres. Il décide de s’en prendre à l’Alsace. Son début de campagne est désastreux : échec à Colmar, échec à Mulhouse… Les Impériaux passent à l’offensive et enlèvent Héricourt. Si l’empereur et l’évêque de Strasbourg sont farouchement opposés au Téméraire, certains nobliaux alsaciens sont attirés par les rêves du Duc de Bourgogne. Parmi eux, Jacques de Hohenstein, sire de Guirbaden, est de ceux-là. Il propose de livrer Guirbaden et le Kagenfels aux Bourguignons pour menacer Rosheim et Obernai et ainsi asseoir la pression du Téméraire sur Strasbourg. Belle stratégie !
Le complot sera éventé. L’évêque Ruprecht surprendra Jacques au Guirbaden pour l’enfermer dans les cachots de Dachstein. Nous avons raconté cet épisode en détail dans un autre article : le complot du Guirbaden.
Curieusement cette histoire haute en couleurs est rarement reprise par les historiens. Elle nous est connue grâce à Adam Walter Strobel dans son Histoire de l’Alsace. Le texte ‘fleuri’ de la prise du château par l’évêque Ruprecht, que nous publions intégralement dans l’article déjà cité, nous est parvenu dans la chronique de Johannes Knebel, vicaire de la cathédrale de Bâle, contemporain des faits. Passionnant !
A la suite de cette trahison des Hohenstein, le château de Guirbaden revient à la famille de Landsberg. Peu après, en 1477, Jean de Landsberg cède son château à Jérothée de Rathsamhausen. On le voit ensuite aux Müllenheim, avant de revenir aux Rathsamhausen jusqu’en 1696.
Il ne semble guère que le Guirbaden ait eu à subir les assauts des Paysans lors du Bundschuh. Trop éloigné de la plaine, sans doute. Par contre, il semble que notre place forte ait connu la Guerre de Trente Ans. Selon J. Gyss, un camp de Suédois, placé sous les ordres du colonel Harpf, était établi en 1633 au Guirbaden. La Ville d’Obernai devait fournir du vin et des vivres aux soldats retranchés à Guirbaden.
Mais, il semble que ce soit encore plus tard que fut ruiné notre château.
Lisons la curieuse légende populaire qui nous narre les dernières heures de la forteresse vosgienne.
On raconte que vers la fin du XVIIème siècle, une bande de soldats lorrains, sous les ordres d’un valet de château, s’étaient emparés du Guirbaden et en massacra tous les habitants. La légende raconte qu’une fois par an, les âmes de ces malheureux se réunissent pour juger le traître.
A minuit, le seigneur se lève de sa tombe et parcourt le manoir, afin de réveiller les domestiques. Quatre valets descendent dans une cave voûtée et en remontent le cercueil de la comtesse de Guirbaden. On forme un cercle autour du seigneur, et on amène le traître vêtu d’une chemise rouge. Alors, le jugement commence. L’accusé cherche à se défendre, mais en vain, toute l’assistance le déclare coupable. La comtesse qui est restée immobile jusqu’au prononcé de la sentence, s’écrie d’une voix claire : ‘Seigneur, venge la trahison !’. Aussitôt le coupable est massacré. On sonne le tocsin et tous les fantômes tourbillonnent autour du criminel, pou disparaître ensuite aux premières lueurs du jour naissant.
Le récit semble issu des écrits de Silbermann, qui dit avoir interrogé, en 1760, à ce sujet, des habitants de Dorlisheim qui avaient connu un vieillard qui leur aurait raconté l’histoire…. Bigre ! La vérité historique semble bien fragile.
Ces ‘Lorrains’ étaient-ils une troupe des Impériaux de la fin de la guerre de Trente Ans ? Ou bien, quelques décennies plus tard, un régiment des armées de Louis XIV qui devaient, démanteler les places fortes vosgiennes ? Nous ne saurions nous prononcer. Dans tous les cas, pour être désignés ainsi, ces ‘Lorrains’ devaient parler français…. Et ils ont détruit la plus vaste forteresse d’Alsace.
Le Guirbaden, dessins de Louis Laurent-Atthalin
Le château de Guirbaden est une propriété privée.
Depuis peu, une association œuvre pour la sauvegarde de Guirbaden. Le site est débroussaillé, mis en valeur, sécurisé. Souhaitons que les bénévoles puissent sauver le donjon et les autres vestiges de notre superbe ruine. Vous pouvez les rejoindre, vous pouvez les aider.
Si vous souhaitez les joindre, voici leur adresse : sauver.leguirbaden@laposte.net
Merci à vous, merci à eux !
- J. Knebel, Chronik aus der Burgunderkrieg, 1475
- D. Specklin, les Collectanées, notule 1227, 1580
- B. Herzog, Chronicon Alsatiae, 1592
- D. Specklin, Architectura von Vestungen, Pars II, chapitre V, 1608
- J.D. Schoepflin, Alsatia Diplomata, CCVIII, 1761
- J.D. Schoepflin, Alsatia Illustrata, T IV-297, 1761
- J.G. Schweighaeuser, Antiquités de l’Alsace, 1828
- A.W. Strobel, Vaterländische Geschichte des Elsasses, 1841
- L. Levrault, Le château de Guirbaden, 1856
- Kindler von Knobloch, die Herren von Hohenstein, 1884
- J. Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
- R. Wolf, Récits historiques et légendaires de l’Alsace, 1922.
- C-L, Salch, Châteaux Forts de l'an Mil, 2000
- Plan du Château, Marie Georges Brun, B.N.P.A. - contrat Creative Commons (CC-BY-NC-SA)
- Armes des Hohenstein, publiées par Kindler von Knobloch
- Lithographie des ruines, Engelmann, publiée par Schweighaeuser,1828
- Deux dessins de Louis Laurent-Atthalin, 1836
- Reconstitution ‘romantique’ du Guirbaden sous les Müllenheim,
- Relevé de la pierre gravée du pont sur la Magel à Mollkirch, PiP
- Photographies sur site, PiP
- Frédéric le Borgne dévaste le Mo
- Otton de Hohenstaufen, l’évêque assassin
- L’héritage de Gertrude de Dabo
- Les remparts de Boersch
- Le complot du Guirbaden
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