La prévôté de Truttenhausen, son histoire
Noyées dans un cadre de verdure, les ruines de Truttenhausen ne sont jamais plus belles qu’en automne. Profitez des derniers jours de beau temps pour admirer ce lieu rempli d’histoire. Goûtez le calme et la sérénité ! Voici en quelques lignes son histoire, longue et tourmentée.
Truttenhausen, comme beaucoup des monuments du Mont-Sainte-Odile, doit sa fondation à l’extraordinaire expansion du couvent de Hohenburg sous le règne des Hohenstaufen. L’empereur Frédéric Barberousse a relevé les deux couvents du Mont, ruinés par son père Frédéric le Borgne. Il y a installé l’abbesse Relinde qui a su donner l’essor refondateur à la congrégation de Hohenburg et de Niedermunster.
Herrade de Landsberg est l’abbesse qui succède à Relinde. Elle va lancer un nombre étonnant de chantiers autour du Mont. Parmi eux, la prévôté de Truttenhausen.
Au pied de Hohenburg, Herrade fait construire une chapelle dédiée à la Vierge, une église consacrée à Saint Nicolas, un hospice, lieu d’accueil des pèlerins, et un hôpital pour les malades. Soucieuse d’assurer l’avenir de cette fondation, Herrade la dote largement et s’assure la protection des plus hautes autorités de l’époque.
Les travaux commencent en 1181. La chartre signée du duc Frédéric, fils de Barberousse et avoué de Hohenburg, est le premier document qui nous raconte Truttenhausen. Elle date de la même année et Joseph Gyss suppose, avec quelques arguments, qu’elle fut signée dans la Burg d’Obernai.
Herrade a acheté les terrains avec l’aide d’un ministériel de Hohenburg : Gunther de Jugenhege.
‘ Pour l’entretien, (Herrade) leur assigna deux mesures de vin, deux marcs d’argent, monnaie de Strasbourg, vingt-huit rézaux d’orge, une prébende à Niedernai et à Rosheim, la dîme d’une terre à Sundhouse et à Eguisheim, trente deux arpents de terre, deux arpents de vigne avec une maison dans le finage de Goxwiller, quatorze arpents de terre et une maison à Bergheim, sept arpents de vignes à Heiligenstein.’
Ce sont les Augustins de Marbach qui vont s’installer à Truttenhausen, sous la direction du premier prévôt Volcmar. Dans la chartre de Frédéric, en contrepartie de cette fondation, les moines de Marbach sont chargés de servir les messes à Hohenburg. Herrade voulait avoir à proximité de Hohenburg des prêtres afin d’assurer les services religieux de son monastère.
Déjà, quelques années avant la fondation de Truttenhausen, Herrade avait doté le prieuré de Saint-Gorgon dans le même but. Elle avait fait alors appel aux Prémontrés d’Etival. Herrade entretenait des rapports suivis avec les deux congrégations religieuses. A-t-elle souhaité, avec cette nouvelle implantation, contrebalancer le pouvoir d’Etival, ou simplement compléter son dispositif ? Etait-elle déçue du peu d’ampleur de Saint-Gorgon ? Nous ne saurions trancher.
La chartre de Frédéric, duc d’Alsace, comporte une liste de témoins de qualité : Henri, frère de Frédéric et roi des Romains, de nombreux évêques : Besançon, Bâle, Worms, Strasbourg… et les membres de la noblesse locale. Pourtant Herrade ne s’en tiendra pas à cet acte. Elle aura soin de faire confirmer les droits de l’abbaye par le nouvel évêque de Strasbourg, Henri de Hasenbourg, puis par le pape Luce III. Ces deux derniers textes n’apportent guère de renseignements nouveaux.
Truttenhausen connaît comme Hohenburg et Niedermunster, à cette époque, ses années de prospérité. On voit le couvent s’agrandir, s’embellir, s’enrichir. Les textes ne cessent de prouver cette notoriété de Truttenhausen.
- 1192 Conrad de Landsberg opère un don de quarante marcs d’argent.
- 1245 Le pape Innocent IV prend le monastère sous sa protection et confirme ses biens. (cf. Alsatia Diplomata 1,390-391)
On note que les biens du couvent se sont agrandis. Sont cités des propriétés dans les villages et villes suivantes : Valff, Obernai, Niedernai, Meistratzheim, Goxwiller, Barr, Bergheim, Burgheim, Heiligenstein, Ingmarsheim, Eichhoffen et Gertwiller.
- 1288 Gunther de Landsberg finance une nouvelle chapelle dédiée à Sainte Marguerite et à Marie Madeleine.
- 1292 Le couvent achète, pour 36 livres deniers, le bois de Urlosholtz à la Ville d’Obernai. Cette vente sera la source de nombreux litiges entre Truttenhausen et Obernai.
Dans sa chronique, Bernhard Hertzog nous donne la liste des prévôts de Truttenhausen. Tous les noms sont latinisés, bien sûr.
- Wolmarus, 1181-1211
- Fridericus, 1211-1239
- Falcko, ancien abbé de Marbach, 1239-1242
- Wolframus, 1242-1253
puis se succèdent Hannemann, Eberhardus, Waltherus qui meurt en 1281.
- Heinricus II, qui régna vingt ans et mourut en 1304.
- Sifridus, 1304-1317
- Johannes I, 1317-1335
Ruines de Truttenhausen
Nous voilà, au milieu du siècle, avec le prévôt Johannes II, au maximum de la prospérité de Truttenhausen.
Johannes dirige la communauté pendant 25 ans, et acquiert, au prix de 150 livres deniers, de nouveaux terrains achetés à la Ville d’Obernai, toujours en quête d’argent, semble-t-il. Maximum de prospérité, certes ! Cependant de lourds nuages pèsent sur l’Alsace et sur la prévôté de Truttenhausen.
En 1365, le Roi de France Charles V ne sait que faire de ses Compagnies de suppléants de l’armée royale. Ces troupes incontrôlables et sans emploi depuis le traité de Brétigny ravagent la France. Il prend prétexte d’une ‘pseudo’ croisade contre les Turcs pour les envoyer sur les terres de l’Empire. L’Alsace va subir ces routiers sans foi ni loi qui vont ravager les campagnes de la Haute Alsace. Elles sont placées sous le commandement d’Arnault de Cervole, surnommé l’Archiprêtre. Nous avons raconté en détail dans un article rédigé l’an passé, la chevauchée des Compagnies en Alsace. ( Cf. sur notre site ‘L’Archiprêtre incendie la prévôté de Truttenhausen’).
Les Compagnies évitent les châteaux et les villes fortifiées pour s’en prendre aux couvents et villages, proies plus faciles. La prévôté de Truttenhausen est réduite en cendres.
Le prévôt Oswald de Berwenstein, de procès en litiges, fera de son mieux pour relever le couvent.
La chronique d’ Hertzog résume ces faits en une seule phrase :
‘Sous ce prévôt, le couvent fut incendié par les ‘Anglais’ qui ont dévasté l’Alsace en l’an 1365, avant d’être écrasés devant la Ville de Bâle.’
Hertzog, Edelsasser Chronick, Livre III
Les Collectanées de Specklin sont plus hautes en couleurs. ( voir les Notules 1539 à 1545 )
Le Couvent s’est relevé tant bien que mal. Les conflits avec la Ville d’Obernai se poursuivent et les registres de la Ville et ceux de la cour de Rottweil en font foi. Le pape Martin V est appelé à trancher, puis le concile de Bâle. Rien n’y fait ! En 1445, le prévôt Nicolas Weissenburger semble avoir atteint le bout de sa patience. Un jour, il rencontre sur le marché de Barr le notaire impérial Jean de Kageneck, qui portait alors les intérêts de la Ville d’Obernai. Il n’hésite pas à lui porter des coups de couteaux ! Un abbé qui attaque un notaire à l'arme blanche, voilà qui n'est guère courant ! On mesure l'ampleur qu'avait pris cette affaire! Cette anecdote nous est rapportée par Joseph Gyss, dans son histoire de la Ville d’Obernai.( Tome 1, page 290).
Entre temps, le dauphin de France, le futur Louis XI est entré en Alsace. Il occupe Rosheim, Bischoffsheim et Niedernai. Nous avons déjà raconté cet épisode sur ce site : ‘Les Ecorcheurs devant Rosheim’ ( cliquez sur le lien ). Truttenhausen est à nouveau détruit.
‘ nicht ohne grossen schaden und verderben’ nous dit Hertzog qui ajoute que le couvent fut, à nouveau, ‘reconstruit’. Ce qui laisse à penser du sort qui lui fit réservé.
Guerres, incendies et pillages ont entamé la richesse et la renommée du couvent. C’est aussi l’époque, où Truttenhausen, comme les couvents voisins, connaissent un relâchement de la discipline des moines. Une réforme est nécessaire, et l’évêché de Strasbourg prend les affaires en main (1454).
L’évêque Rupert fait appel à une communauté de moines de Westphalie, il convertit Truttenhausen en simple prieuré. Les incessants conflits avec Obernai sont réglés. Les moines se consacrent à leur bibliothèque qui connaît un bel essor. Une nouvelle église est construite. Ce sont ses ruines gothiques que nous admirons aujourd’hui.
Le chœur est terminé en 1468, le clocher en 1490, sous la direction du prieur Jean IV Thilmann. On peut alors croire à un renouveau de Truttenhausen.
L’insurrection paysanne de 1525 contre l’Eglise et les nobles qui écrasent le petit peuple sous les impôts et les taxes a été maintes fois décrite. Au pied du Mont-Sainte-Odile, Truttenhausen tient une place prépondérante dans cette révolte des gueux. Le couvent est occupé le 16 avril 1525, jour de Pâques, à l’heure de l’angélus. Il sera le siège de la troupe de paysans révoltés tout au long du Bundschuh.
Le Prieur Jean de Sanspach avait compris la situation, il s’était enfui avant l’arrivée de la troupe de Louis Ziegler. Nous avons raconté comment Ziegler avait été jusqu’à menacer la Ville d’Obernai. Pour plus de détails reportez vous à notre article ‘La Ville d’ Obernai assiégée par les Paysans’.
Les quelques semaines que dure l’insurrection, Louis Ziegler et ses troupes occupent Truttenhausen. Le prieuré est dévasté ! Le couvent ruiné !
Une ultime tentative de redressement est tentée par le prieur Antoine de Cologne, après le bain de sang de Scherwiller, qui vit la fin des espoirs de nos paysans en un monde meilleur.
Quelques années plus tard, un incendie mettra un terme aux efforts des moines. Voici la relation de Joseph Gyss :
‘Ces ruines étaient réparées, lorsqu’en 1555 le feu ayant pris dans la maison de bains, consuma le cloître et l’église. Les religieux abandonnèrent alors le couvent, pour ne plus y revenir.’
Les Landsberg étaient alors les avoués du lieu. Ils firent valoir leurs droits. A l’occasion du Traité de Westphalie, les ruines et les biens du couvent sont données aux Landsberg. En 1749 Les Landsberg cèdent leurs droits au Grand Chapitre de Strasbourg. En 1766, les Landsberg rachètent le domaine. En 1800, la famille de Turckheim acquièrent les ruines, qui restent leur propriété jusqu’à ce jour.
- Specklin, les Collectanées, Notules 1539 à 1545, 1580
- Bernard Hertzog, Edelsasser Chronik, Livre III, page 22, 1592
- J.D. Schoepflin, Alsatia Diplomata, Tome I, ref. 335,1761
- S.A. Wurdtwein, Subsidia Diplomatica, Tome X, ref. 35, 1788
- J. Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
- X. Ohresser, Le Prieuré de Truttenhausen, Aperçu historique, SHABDO 1974
- Lithographie D. Dantzer
- Lithographie J. Rothmuller, 1829
- Photographies, PiP
- Frédéric le Borgne dévaste le Mont-Sainte-Odile
- Frédéric Barberousse sur le Mont
- Hortus Deliciarum, le manuscrit disparu
- Un Prieuré à Saint Gorgon ?
- L’Archiprêtre incendie la prévôté de Truttenhausen
- Les Ecorcheurs devant Rosheim
- La Ville d’ Obernai assiégée par les Paysans
A proximité des ruines
Le promeneur ne manquera pas de s’approvisionner à la Ferme de Truttenhausen ! Exploitation en agriculture bio-dynamique. Les cochons courent en liberté ! Légumes, pain, produits laitiers… Le munster fermier est unique ! ( Vente à la ferme, le vendredi après midi )
Les ruines de Truttenhausen sont sises dans l’enceinte d’une propriété privée.
Elles sont ouvertes au public lors des Journées du Patrimoine.
Merci de respecter le calme du site.