La statue de Notre Dame de Neunkirch
Après-midi ensoleillée d’automne, couleurs pourpres des bois, le cycliste aime à parcourir le Ried, la tête dans les nuages. Le plan d’eau de Benfeld, Rhinau et son bac vers le Pays de Bade, le canal avec sa piste rectiligne qui prend plein sud. A un moment, il va falloir tourner, pour rentrer avant la nuit qui vient si vite maintenant.
Nous voilà à Neunkirch, un lieu insolite avec une bien belle histoire.
Neunkirch est un hameau de quelques maisons. Perdu en Friesenheim et Witternheim, le lieu est connu depuis le moyen âge, pour la découverte qu’on y fit, d’une statue miraculeuse de la Vierge. L’histoire est étonnante et mérite d’être rapportée. Voici l’anecdote racontée par Monsieur le vicomte Théodore de Bussierre.
‘Un pâtre de Friesenheim gardait habituellement son troupeau dans une forêt dépendante de la commune. Un jour, il déterra une grosse pierre, et il vit avec étonnement dans une de ses cavités une statuette de la sainte Vierge tenant l’Enfant Jésus dans ses bras. Le berger s’empressa de porter cette image à Friesenheim, et elle fut placée dans l’église paroissiale pour y rester exposée à la vénération des fidèles. Mais, dés le lendemain, elle avait disparu et on la retrouva à la place même où le pâtre l’avait sortie de terre. On la reporta à Friesenheim, et le jour suivant elle occupait à nouveau sa place primitive. Ce prodige se renouvela neuf fois. Neuf fois la statuette reprit le chemin de la forêt, sans que personne pût se rendre compte de sa disparition du sanctuaire qu’on lui avait assigné. On comprit alors que Marie voulait être vénérée au lieu où sa merveilleuse image avait paru au jour et auquel elle retournait avec une prédilection si marquée. On en référa à l’évêque de Strasbourg, le prélat chargea de l’examen du miracle une commission dont le rapport fut favorable, et une pieuse dame alsacienne fit ériger une chapelle au lieu que la sainte Vierge semblait vouloir protéger spécialement. La chapelle prit le nom de Neunkirch (Neuf-Eglise) en mémoire des neuf voyages de la statue miraculeuse, et aussitôt les fidèles s’y portèrent en très-grand nombre.’
Théodore relate joliment la tradition populaire de la statue de Neunkirch, trouvée par un pâtre qui menait ses cochons dans le Ried et aurait découvert cette image de la Vierge.
La statuette est toujours présente à Neunkirch. De petite taille, une dizaine de centimètres, taillée dans l’ivoire, elle est présentée dans une des trois chapelles du pèlerinage de Neunkirch.
C’est une image élégante de la Vierge, qui porte un sceptre dans sa main droite et l’enfant Jésus sur le bras gauche. Jésus tient un livre ouvert et désigne un passage du texte, sans doute un verset de la Bible.
Selon la plupart des spécialistes, la statue daterait du XIVème siècle.
Désolé de devoir contredire Théodore, notre ami le Vicomte, mais l’église de Neunkirch existait bien avant le XIVème, et n’a pas été fondée après la découverte de la statuette de la Vierge. L’église de Friesenheim n’a pas plus pu accueillir la statue : elle n’existait pas… Théodore écrit bien, mais il n’est guère sérieux.
Paul Adam a publié en 1966 un livre intitulé ‘Notre-Dame de Neunkirch’, où il retrace avec forces détails l’histoire du site. Selon cet historien, les deux villages de Friesenheim et de Witternheim décidèrent, fort tôt, de fonder une église commune à mi-chemin des deux communautés : une ‘Feldkirche’, comme il s’en construisit tant en Alsace à cette époque. Eglise la plus récente du Ried, elle prit le nom de Neukirche, la nouvelle église. Le plus souvent, ces églises des champs devinrent peu à peu le centre de villages. Ce ne fut pas le cas de Neunkirch, le hameau ne comptait que l’église, le presbytère et une ou deux fermes. Les habitants des deux villages venaient à pied, à travers bois et champs, assister aux offices.
Selon Paul Adam, dés 1300, l’église dépendait directement de l’évêque de Strasbourg. Paul cite une chartre datée de 1342, où l’évêque Berthold de Bucheck mentionne ‘l’église paroissiale de Nunkirche de notre diocèse, dont la collation nous appartient’. Avant que notre statuette ne fut sculptée.
Paul Adam a retrouvé les noms de plusieurs ministres du culte : Johannes, Ysinhard Kewelin, Gotzo de Grostein, sur les pièces comptable liées à l’église.
Nous avons raconté dans un article précédent la vie de l’évêque Jean de Dirpheim. Jean avait fondé l’Hospice de Molsheim et l’avait largement doté. L’évêque Berthold avait sagement poursuivi cette politique. Par contre, le belliqueux Guillaume de Diest amena saccages et guerres… L’Hospice était ruiné. Pour lui redonner quelques ressources, Guillaume se démit de ses droits sur Neunkirch en faveur des chapelains de l’Hospice. La chartre de l’évêque est signée le 13 mai 1425 à Saverne.
Son successeur Robert de Bavière rénove l’église de Neunkirch, ainsi que l’indique la date encore visible aujourd’hui sur le fronton de la chapelle qui abrite la statue. L’inscription ‘’Ave Maria, anno domini 1455’ montre que l’église était à cette date dédiée à la Vierge. Les textes de l’époque confirment ce fait. Paul Adam relève dans les registres les appellations suivantes :
Die Kirche unser lieben Frauwenn zuo Nunkirche -1472
Pfleger unser Lieben Frowen zu Nunkirche - 1480
Schaffner zu Nunkirch unser Lieben Frowen kirch -1481
Nul doute, l’église de Neunkirch est, dés cette époque, dédiée à la Vierge, et vraisemblablement, le pèlerinage existe déjà. Les fidèles viennent demander la protection contre les inondations du Ried par les eaux du Rhin et de l’Ill. Les comptes de la paroisse indiquent que le pèlerinage était d’ores et déjà florissant.
La statue de Neunkirch était-elle déjà présente à cette époque ? Et comment est-elle parvenue dans le Ried ? Paul Adam propose quelques pistes. La statue pourrait être tout simplement le cadeau d’un seigneur des environs ou bien de l’évêque de Strasbourg. Nous ne savons. En tout cas, la ferveur populaire ne se démentira pas, et le pèlerinage va continuer à prendre de l’importance. Les récits miraculeux et leurs nombreuses variantes ne feront que le rendre plus populaire encore. Trouvée sous une pierre par un porc, ou dans une source par une brebis, inattendue dans une petite église de campagne, la fine statuette fascine.
Les Registres de Comptes montrent une affluence et des dons toujours plus importants.
La pierre où le jeune pâtre aurait découvert la statue a été conservée et est aujourd’hui scellée dans le mur nord de la chapelle Sainte Marie. Selon les croyances de l’époque, il suffisait au pèlerin de toucher cette pierre pour être guéri de ses maux de ventre. Essayez !
En 1590, l’évêque Jean de Manderscheid confie l’hospice de Molsheim à la ‘bonne gestion’ des Jésuites. L’hospice n’accueillait plus guère de malades et les bâtiments vont être utilisés pour y installer un collège. L’Eglise de Neunkirch passe à la même occasion aux Jésuites, qui ne peuvent que se réjouir de profiter des revenus confortables du pèlerinage du Ried.
En 1632, la Guerre de Trente Ans exerce ses ravages. Les Suédois envahissent Neunkirch, dévastent et incendient les lieux. Ils s’emparent de la statue de la Vierge. Fort heureusement, la statue est restituée aux Jésuites qui la présenteront, le temps des conflits, dans l’église de Molsheim, avant son retour à Neunkirch.
En 1674, la statuette est dissimulée dans l’église de Benfeld, lors des conflits, et revient à Neunkirch après la victoire de Turenne et le traité de Nimègue.
Les Jésuites restent à Neunkirch jusqu’à la dissolution de la compagnie en 1765.
Sous leur direction, on constate un embellissement et un agrandissement du pèlerinage. Les Jésuites tiennent la liste des nombreux miracles attestés de Neunkirch dans la Chronique de Molsheim. Paul Adam publie un extrait de ce texte étonnant . Voici la Chronique de 1719 :
Un homme qui depuis plusieurs années souffrait d’une grave tumeur de la gorge, promit d’offrir deux cierges de huit livres à l’autel de la Vierge miraculeuse de Neunkirch. Il avait à peine déposé les deux cierges et prié devant la Vierge qu’il fut délivré de son mal. Depuis un an, il n’en est plus incommodé !
Une femme riche atteinte de surdité entreprit le pèlerinage de Neunkirch. Déjà en chemin elle se sentit mieux. Se confessant dans l’église de Neunkirch, elle entendit parfaitement les paroles du confesseur !
Un bourgeois de Osthoffen souffrait depuis deux ans de graves douleurs intestinales. Il n’arrivait plus à dormir. Il se rendit à Neunkirch, communia à l’autel de la Vierge et se sentit mieux. Il resta toute une journée devant l’autel. Le lendemain, il était complètement guéri. Il revint tout joyeux chez lui.
….
Un seigneur originaire d’Alsace tomba gravement malade au cours du siège de Saint Sébastien en Espagne. Lorsque sa noble mère l’apprit, elle s’adressa à Notre-Dame de Neunkirch et commença une neuvaine pour son fils. Après la prise de forteresse, le seigneur obtint de son général la permission de rentrer. Il revint dans sa famille au cours du troisième jour de la neuvaine, à la grande joie de tous.
Bigre ! Les personnes intéressées liront avec profit le livre de Paul.
Lors de la Révolution Française, peu soucieux des idées nouvelles, l’abbé Hürstel se cache à Neunkirch. En 1794, il est menacé par les Révolutionnaires jusque dans son refuge dans le Ried. Il doit se dissimuler dans une cache de l’église lors de l’irruption des Révolutionnaires. Ceux-ci ne le trouvent pas, mais s’emparent de la statue de la Vierge. On imagine la stupeur et la peine de l’abbé après le départ des voleurs !
C’est encore notre ami le Vicomte de Bussierre, qui nous rapporte cette anecdote.
‘ L’abbé Hürstel possédait une somme de 500 francs, c’était toute sa fortune. Désolé de la perte de l’image, il donna cet argent à un pieux paysan de Friesenheim et le supplia de se mettre à la recherche de la statuette, et de ne pas revenir sans l’avoir découverte. Le paysan suivit la direction qu’avait prise les cavaliers et arriva à Geipoltzheim ; là on lui conseillât de se rendre à Enzheim, parce qu’on savait que des gens de cette endroit avait pillé plusieurs églises du voisinage. Il repartit, s’arrêta à la poste aux chevaux qui servait en même temps d’auberge, et il se mit à causer avec une vieille femme qui était là pour servie les voyageurs. On parla des malheurs du temps, et la bonne vieille, bien que protestante, lui raconta que la veille son fils s’était rendu à Neunkirch et qu’il y avait enlevé une petite statue de la vierge, mais qu’effrayée de ce vol, elle l’avait supplié de lui confier l’image. L’homme de Friesenheim, pénétré de joie, fit alors connaître le but de son voyage à son interlocutrice , et celle-ci s’empressa de lui livrer son précieux dépôt. L’abbé Hürstel conserva soigneusement la statuette et la replaça en son ancien lieu lorsque la France fut soumise de nouveau à un gouvernement régulier.’
Note : Le récit de notre ami Théodore est fortement remis en cause par les historiens de l’époque qui ne croient pas en la présence de l’abbé lors de l’irruption des révolutionnaires. Selon eux, Hürtsel se serait tout simplement, comme beaucoup de prêtres, réfugié en Suisse en attendant les temps meilleurs…
Le dernier voyage de la Vierge de Neunkirch eut lieu lors de la dernière Guerre en 1939. Les villageois sont évacués dans le Périgord. Ils emporteront avec eux ‘leur’ statue qui attendra la paix retrouvée dans l’église Saint-Julien d’Eymet. Nous vous proposons une vue de Neunkirch à la fin de la guerre.
Les lieux ont été réaménagés et modifiés tout au long de la longue histoire de Neunkirch. Aujourd’hui sur le site, on distingue :
- La chapelle Notre-Dame qui date de 1455 et est le sanctuaire le plus ancien. C’est là qu’est exposée la Statuette de Notre Dame de Neunkirch.
- La chapelle des Saints Auxiliaires, construite en 1879.
- L’église Sainte-Anne, terminée en 1891.
Pélerinage de Neunkirch
Le pèlerinage est, de nos jours, toujours fréquenté.
- T. de Bussierre, Culte et pèlerinages de la Très-Sainte Vierge en Alsace, 1862
- P. Adam, Notre Dame de Neunkirch, 1966
Le livre de Paul Adam donne une histoire très complète et bien documentée de Neunkirch, surtout dans sa période moderne. Il est malheureusement difficile de le trouver.
Nous avons eu le bonheur de le trouver à Obernai: Alsa- Passions, un vrai profesionnel !
- Photographies, PiPPage de couverture du livre de Paul Adam, dessin de P. Nuss
- Dessin de Hélène Kieffer
- Lithographie 1820
- Ex-voto daté de 1798
- Photographie ancienne datée de 1945, tirée de l’ouvrage de P. Adam