L’évêque Remigius fonde l’abbaye d’Eschau
Odile, fille du duc Adalric, est la plus connue d’une longue lignée de religieuses et religieux. Son frère Adelbert fonde les abbayes de Saint-Etienne et Honau. Les trois filles d’Adelbert seront abbesses des abbayes créées par les Etichonides. Deux neveux d’Odile deviendront évêques de Strasbourg. Heddon sera le fondateur de l’abbaye d’Ettenheim, toute proche, située de l’autre côté du Rhin. Et nous consacrons l’article de ce jour à Remigius qui succéda à Heddon à l’évêché de Strasbourg en 776.
La chronique de Koenigshoven ne donne que peu de détails : ‘803, Remigius. Dirre stifte das closter zu Eschowe noch gotz gebürte DCCCIII ior, uñ brohte sant Suffien uñ vil ander heiltum in das selbe closter ( K.154 )'.
Voici ce que dit Bernhart Herzog de notre bon évêque, dans sa chronique datée de 1592.
Pour nos lecteurs qui ne liraient pas le ‘gothic’ et l’allemand, osons un petit résumé.
Remigius est un neveu de Sainte Odile, très jeune, il est nommé abbé de Munster avant de succéder à son cousin à l’évêché de Strasbourg. Contemporain et protégé de Charlemagne, Remigius souhaite, lui aussi, fonder son abbaye. Il choisit pour l’implanter une petite île, entre l’Ill et le Rhin, à quelques kilomètres au sud de Strasbourg. L’église fut d’abord consacrée à la Vierge et à Saint Trophime, qui fut le premier évêque d’Arles. Remigius dote ce nouvel établissement de tous les biens qui lui revenaient de son héritage du duc Adalric. Pour achever d’asseoir la renommée de l’abbaye, Remigius se rend à Rome afin d’ obtenir du Pape Adrien de ces reliques qui attirent la ferveur et les dons des fidèles. Adrien semble avoir bien reçu la demande de Remigius, il est vrai soutenu par l’empereur Charlemagne, et lui accorde le corps de Sainte Sophie et ceux de ses trois filles.
Les reliques furent déposées par Remigius le 10 mai 777. On voit encore en l’église d’Eschau, un reliquaire gothique de pierre, où les reliques furent, un temps, conservées.
L’abbé Grandidier nous apprend que Remigius releva également un couvent en Suisse, à Schoenenwerd, dans le canton de Soleure. Ce couvent était dédié à Saint Léger. Toujours selon Grandidier, Remigius meurt en 786, son tombeau se trouvait à Eschau. Certains historiens, dont Hunckler, le classent dans la liste des ‘bienheureux tutélaires de l’Alsace’.
En 926, les Hongrois détruisent l’abbaye. L’abbatiale est relevée par l’évêque Widerold en l’an mil, dans la forme que nous lui connaissons aujourd’hui : nef, collatéraux, transept et vraisemblablement également l’abside et son décor d’arcades aveugles.
L’abbaye connaît les temps troublés du Moyen Age en Alsace. L’approche de la Réforme fait chuter la renommée et les revenus de l’abbaye. Du temps de l’abbesse Gertrude de Rathsamhausen, l’abbaye ne comporte plus que seize moniales. La Guerre des Paysans marque la fin de l’abbaye en 1525. L’abbatiale passe alors au Grand Chapitre de la Cathédrale de Strasbourg. La Révolution Française installe une auberge dans les bâtiments conventuels. Peu de temps après, les restes du couvent sont démolis.
Fort heureusement, l’abbatiale de Widerold nous est restée, avec ses lignes pures, exemple rare en Alsace de ces églises de l’an mil. Longueur : 32 mètres, largeur : 18 mètres, hauteur de la nef : 12 mètres. On appréciera les vastes arcs en plein cintre à la croisée de la nef.
Formes épurées, dépouillement, l’abbatiale se veut rigoureuse. Pourtant une série de statues polychromes vient décorer l’édifice. Dans ce décor austère, elles sont particulièrement mises en valeur.
Le visiteur reconnaîtra successivement : Remigius, le fondateur d’Eschau, Sainte Barbe, Saint Trophime, Sainte Catherine… Nous avons choisi de vous présenter la statue de Saint Christophe, particulièrement réussie dans l’expression du visage du saint et dans son mouvement, penché sur l’eau, s’assurant à l’aide d’un long bâton noueux.
Terminons par le groupe dédié à Sainte Sophie et à ses trois filles : Fides, Spes et Caritas. R
emiglius avait rapporté les reliques de ces saintes de Rome. Le groupe polychrome qui orne aujourd’hui Eschau est du XVème siècle. Une splendeur !
La terrible histoire de ces enfants martyrisées sous l’empereur Hadrien en 122 est d’une violence étonnante. Voici le texte de Jacques de Voragine dans la Légende Dorée :
‘Nous allons raconter le martyre de Sophie et de ses trois filles, Foi, Espérance et Charité. C’est à sainte Sophie qu’est consacrée la cathédrale de Constantinople. Cette sainte avait élevé ses filles sagement dans la crainte de Dieu. La première de ses filles avait onze ans, la seconde dix et la troisième huit. Etant venue à Rome avec elles, et visitant les églises tous les dimanches, elle fut dénoncée à l’empereur Adrien, qui fut si frappé de la beauté des trois vierges qu’il offrit de les adopter comme ses propres filles. Mais les trois vierges refusent l’offre et se proclament chrétiennes. Alors Foi est rouée de coups par trente-six soldats. En second lieu, on lui arrache les mamelles, et des mamelles jaillit du sang, et du lait des blessures. Les spectateurs acclament la jeune fille, et celle-ci, toute joyeuse, insulte son persécuteur. En troisième lieu, elle est mise sur un gril ardent, en quatrième lieu plongée dans un mélange d’huile bouillante et de cire. Et comme tout ceci ne lui fait aucun mal, en cinquième lieu on lui tranche la tête. Vient ensuite le tour de sa sœur Espérance ; mais elle non plus, ne consent pas à sacrifier aux idoles. On la plonge dans un chaudron plein de graisse, de cire et de résine. Des gouttes tombant de ce chaudron brûlent les infidèles, mais la jeune fille ne souffre aucun mal. Enfin, on lui tranche la tête. La troisième fille, encore toute enfant, refuse à son tour de flatter Adrien et de lui obéir. Le cruel empereur lui fait rompre les membres, il la fait fouetter, il la fait jeter dans un four enflammé d’où sortent des étincelles qui tuent six mille païens, mais la petite ne souffre aucun mal et se promène parmi les flammes comme rayonnante d’or. On la perce alors de pointes de fer rouge, et on finit par lui trancher la tête : ainsi elle recueille la couronne du martyre. La sainte mère ensevelit pieusement les restes de ses filles, puis se couchant sur leur tombeau, elle dit ‘Filles chéries, prenez moi près de vous !’ Et aussitôt elle s’endormit en paix et fut ensevelie avec ses filles….
Quant à l’empereur Adrien, il pourrit vivant et finir par crever, en avouant qu’il avait injustement torturé des saintes de Dieu !
Plusieurs dalles funéraires rappellent le long passé de l’abbatiale. Malheureusement peu éclairées et ayant subi l’usure du temps, on de distingue pas toujours le détail des tracés. Voyez en fin d’article, la pierre tombale de l’abbesse Minnelina (1480), relevé de Monique Halm-Tisserant.
Voici l’épitaphe de Jérome Betschlin (1540) que nous avons choisie pour son graphisme d’un bel effet.
Du temps de sa splendeur l’abbaye d’Eschau possédait un cloître roman. Situé au nord de l’église, il n’existe plus aujourd’hui. Fort heureusement, les diverses fouilles des lieux ont permis de découvrir les chapiteaux romans des colonnettes, et un fragment du cloître d’Eschau a été reconstitué au sein du Musée de l’œuvre Notre Dame à Strasbourg.
Les fines colonnes de grès jaune étaient alternativement simples ou jumelées. Les chapiteaux à palmettes portent les scènes de la vie du Christ : Annonciation, Nativité, Annonce aux Bergers, les Mages devant Hérode, l’Adoration des Mages, le Baptême dans le Jourdain, la présentation au Temple… Au dessus des gravures les sommiers sont gravés d’ inscriptions latines explicitant les thèmes choisis. Les chercheurs se sont penchés sur les sommiers orphelins, plusieurs chapiteaux disparus représentaient la Résurrection de Lazare, la parabole du mauvais riche, d’autres scènes encore.
Les sculpteurs d’Eschau ont traités avec la même finesse des sujets plus allégoriques : Samson terrassant le lion, deux béliers affrontés, David et sa harpe, une cigogne qui tient un serpent dans son bec…
Place aux images !
Les Chapiteaux d'Eschau
Selon R. Forrer, présent lors des fouilles, incomplètes, la longueur des galeries était de 20 et de 26 mètres. R. Will opte pour des dimensions plus réduites : 12 sur 19 mètres. Quoiqu’il en soit l’ensemble devait être le plus beau cloître d’Alsace.
Toujours au Musée de l’œuvre Notre Dame, dans la même salle, est exposée une cuve baptismale de la même époque, et de la même main, trouvée, elle aussi à Eschau. Un temps utilisée comme margelle de puits (sic), la cuve est ornée des motifs de la même inspiration que les chapiteaux. Magnifique !
- Généalogie simplifiée des Etichonides, PiP
- Texte de B. Herzog avec les armes de l’évêque Remigius
- Photographies prises à Eschau, PiP
- Dessin de la pierre tombale de l’abbesse, Monique Halm-Tisserant.
- Photographies monochromes des chapiteaux d’Eschau, extraits de la revue Cahiers de l’Art Médiéval, Volume V, 1967
- Photographie cuve baptismale et chapiteau du bœuf et de l’âne, PiP
- J de Voragine, La Légende Dorée, 1260
- J.T. Koenigshofen, die älteste Teutsche sowohl allgemein.., 1419
- B. Herzog, Edelsasser Chronick, 1592
- P. Grandidier, Histoire de l’Eglise de Strasbourg, 1777
- Hunckler, Histoire des saints d’Alsace, 1837
- R. Will, Alsace Romane, 1965
- S. Braun, Alsace Romane, 2010
- J.-P. Meyer, Deux sculpteurs du XIIe siècle en Alsace : les Maîtres d’Eschau et d’Andlau
- ( document en ligne sur Internet, très clair, très complet )
Nos autres articles dédiés à la sculpture romane près du Mont-Sainte-Odile. ( cliquez sur le lien )
- La statuaire de l’église de Rosheim
- La stèle du Mont-Sainte-Odile
- La frise
- Dietrich de Bern combat un dragon, à Rosheim et à Andlau
- Le tireur d’épine de Valff
Sans oublier, toutes les chapelles romanes des environs….et Niedermunster !