La Chapelle des Larmes
Voilà quelques mois, nous avions narré l’histoire de la Chapelle Pendante, appelée aujourd’hui Chapelle des Anges. Nous voici, à nouveau sur les terrasses du Mont-Sainte-Odile. C’est l’occasion de dire quelques mots sur l’autre édifice des terrasses, la Chapelle des Larmes et de reparler de la légende d’Odile. De tout temps, les promeneurs ont aimé admirer le paysage exceptionnel, visible du Mont. Témoin ce dessin de Touchemolin, publié en 1878.
Odile, fille du duc d’Alsace Adalric, née aveugle, a été chassée par son père à sa naissance. Elle a recouvré la vue lors de son baptême à Palma. Jeune fille, de retour sur le Mont, sa conduite pousse le duc Adalric a lui offrir son château de Hohenbourg pour y fonder le couvent appelé aujourd’hui Couvent du Mont Sainte Odile. La Chapelle des Larmes est liée aux circonstances de la mort d’Adalric. La vie du duc d’Alsace était loin d’être irréprochable, aussi à sa mort Adalric était bien loin d’avoir mérité sa place au paradis.
Les moines de l’abbaye Saint-Gall gardent un document fort ancien, daté du Xème siècle, qui raconte la vie d’Odile. Marie-Thérèse Fischer nous propose une adaptation de ce récit. Voici les lignes qui content la douleur d’Odile à la mort de son père.
‘Adalric ne vécut plus très longtemps par la suite et son dernier jour arriva. Odile eut une révélation céleste : son père se trouvait dans le lieu des châtiments, à cause des péchés pour lesquels il n’avait pas accompli de pénitence suffisante en ce monde. La mort de son père l’ayant saisie d’un immense chagrin, elle s’appliqua à supplier Dieu par des veilles, des jeûnes, des prières, se rappelant qu’il avait dit à ses disciples. « En vérité, je vous le dis, tout ce que vous demanderez dans la prière, croyez que vous l’avez déjà reçu, et cela vous sera accordé. »
Or le Seigneur voulut consoler sa servante d’un si grand chagrin. Alors qu’elle priait dans un endroit écarté au flanc de la montagne sur laquelle se dresse le monastère, et qu’elle se tourmentait pour que son père soit délié de ses fautes, le ciel s’ouvrit…
On le voit, le texte de Saint-Gall nous dit qu’Odile priait ‘dans un endroit écarté au flanc de la montagne’. La légende d’Odile est un rien différente. Odile aurait prié et pleuré dans une chapelle isolée, et ses pleurs aurait érodé la roche. Bigre !
Au centre de la Chapelle des Larmes, sous une grille, le rocher apparaît, marqué par une cupule qui aurait été creusée par les larmes d’Odile pour le salut de son père. Sur la gravure de Springinfeld, on voit Odile agenouillée en prières, et exaucée puisque Jésus lui apparaît alors qu’un ange vient délivrer Adalric pour l’emmener vers les cieux.
Combien de pèlerins, avant la pose de la grille, ont-ils cherché à obtenir un fragment du rocher où priait Odile ?
N’est-ce pas plutôt là qu’il faut voir l’origine de l’ampleur du creux dans la roche ?
Note : Certains auteurs parlent d’une cupule, bien plus ancienne, dédiée à un culte celtique. Fichtre !
La Chapelle des Larmes
La chapelle est située à l’extrémité du plateau gréseux. Elle a été construite sur le site de l’ancien cimetière mérovingien. L’humble édifice est entouré de tombeaux, fort anciens, taillés dans le roc.
Les bases de la chapelle dateraient du XIIème siècle, peut-être du temps d’Herrade de Landsberg, lors de la re-fondation du couvent. Victime des nombreuses vicissitudes connues par Hohenbourg, guerres et incendies, la chapelle est presque ruinée lors du rachat par l’évêché de Strasbourg en 1853. Elle est relevée par le vicaire Schir en 1855. Voici une vue de la chapelle d’alors, on retrouve la baie géminée, elle était alors surmontée d’une façade droite percée d’un oculus quadrilobé.
C’est lors de la campagne de travaux 1932-1934, que l’architecte Robert Danis crée l’étonnante toiture quatre pentes, que nous voyons aujourd’hui. La chapelle a gardé ses deux travées, la première avec une voûte en berceau, la seconde présente une coupole en pendentifs.
La décoration de la chapelle a beaucoup évolué lors de sa longue histoire. Un temps, la chapelle était appelée Chapelle Sainte Eugénie, du nom de la nièce d’Odile dont les reliques étaient alors conservées à cet endroit. Aujourd’hui, vous pouvez admirer les mosaïques réalisées en 1935 par Alphonse Gentil et Eugène Bourdet. De prime abord, le visiteur est surpris : la présence de mosaïques pleines de couleurs dans une chapelle ‘romane’ peut l’étonner. Puis, il s’attache aux personnages et aux sujets traités.
De part et d’autre de l’entrée, les symboles des évangélistes accueillent le visiteur. A votre droite, le Taureau de Luc et l’Aigle de Jean dominent deux lions. Leur font face les deux médaillons de Marc, le Lion et de Mathieu, l’Ange.
Cette représentation classique des évangélistes est assez éloignée de la vision qu’avait Ezéchiel, première mention de ces symboles dans la Bible.
‘Ils ont chacun quatre visages, chacun quatre ailes, des pieds de taureau, chaussés comme de sabots de taurillon en cuivre poli. Sous leurs ailes, des mains d’homme tournées des quatre côtés comme leurs ailes et leurs visages. …
Aspect de leur visage, chacun a une tête d’homme, une tête de lion à droite, une tête de taureau à gauche, et une tête d’aigle. Ce sont des têtes oui, et il y a des ailes étendues sur le tout, l’une des paires jointive, et l’autre leur couvrant le corps.
La deuxième travée de la chapelle est surmontée d’une coupole. Gentil et Bourdet ont choisi une aquarelle de l’Hortus Deliciarum pour orner cette surface sphérique. Herrade aimait utiliser le cercle pour présenter les sujets les plus complexes. Ici, l’abbesse de Hohenburg a pour sujet les sacrifices du Nouveau Testament.
Le Christ est couronné d’une couronne et d’une mitre, il office tel un prêtre. Dix personnages représentant les vertus l’entourent formant une magnifique rosace. Obéissance, abstinence, compassion, justice, pauvreté, sobriété, largesse, chasteté, pénitence et confession. Les textes qui relient les vertus au Christ, en forme de dialogue, sont tirés des Psaumes.
Prenons pour exemple la Pauvreté. Le Christ dit ‘Quand j’aurai faim, je ne te le dirai pas’ et la Pauvreté répond : ‘Que rendrai-je au seigneur pour tout ce qu’il m’a donné ?’ (Psaumes, 50;12 et Psaumes, 116;12)
Derrière l’autel, occupant donc les places les plus en vue, Léon IX le pape alsacien et Eugénie, nièce d’Odile et deuxième abbesse du couvent d’Hohenburg. Sur le mur est de la chapelle, on trouve, en pied, les figures tutélaires de l’Alsace, saint Arbogast et saint Florent, saint Amand et saint Materne.
Leur faisant face, sainte Attale et sainte Richarde. Attale, nièce d’Odile et abbesse de l’abbaye Saint-Etienne à Strasbourg, est suivie de Relinde, abbesse qui redonna sa splendeur à Hohenburg au XIIème siècle. Richarde, impératrice, fondatrice du couvent d’Andlau est accompagnée par Herrade de Landsberg. Les figures d’Herrade et de Relinde sont inspirées des dessins d’ Herrade dans l’ Hortus Deliciarum.
Vous ne verrez les deux dernières mosaïques qu’en vous retournant pour quitter la chapelle. Elles ont situées de part de d’autre de la porte romane. A droite, Odile est en prière, mains jointes, tête courbée. L’artiste s’est inspiré du seul dessin d’Herrade qui représente Odile, la Fondation de Hohenburg. Même attitude, même drapé rouge qui recouvre la tête de la première abbesse de Sainte-Odile.
La surprise vient de la représentation d’ Adalric ! Le duc de la Chapelle des Larmes ne ressemble à aucune des autres représentations du père d’Odile. Nous sommes bien loin du mérovingien, coiffé de nattes, du personnage brutal, couronné, qui aurait, par colère, tué son propre fils. Adalric est présenté, en pied, vêtu d’un grand manteau rouge vif et porte des bottes de la même couleur. Autour de lui, les falaises rocheuses qui représentent sans doute le Mont, sont en flammes ! Partout le feu qui cerne le duc d’Alsace. Sans doute un symbole des tourments qui menaceraient le duc sans les prières de sa fille.
Le visage d’Adalric, brun, portant de minces moustaches noires et un collier de barbe est tout aussi inattendu. Son attitude, ferme malgré les flammes ; son regard assuré, dur, ne manqueront pas de vous intriguer.
- J.A Silbermann, Beschreibung von Odilienberg, 1835
- M.T. Fischer, La Vie de Sainte Odile, 2006
- J.M Le Minor, A. Troestler, F. Billman, Le Mont Sainte Odile, 2008
- J.C. Wey, Hortus Deliciarum, 2009
- Photographies actuelles de la chapelle, PiP
- Gravure de Springinfeld, ‘Odile dans la chapelle’, publiée dans le livre de M.T. Fischer
- La Chapelle vers 1925
- Les terrasses, dessin de Touchemolin,1878
- Les deux chapelles et les jardins, dessin de Silbermann, 1835
( cliquez sur le lien )
- La Chapelle Pendante
- La vie de Sainte Odile
- Le duc Adalric
- L’Hortus Deliciarum
- Saint Florent
- Saint Materne
- Sainte Richarde
- Le Pape Léon