Escapade au Kastelburg
‘Pierre, tu deviens monomaniaque avec tes châteaux d’Ottrott et le Mont Sainte-Odile’ m’a récemment susurré un ami proche. 'Tu devrais bouger un peu.'
Ah ? Oui, peut-être. Pas vraiment convaincu, j’ai cependant obtempéré et me suis lancé dans un long voyage, lointain, à l’étranger. Enfin, vous jugerez par vous même.
Si nos Vosges sont couronnées d’une ligne de châteaux forts, sachez que, de l’autre côté du Rhin, la Forêt Noire offre un pendant tout aussi riche. Au Moyen Age, Alsace et Pays de Bade formaient une seule entité, plutôt divisée nord-sud. Au Nord l’évêché de Strasbourg, au Sud l’évêché de Bade. Sommé de m’éloigner du Mont, je me suis contenté de prendre le bac de Rhinau pour rejoindre la petite ville de Waldkirch dans la vallée de l’Elz.
Waldkirch est citée dés l’année 918 dans les textes. Le Duc de Souabe Burkhart fonde alors le monastère de Sankta Margaretha, non loin de la rivière. Le couvent de moniales prospère, et bien vite, il va falloir le protéger, fonder une avouerie et construire un château fort pour l’abriter.
Le Château de Kastelburg à Waldkirch
Le château dont nous voyons aujourd’hui les ruines n’est sans doute pas le premier qui ait existé, il fut sans doute précédé par un burg moins puissant, plus petit.
- 1213 Mort de Conrad de Schwarzenberg, seigneur de Waldkirch. Avec lui s’éteint la lignée. Ce sont les Eschenbach qui reprennent le nom et les armes à la fin du Grand Interrègne. Ils s’installent à Waldkirch et construisent le château.
- 1289 Première citation du Kasterburg sous ce nom
- 1324 Walter de Schwarzenberg, capturé lors d’un conflit, doit payer une énorme rançon 400 Marcs d’argent. Il ne saura jamais rembourser le prêt contracté auprès des Habsbourg.
- 1354 Vente du château et de la seigneurie au chevalier Martin Malterer. Au service de Léopold d’Autriche, Martin deviendra Landvogt de Brisgau et d’Alsace. Il agrandit et fortifie considérablement le Kastelburg. Martin meurt sans enfant à la bataille de Sempach (cliquez sur le lien pour connaître l’histoire étonnante de cette bataille et ses conséquences.). Le burg revient aux Habsbourg.
- La seigneurie est alors passée aux comtes de Sulz, qui semblent fort belliqueux. La chronique rapporte qu’entre 1421 et 1423, l’abbé de Rhinau vivait enchaîné dans les geôles du château. Bigre !
- 1426 Prise du château par Jacques de Bade.
- 1443 Nouvelle prise du château de Kastelburg par Louis de Blumeneck.
- Vers 1500, formidable incendie, alors que le château est revenu à Berthold de Staufen.
- 1525 Occupation du château et de la ville lors de la Guerre des Paysans.
- 1557 Anton de Staufen est le dernier membre de la lignée des seigneurs du Kastelburg, qui revient une nouvelle fois aux Habsbourg. Le château sert alors de prison ou caserne.
- 1632 Lors de la Guerre de Trente Ans, les protestants occupent la place. Les impériaux tentent de la reprendre. Le château est enfin détruit et pillé afin qu’il ne tombe pas aux mains des Suédois. Le burg ne sera plus qu’une ruine.
Le marcheur accède aux ruines du Kastelburg à partir du centre ville par un bon chemin empierré à travers la forêt. Le burg est construit sur un éperon rocheux qui domine la ville.
Pour assurer la sécurité, les seigneurs de Schwarzenberg ont fait creuser, côté amont, un large fossé que l’on franchit sur une passerelle. Voici le plan des ruines.
Les lices sont vastes et cernées par une muraille bien conservée. Deux larges brèches permettent une vue sur la forêt avoisinante.
La partie haute du château (Kernburg) a malheureusement perdu les remplages sculptés de ses portes et fenêtres, sans doute lors de la Guerre de Trente Ans. Le bastion circulaire devait porter les canons de cette époque. Seuls les volumes et les murs du logis seigneurial subsistent.
Le donjon carré est bien conservé, il semble doté d’un escalier intérieur pour atteindre le sommet, mais celui-ci était fermé lors de notre visite. Une petite tour circulaire le jouxtait et permettait l’accès aux étages.
Les lignes et la hauteur de cette tour sont de toute beauté. Marquants !
Kastelburg, intérieur du Kernburg
Le promeneur complétera sa visite par le tour des fossés : les vues sur les murs impressionnent.
Lorsque nous visitons les ruines des Châteaux de Forêt Noire ou du Palatinat, nous sommes toujours étonnés par les différences frappantes avec les restaurations de nos châteaux alsaciens.
Côté français, l’accent est surtout mis sur le respect du patrimoine. Nos travaux sont soumis, et c’est fort heureux, à l’approbation des services de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles). Ainsi, les formes et les procédés de construction sont respectés. Nos ruines sont plus ‘authentiques’.
Côté allemand, il semble que l’intérêt touristique soit privilégié. Les accès aux burgs sont plus faciles. Les abords des ruines sont aménagés, parfois fleuris. La signalétique est abondante. La sécurité des visiteurs est assurée par des rambardes et des garde-fous fort bien étudiés. On trouve même des tables et bancs de pique nique jusque dans les lices du Kastelburg ! La visibilité des châteaux à partir de la vallée est étudiée, certains arbres sont coupés et les ruines se voient de fort loin, pour la joie des touristes et des restaurateurs des environs.
S’il m’était donné, un jour, d’avoir à restaurer des ruines, il me semble que je chercherais un équilibre entre ces deux visions.
Sauvegarde et respect du patrimoine, mise en valeur et visibilité.
Pour le plus grand plaisir de tous !
- Photographies DaP, JoD et PiP
- Schéma des ruines, PiP
Avec l’aimable participation de mon ami Jean.
Et un clin d’œil à Damas et Jo.