Henri VI de Hohenstaufen (1165-1197)
Henri de Hohenstaufen n’a régné que huit années. Fils de Frédéric Barberousse et père de Frédéric II qui étonna le monde, Henri n’a trouvé que peu de place dans les livres d’histoire. Au mieux, on se souvient des surnoms qui lui furent attribués lors de sa conquête de la Sicile: Henri le Sévère, Henri le Cruel. L’homme était plus complexe. Il mérite que nous lui consacrions un article.
L’enfance et la jeunesse d’Henri
1165 Naissance de Henri à Nimègue, il est le fils de l’empereur Frédéric Barberousse et de Béatrice de Bourgogne. C’est le deuxième des six garçons de Barberousse. Son frère aîné Frédéric meurt à l’âge de six ans. Henri est très tôt le successeur désigné de son père.
1169 Henri est élu Roi des Romains à Aix la Chapelle, il a quatre ans. La couronne impériale est élective, ce titre de Roi de Romains est un premier pas pour l’élection qui viendra un jour. Frédéric Barberousse se montre prudent et avisé en désignant son fils dés le plus jeune âge.
1174-1178 Henri suit Frédéric Barberousse lors de sa campagne en Italie. C’est encore un jeune garçon. Comme les princes de l’époque, il se forme avec son père à l’art de la guerre.
1184 Fiançailles avec Constance de Hauteville, fille de Roger, roi de Sicile. Ce mariage est voulu par Barberousse qui souhaite étendre encore les possessions des Hohenstaufen en Italie. Au cas où Guillaume, frère de Constance, venait à mourir, celle-ci serait l’héritière de la Sicile.
Henri se semble pas avoir apprécié ces savants calculs : sa fiancée a onze ans de plus que lui !
1186 Mariage d’Henri et Constance à San Ambrogio près de Milan. Henri a 21 ans, Constance 32 ans.
1187 Chute de Jérusalem aux mains de Saladin et appel à une nouvelle croisade
1189 Départ de la troisième croisade qui voit Philippe-Auguste, Richard Coeur-de-Lion et Frédéric Barberousse unir leurs forces pour reconquérir Jérusalem. Le jeune Henri est nommé régent de l’Empire pour le temps de la croisade. Il a 24 ans.
1189 Mort de Guillaume de Sicile, Constance sa sœur devait lui succéder. Elle se voit disputer le trône par Tancrède de Lecce, fils illégitime de Guillaume.
1190 Mort accidentelle de Frédéric Barberousse en route vers Jérusalem. Henri est le candidat naturel à la succession.
1191 Couronnement impérial de Henri VI par le pape Célestin III à Rome au mois d’avril. Henri a 26 ans. Empereur du Saint Empire, Henri est décidé a conquérir par tous les moyens l’héritage de son épouse : la couronne de Sicile.
Henri VI, poète à ses heures
Avant d’en venir à ses démêlés avec Richard Coeur-de-Lion et aux événements de Sicile qui lui vaudront sa réputation de cruauté, disons quelques mots d’Henri. Voici tout d’abord le ‘portrait’ qui apparaît dans le Codex Manesse, compilé et illustré vers 1310
Jeune homme blond, à la barbe fournie, et trônant entouré des insignes de son rang, Henri fait belle figure. Le Codex Manesse recense les ‘Minnesänger’, ces trouvères de langue germanique. Henri est le premier d’une liste de 140 poètes allemands cités dans le codex. Outre cette image, le Manesse propose un poème composé par Henri. Le texte est en prose, Henri y parle, fort sérieusement, d’amour, il compare la femme de ses pensées à une pierre précieuse. Henri ne cite pas de prénom, on se sait s’il s’agit de son épouse Constance.
Continuons par un autre poème, bien différent, celui que nous propose l’historien Bernhart Herzog en préliminaire du récit du règne d’Henri dans ses chroniques de l’Alsace (1565).
On peut lire : ‘ Henri VI, digne d’éloges succéda à son père, il régna huit années pleines, célébré pour sa vertu. Il s’est montré avisé et agréable. Il aimait à discuter même s’il dût réprimer sévèrement. Pour l’Empire, il a su tirer profit du pays des Welsches. Il a soumis la Calabre, réuni la Sicile à l’Empire, ainsi que les Apulies, il a conquis de nombreux pays. Il est mort près de Messine.’
Herzog commençait chaque chapitre consacré à un empereur par quelques vers qui résumaient la vie de celui-ci. Le portrait d’Henri est plutôt élogieux.
Henri VI et Richard Coeur-de-Lion
1191 Première tentative d’invasion de la Sicile qui se termine par l’échec du siège de Naples. On le voit, Henri n’a guère hésité, sitôt couronné, il cherche à conquérir le Royaume de Sicile.
Mais, la situation en Allemagne le pousse à rebrousser chemin : Henri le Lion mène la révolte des Guelfes contre son autorité. C’est alors qu’a lieu l’aventure rocambolesque du retour de Terre Sainte de Richard Cœur-de-Lion.
Nous avons déjà raconté cette histoire dans un article voilà quelques années ( cliquez sur le lien : le Retour de Richard). En voici un bref résumé. Richard apprend en Terre Sainte les victoires répétées de Philippe-Auguste qui reprend peu à peu les possessions des Plantagenets en France. Pressé par le temps, entouré simplement de quelques soldats, déguisé, Richard rentre de Jérusalem. Il décide étonnamment de passer par l’Autriche. Sans doute, son inimitié avec Philippe-Auguste l’a poussé à éviter les côtes françaises. Reconnu, Richard est arrêté par les Autrichiens près de Vienne en 1192. Il est livré à Henri VI qui le retient prisonnier au château de Trifels. Il y restera jusqu’en février 1194.
Le lecteur est en droit de s’étonner. Comment et pourquoi Henri retient-il de longs mois prisonnier un roi qui revient de la croisade entreprise avec son propre père Frédéric Barberousse ?
La décision d’Henri peut s’expliquer de la façon suivante :
- Richard est allié avec le Guelfe Henri le Lion, opposant déclaré des Hohenstaufen en Allemagne.
C’est pour Henri un casus belli ! - Richard soutient ouvertement Tancrède de Lecce qui s’est déclaré roi de Silice, en place de Constance. Ceci n’est guère supportable pour Henri.
- Philippe-Auguste est ravi de voir Richard retenu au Trifels : il a les mains libres en France.
Philippe encourage Henri a prolonger la captivité de Richard. - Jean-sans-Terre, régent du royaume d’Angleterre n’est guère pressé de voir rentrer son frère.
Il ne fera rien pour lui.
D’où la longue captivité de Richard et surtout le montant exorbitant de la rançon demandée à l’Angleterre. Seule la vieille reine, Aliénor d’Aquitaine, se battra pour libérer son fils.
Le 4 février 1194, libération de Richard.
Le paiement de l’énorme rançon permettra à Henri VI de financer sa deuxième tentative d’invasion de la Sicile.
Henri VI et la Sicile ( épisode 2)
Enfin riche et débarrassé de Richard, Henri va se tourner vers la Sicile lorsqu’il apprend la mort de son ennemi.
20-02-1194 Mort inexpliquée de Tancrède de Lecce. Ce décès va permettre à Henri une ‘conquête’ facile de la dot de son épouse. Retour d’Henri VI en Italie en mai 1194. Fin octobre, Henri pose pour la première fois le pied en Sicile.
20-11-1194 Entrée triomphale à Palerme, couronnement de Henri, roi de Sicile.
Selon les chroniques et la restitution de G.A. Clauss, 1890, les Palermois ont accueilli avec ferveur leur nouveau suzerain et son épouse. Mais tout ceci n’est que façade, jamais les Siciliens n’accepteront un roi issu du nord des Alpes, pas plus que les Allemands n’auraient reconnu un empereur italien.
26-12-1194 Naissance du fils d’Henri et Constance, le futur Frédéric II
A peine quelques jours plus tard a lieu le premier soulèvement sicilien contre Henri VI. La réaction d’Henri est terrible :
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Arrestation de la veuve de Tancrède, la reine Sybille et de ses enfants, destitution de tous leurs titres. Sybille sera enfermée à Hohenbourg (Mont Sainte-Odile) avec ses filles jusqu’à la mort d’Henri VI. Son fils, le petit Guillaume est interné à Hohenems, près du lac de Constance, où il meurt en 1198. Henri lui aurait fait crever les yeux.
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Arrestation de tous leurs proches, y compris l’évêque de Salerne, il seront tous bannis de Sicile. L’évêque et les barons siciliens sont internés au château de Trifels. Plusieurs ont les yeux crevés.
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Henri fait ouvrir les tombeaux de Tancrède et de son fils Roger dans la crypte de la cathédrale et fait éloigner les corps. Il aurait même récupéré les couronnes et bijoux sur les deux cadavres.
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Arrestation de la princesse byzantine Irène, fille de l’empereur de Constantinople et veuve du fils aîné de Tancrède. Cette princesse devait également être bannie et emprisonnée. Mais, Philippe de Souabe, frère d’Henri s’éprend de la demoiselle et la sauve de la prison. Ils se marieront en 1197 à Augsbourg.
La dureté d’Henri envers Richard avait tout juste surpris ses contemporains, la répression de la révolte sicilienne lui vaudront son surnom : Henri le Cruel.
Note : Nous avons raconté Sybille sur le mont Sainte-Odile ( cliquez sur le lien )
Henri VI, la croisade et la Sicile ( épisode 3)
En fait, Henri a bien compris les raisons du soulèvement brutal des Siciliens. Le pape Célestin reste un ennemi des Hohenstaufen, les voir s’implanter durablement au sud de l’Italie et en Sicile n’est pas du goût de l’Église. La papauté dirige en sous main la lutte contre Henri VI. Tentant un rapprochement, Henri propose de lancer une nouvelle croisade.
Mars 1195 Annonce d’une croisade pour la reconquête de Jérusalem. Henri souhaite une croisade allemande sans l’aide des royaumes de France et d’Angleterre.
Avril 1195 Retour en Alsace d’Henri et de sa cour.
Août 1195 Mort d’Henri le Lion et, par suite, retour au calme en Allemagne. Trêve dans la lutte entre les guelfes et les gibelins, qui durera jusqu’à la mort d’Henri. Henri consacre ces deux années à régler ses affaires allemandes avant de partir en Terre Sainte. C’est à cette période qu’il réside à plusieurs reprises dans le Burg d’Obernai, d’où il signe plusieurs décrets dont nous avons déjà donné la liste par ailleurs ( cliquez sur le lien ).
1196 Assassinat de Conrad, duc de Souabe et frère de Henri VI, par le duc Berthold de Zähringen, à Durlach. Henri VI n’a plus alors que deux frères encore en vie : Otton, le duc de Bourgogne et Philippe, le petit dernier, qui devient Philippe de Souabe.
Février 1197 Début de la croisade, départ des contingents allemands pour l’Italie et la Sicile
Mars 1197 Arrivée d’Henri en Sicile où il retrouve Constance après une séparation de deux ans.
Henri peut croire ses ennuis éloignés : il a levé une immense armée qui l’a précédé en Terre Sainte, son rapprochement avec la Papauté semble bien réel. Le petit Frédéric est un bel enfant : Henri travaille à rendre la couronne impériale héréditaire, il fait nommer son fils Roi des Romains avant de partir pour cette croisade qu’il mènera, seul souverain chrétien, et qui ne peut -être que victorieuse. Tout semble pour le mieux. Lorsque...
Mai 1197 Nouveau soulèvement des nobles siciliens contre Henri. C’en est trop, il faut en finir avant de partir pour Jérusalem. La campagne est courte et brutale.
Siège de Castrogiovanni, aujourd’hui Senna ( très jolie bourgade toute en style baroque, perdue au milieu de la Sicile, allez-y ! ) La ville est enlevée par les troupes impériales. Procès public des conspirateurs, tous condamnés à mort. Ils seront soit pendus, soit brûlés, soit écartelés, soit empalés, soit noyés en mer…. Le prétendant au trône de Sicile se verra fixer sur la tête une couronne par des clous de fer en présence d’Henri.
‘Nun hast du endlich die Krone nach der du gelangt hast . Ich neide sie dir nicht. Geniesse, wonach du so eifrig gestrebt hast !’
‘Tu l’as enfin cette couronne que tu as tant souhaitée. Je ne suis pas jaloux ! Profite de ce que tu as voulu avant tant de zèle !’
Bigre ! Le surnom de cruel se confirme.
La révolte écrasée, Henri prend ses dernières mesures avant le départ pour rejoindre les Croisés.
25-mai 1197 Philippe de Souabe est armé chevalier, il épouse la princesse Irène de Constantinople à Augsburg, puis traverse les Alpes, il se rend en Italie pour chercher le petit Frédéric qui doit rester en Alsace tout le temps de la croisade de son père.
28 septembre 1197 Courte maladie et mort de l’empereur Henri VI. Il devait rejoindre ses troupes en route vers Jérusalem, c’était la plus forte armée vue à ce jour pour une croisade. (16 à 18 000 chevaliers et soldats)
Henri meurt près de Messine, en présence de son épouse Constance, à quelques jours de ses 32 ans.
La mort d’Henri VI reste inexpliquée. On a parlé d’empoisonnement, on a accusé les rebelles siciliens, et même évoqué la culpabilité de Constance, sans apporter d’éléments sérieux allant dans ce sens. La première décision de Constance, veuve, est de rappeler son fils près d’elle. Le petit Frédéric ( 3 ans) ne partira pas avec son oncle Philippe vers l’Alsace.
Epilogue
1197-1198 La croisade voulue par Henri, avait peu de chances de succès sans lui. Les croisés apprennent la mort de l’empereur alors qu’ils connaissent leurs premiers succès.Ils n’iront pas à Jérusalem. Préoccupés par le guerre de succession à l’empire qui s’annonce, les chefs négocient une trêve avec les Musulmans : la côte restera aux Chrétiens et l’accès aux Lieux Saints sera garanti.
1198 Mort du pape Célestin II remplacé par Innocent III.
En Allemagne, la mort inattendue d’Henri pose un terrible problème de succession.
Pour les Hohenstaufen, le fils d’Henri, le petit Frédéric est resté en Sicile. Des six fils de Barberousse, seuls deux sont encore en vie : Otton, le duc de Bourgogne et Philippe de Souabe. C’est Philippe qui est désigné candidat à l’Empire.
Face à eux, les Guelfes ont leur candidat : Otton de Brunswick, fils d’Henri le Lion. Bien entendu, Otto sera le candidat soutenu par la papauté face à la famille honnie des Staufen.
C’est le début du Petit Interrègne (1197-1208). Cette période de troubles dans tout l’Empire sera cruellement ressentie en Alsace et sur le Mont Sainte-Odile. Mais ceci est une autre histoire que nous vous raconterons très prochainement. (C’est promis.)
Conclusion
La discrétion relative des historiens sur l’empereur Henri VI semble imméritée. Certes, les personnalités de son père Frédéric Barberousse et de son fils Frédéric II peuvent expliquer ce silence. Cependant, l’action et la politique d’Henri ne sont pas à négliger et les trois grands projets de son court règne révèlent une intelligence politique et une volonté peu communes :
- rattachement du sud de l’Italie et de la Sicile à l’Empire
- passage de l’Empire de l’élection à la transmission héréditaire
- croisade germanique
La mort d’Henri a mis fin à ces formidables ambitions qui n’auront été que des rêves. Mais quels rêves et que de ténacité !
Quant à la cruauté avérée d’Henri… n’oublions pas la façon dont, outre Vosges, le ‘bon’ roi Philippe-Auguste mena quelques années plus tard la croisade contres les Albigeois. La sensibilité ne semblait pas de mise chez les rois et empereurs du XII-ième siècle. Henri était un homme de son temps.
Poète, ambitieux et cruel.
Cet article dédié à mon ami Frédéric !
Sources
- D. Specklin, les Collectanées, 1580
- B. Herzog, Chronicon Alsatiae, 1592
- J. Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
- H. Jericke, Kaiser Heinrich VI. der unbekannte Staufer, 2008
Illustrations
- Richard Coeur de Lion, l’onction royale, Flores Historiarum, 1250
- Constance de Sicile et son fils Frédéric, Bürgerbibliothek Bern, Codex 120,II,f. 138
- Entrée dans Palerme, restitution de G.A. Clauss, 1890
- Tombeau de Henri VI, à Palerme, sur Wikipédia
- Généalogie des Hohenstaufen, PiP