Découverte de fours à chaux aux Châteaux d’Ottrott
Voici le récit d’une aventure qui se déroule près de chez nous, à quatre cents mètres de nos Châteaux de Rathsamhausen et de Lutzelbourg à Ottrott . Michel, notre ami bénévole, qui a plus d’une corde à son arbalète, chausse, en ce petit matin ses bottes de cueilleur de champignons et se dirige dans les bois d’Ottrott.
Son panier se remplit petit à petit de bolets, avant qu’il ne tombe par hasard sur une structure de pierres, évidemment construite de main d’hommes, de forme ronde, d'une hauteur de deux mètres dans la partie visible de son élévation et d'un diamètre d'environ trois mètres, adossée à un talus abrupt.
La découverte du four N°1
Intrigué par cette découverte en plein bois, Michel en informe PiP, président de notre association. En sa compagnie, ils trouvent à fleur de surface des petites pierres blanches bien étranges en ces terres où le grès des Vosges prédomine. Les AmChOtt se retrouvent autour de ces pierres blanches, que nous identifions rapidement pour du calcaire. Mais que font-elles ici et d’où proviennent-elles? Serait-ce un four à chaux ? Cette chaux qui lie les pierres de nos châteaux en mortier ou qui recouvre les façades des murs en badigeons?
Voici donc une nouvelle énigme à résoudre pour notre fine équipe de limiers.
L’enquête commence autour d’une carte géologique du B.R.G.M, à la recherche d’une zone de calcaire. Nous pensons tout d’abord aux collines pré-vosgiennes de calcaire oolitique d’Obernai Bischoffsheim.
Nos géo-trouve-tout arpentent les affleurements de Bischoffsheim et prélèvent des échantillons que nous comparons à ceux de la structure circulaire. Le résultat nous étonne : la structure en forme d’œuf de poisson du calcaire oolitique ne correspond pas à notre découverte.
Il nous faut chercher ailleurs, mais les roches environnantes sont essentiellement :
- du grès supérieur dans lequel on taille les pierres des châteaux,
- du conglomérat (poudingue de Sainte-Odile) sur lequel nos châteaux sont posés,
- du porphyre aux carrières de Saint-Nabor, dont la dureté fut longtemps exploitée notamment pour le ballast de nos lignes de chemins de fer.
Nous poursuivons nos recherches et examinons une carte plus ancienne (1950) pour y découvrir au sud-ouest du village d’Ottrott, en forêt, un toponyme qui nous interpelle : « Fr à Chaux »
Bigre ! Comme dirait l’autre.
Il y avait une exploitation de chaux à Ottrott !
- La forêt environnante fournissait le bois pour chauffer le four à haute température.
- La source proche fournissait de l’eau pour provoquer le choc thermique nécessaire pour fragmenter la roche en poudre.
- Notre calcaire ne doit pas être bien loin de ce toponyme.
Nos arpenteurs repartent sur cette nouvelle piste, gravissent le « Chemin des carrières », qui donne sur l’ancienne voie ferrée des carrières de Saint-Nabor, ils découvrent le bâtiment de l’exploitation en ruines, remontent les anciens sentiers des wagonnets pour arriver jusqu’aux alvéoles d’une carrière de…calcaire !
Hautes de 20 mètres, des falaises taillées par l’homme, non reportées sur les cartes IGN, révèlent un gisement de calcaire à entroques et de dolomies à lingules d’où proviendraient nos roches.
Les échantillons sont aussitôt comparés par notre ami géologue Grzegorz et c’est une évidence : les roches sont identiques. Nous tenons le bon filon !
Les fours N°2 et N°3
La carrière est située à 150 mètres au-dessous de nos châteaux, distante d’un kilomètre et demi sur les chemins muletiers.
Nous décidons de parcourir cet itinéraire à la recherche d’un chemin « médiéval » .
Certains sentiers sont creusés dans le relief et bordés de murs de soutènement en pierres sèches.
Pour conforter notre théorie, s’offrent à nos yeux d’observateurs, un deuxième site circulaire de quatre mètres de diamètre (Four 3 sur nos schémas), puis nous trouvons enfin un troisième four, rectangulaire taillé directement dans la roche (Four 2 sur nos schémas).
Ces sites sont aussi parsemés de calcaire en tous points identiques à la découverte de Michel.
Il y a bien un lien entre le filon de calcaire, les trois constructions que nous pensons être des fours et les châteaux : un chemin ancien.
Note : Les sites des fours N°2 et N°3 n’ont pas été déblayés des branches mortes et feuilles qui les garnissent.
Examen du four N°1
Retournons explorer plus en détail l’« invention » de Michel : le Four 1
Après un simple dégagement des branchages et feuilles mortes, nous pouvons apprécier la structure et mesurer cette construction:
- 3 mètres à 3,5 mètres de diamètre
- hauteur 2 mètres dans sa partie visible, adossée à la colline
- épaisseur des murs 1 mètre environ.
Four 1
Les pierres des murs sont en grès supérieur, visiblement trouvées et taillées sur place, non maçonnées.
Les faces intérieures, coté four, sont éclatées par l’action d’un feu.
Le sol est jonché de pierres calcaires, et de morceaux de charbon de bois, ce qui nous conforte dans l’idée que ces structures étaient d’anciens fours à chaux !
Nous n’avons pas souhaité chercher plus avant, pour ne pas endommager le site.
Les fours à chaux et les châteaux d’Ottrott
A ce stade de notre étude, sans datation des trois fours retrouvés, il n’est guère possible de se montrer affirmatifs ou précis quant au lien entre nos châteaux et nos fours. Notre conclusion sera faite de conjectures.
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Les fours découverts par Michel et Etienne sont fort probablement liés aux châteaux. Si ce n’était pas le cas, ils seraient situés plus bas dans la forêt, à proximité de la carrière.
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Au Moyen-âge , nos châteaux n’étaient pas cernés par la forêt comme de nos jours. L’ensemble de l’éperon rocheux était totalement déboisé. Juste des prairies. Les seigneurs voulaient que l’on voit de loin leurs châteaux, symbole de leur puissance. Ils voulaient aussi assurer leur sécurité et voir s’approcher un ennemi potentiel. Les fours ont donc été construits, un peu plus loin, un peu plus bas, en alliant au mieux trois nécessités : la proximité de la carrière de calcaire, la présence d’une forêt riche en bois nécessaire à la cuisson de la pierre, et la présence de la source au pied des châteaux pour la production de la chaux.
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Quant à savoir si ces fours furent contemporains de la construction du donjon palais du Rathsamhausen (~1200), de l’Interrègne qui vit l’érection du deuxième château (~1270), de la grande campagne de reconstruction du Lutzelbourg (~1410), voire plus tardifs …. ceci reste sans réponse aujourd’hui. Peut-être les fours ont-ils servis à chacune de ces périodes. Seule une étude archéologique des fours apporterait des réponses.
- Article rédigé par Etienne et Michel (AmChOtt)
- Photos d’ Etienne et Piotr (AmChOtt)
- Expertise géologique Grzegorz
- Géotrouvetout : Dorian, Jonathan et Etienne. (AmChOtt)
Sources cartographiques : B.R.G.M. et I.G.N. Géoportail
Dans le village, la production de chaux à Ottrott s'est poursuivie jusqu'en 1955 dans le Chemin des Carrières. La cheminée du four à chaux moderne a été détruite à cette date. En voici, deux images retrouvées par notre ami Gaby.
Merci Gaby !
Monsieur Bernhard Metz a eu la gentillesse de réagir a cette parution et de nous communiquer les renseignements suivants. Merci à lui !
Le transport de la chaux, qui ne supporte pas l'humidité, était difficile au moyen âge. Les fours étaient situés à proximité immédiate des gros chantiers. Bernhard nous donne deux exemples bien documentés.
- Sur le site du Daubenschlag (67), Bernard Haegel a découvert un four à chaux. Celui -ci pourrait dater du milieu du XIIème siècle lors de la construction du château, ou bien de 1261 lors de la tentative avortée de reconstruction.
- A Wildenstein (68), le four à chaux se trouvait également sur le site du château. Selon des témoins en 1574, le calcaire provenait de Lauw, Roderen et Bitschwiller, soit de 18 à 36 kms de distance. (ABR 3B 975/2 Folio 446v)