Les tombes mérovingiennes du Mont Sainte-Odile
Le promeneur qui longe le Mur Païen va de découverte en découverte. Points de vue magnifiques sur la plaine d’Alsace, grottes et abris sous roche, carrières de pierres, ruines de châteaux forts, l’œil et l’esprit sont sollicités à chaque instant. Sur le circuit sud (balisage du Club Vosgien : chevalet jaune), à proximité de la porte de Barr, juste à côté de la route, deux tombes avec leurs sarcophages de pierre attirent le regard. Un petit panneau indique ‘tombes mérovingiennes, VIIème siècle’.
Tombes A et C
La première est située à proximité immédiate de la route qui monte de Barr au Mont, au pied d’un chêne qui menace sa structure. A droite du tombeau, une grande dalle de grès est posée, il s’agit d’une partie du couvercle du sarcophage. (tombe C, sur le schéma de situation en fin d’article)
Vous trouvez la seconde tombe, distante de quelques dizaines de mètres, un peu plus à l’ouest. Elle est cernée par un périmètre de pierres. Toutes deux sont protégées par des balustrades de pin, posées par les ‘Amis du Mont Sainte-Odile’, qui entretiennent le site chaque année. (tombe A)
Les deux schémas qui suivent montrent l’état actuel de deux tombeaux, fin août 2022.
Ces deux sépultures étaient recouvertes par un tertre, d’où le terme de tumulus souvent employé pour les citer. Elles faisaient partie d’un ensemble plus important de tombes aujourd’hui disparues.
Voici un dessin de Félix Voulot qui nous indique la forme des tertres qui, selon lui, recouvraient les tombes.
Félix a fouillé les tumuli du Mont durant l’été 1870. Dans son livre étonnant, ‘Les Vosges avant l’histoire’, monsieur Voulot nous dit que les tertres étaient alors faciles à repérer mais recouverts de broussailles, qu’il a du dégager avant de fouiller neuf emplacements dont cinq contenaient des sarcophages. Voici la description de monsieur Voulot dans son style très personnel : ‘L’orientation diffère essentiellement, quoique les tombes semblent orientées. Les unes ont été surmontées d’un tumulus à revêtement de pierre. Dans l’une même, ce tumulus formait un cône tronqué surmonté d’une coupole de moindre diamètre, ce qui fait ressembler cette tombe à certains nurhags de Sardaigne. D’autres enfin n’offrent point de traces de sarcophages, ni de tumulus.’
Les dimensions qu’ indique Félix pour les tertres sont les suivantes : six à quinze mètres de diamètre, pour une élévation pouvant atteindre deux mètres.
Aujourd’hui, on ne voit plus rien de tel.
Les ‘archéologues’ ont été nombreux à s’intéresser à nos tombeaux.
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1855 Louis Levrault semble le premier à avoir fouillé le site. Dans son livre Sainte Odile et le Heidenmauer, 150 pages quand même, Louis nous dit avoir fouillé ‘un’ tumulus du Mont sans nous donner la moindre indication sur l’endroit. Il nous avoue qu’ il n’a rien trouvé : ‘pas de colliers d’ambre, de bracelets ni même de squelette, seulement quelques os se sont rencontrés sous les dernières pierres enlevées’ (page 90). Louis nous déçoit quelque peu.
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1870 Félix Voulot entreprend des fouilles à plus large échelle. Comme dit plus haut, neuf tumulus sont mis au jour. La découverte la plus intéressante est celle de la tombe et du squelette d’un ‘sacrificateur avec son couteau de sacrifice’, selon Félix ! Nous y reviendrons plus avant. (tombe B)
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1874 Edouard Hering revient sur le site. Pas de choses nouvelles dans son rapport.
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1879 Julius Euting, président du Club Vosgien, fait ouvrir une tombe jusqu’alors inconnue. On y découvre le squelette d’un enfant. Nous y reviendrons.(tombe H)
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1937 F. Jaenger publie un premier plan du site…. Illisible pour un béotien dans mon genre.
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1943 En pleine guerre mondiale, H. Reinert et F. Eyer travaillent sur le site, sans publier de rapport à notre connaissance.
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1969 Hans Zumstein ré-ouvre une tombe et effectue des recherches pour vérifier si le site ne serait pas plus important. Sans succès. Pas de rapport publié à notre connaissance.
Les deux tombes visibles aujourd’hui (tombes A et C) le sont suite aux travaux de Hans, merci à lui.
Monsieur Voulot devait être un garçon passionnant et surtout étonnant. Il nous a laissé un livre des plus curieux : ‘Les Vosges avant l’histoire’. Deux cent vingt cinq pages ébouriffantes. Félix nous y décrit et nous y dessine tous les hauts lieux des Vosges et cherche à y trouver une origine celtique. Chaque rocher, chaque fissure sur une pierre donne lieu à une explication étonnante de Félix. Les dessins et relevés surprennent également les connaisseurs de lieux décrits. Dans son livre, vous trouverez beaucoup de celtes et de gaulois, leurs dieux, leurs légendes, certes… mais pas seulement, les grecs aussi, les étrusques, les phéniciens. Que diantre, les phéniciens venaient-ils faire en Alsace ?
Pour le Mur Païen, Félix trouve une influence évidente du peuple des Pelasges. A ma connaissance, les Pelasges étaient les premiers habitants de la Grèce, ils sont cités par Homère (Iliade II). Dans sa longue liste des peuples grecs qui viennent assiéger Troie, Homère écrit : ‘Et voici tous ceux qui habitaient l’ Argos Pélasgique, ceux qui habitaient Alos, Alopé, Tréchis.’. Rien de plus !
Félix nous dessine cependant de nombreux murs qu’il apparente à notre Mur Païen. Je dois dire que je n’ai pas bien suivi…
Bref, le livre de Félix est un fatras d’invraisemblances amusantes que l’on peut lire le soir pour sourire un peu. Le mérite de Félix, c’est d’être le premier à ouvrir les tumuli et surtout d’avoir publié dans son livre deux planches de dessins sur ses découvertes.
Cette première planche montre les différents sarcophages retrouvés par Félix, sans nous donner malheureusement ni leur localisation précise, ni leurs dimensions exactes.
La deuxième planche montre une partie du mobilier retrouvé dans la tombe principale (tombe B). Félix y voit la tombe d’un sacrificateur, la seule explication donnée sur cette interprétation est la présence d’un couteau et de son manche en cèdre (?).
Voyons l’avis des spécialistes sur ces découvertes.
Le mobilier de cette tombe est actuellement au Musée Historique de Mulhouse. Robert Forrer, qui a tant œuvré pour la compréhension du Mur Païen, a dessiné pour vous les objets les plus intéressants.
Les ossements et les objets ont été étudiés dès leur découverte par des spécialistes du moyen âge. Le squelette retrouvé est en fait celui d’une femme. Les boucles de chaussures, le collier de perles, les amulettes, les boucles d’oreilles en argent, la bague en or portant un petit sceau, tout indique qu’il s’agit d’une sépulture mérovingienne de la deuxième moitié du VIIème siècle. Nous sommes bien loin des Celtes,des Pélasges et du druide sacrificateur de Félix Voulot.
Voici deux photos des perles et de la petite patère de verre de cette tombe. (Photos Madeleine Chatelet, publiées par Niklot Krohn)
Mobilier funéraire de la tombe B, photographies M. Châtelet
C’est en 1879 que cette tombe est découverte par Julius Euting. On y trouve le squelette d’un enfant qui devait être une petite fille. Parmi les ossements, les archéologues retrouvent une paire de boucles d’oreilles garnies de petits grelots (ou de pompons), des fibules ainsi qu’une pelote de fils d’or, finement tressés.
A partir l’étude du mobilier disponible, les spécialistes confirment des sépultures de la fin du VIIème siècle. Les personnes enterrées à cet endroit le sont avec des objets précieux pour l’époque. La bague en or avec son sceau en est le plus bel exemple. Notre lecteur est alors en droit de penser à la famille du duc Adalric et de sa fille Odile, fondateurs de l’abbaye du Mont. Adalric et Odile seraient les contemporains du mobilier funéraire lié à nos tombes.
Pourtant, à cette époque, les personnes de haut rang étaient ensevelies dans ou aux abords directs d’une église, comme le montrent les tombeaux situés au sommet du Mont, proches de la Chapelle des Larmes. Alors que penser de ces sépultures sylvestres ?
Deux hypothèses sont proposées par Niklot Krohn, soit ces enterrements ont eu lieu au moment de la construction du couvent, à une période où l’église du couvent n’était pas consacrée, donc indisponible pour la cérémonie. Soit il s’agit là certes de membres de la famille ducale, mais de moindre rang, ils n’auraient pas eu l’honneur de reposer dans le couvent. Nous laisserons le lecteur choisir sa solution.
Tombes A et C
Nous l’avons dit, les premiers intervenants n’ont pas eu l’idée de faire un relevé précis des endroits fouillés. Depuis, les travaux routiers et le temps ont fait leur œuvre, le site est dévasté. Nous allons tenter cependant de vous présenter une synthèse de ce que nous avons compris, en reprenant la classification par des lettres utilisées par Niklot dans sa publication. (Nous avons utilisé pour distinguer les tombes ces mêmes lettres dans notre texte).
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Les tombes A et C sont celles que vous pouvez voir aujourd’hui.
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La tombe B est celle dite du ‘sacrificateur’.
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La tombe H est la tombe d’enfant.
Quel est le lien entre nos tombes mérovingiennes et le Mur Païen ? Et faut-il seulement en chercher un ? Cette question nous vient tout naturellement par la proximité géographique, mais aussi en examinant avec soin la planche N°1 proposée par Félix Voulot. En effet, sur ses dessins, Félix indiquent clairement que certaines pierres des tombes présentent les mêmes encoches en queue d’aronde que le Mur voisin !
Voici un relevé des trois pierres concernées, publié par Heiko Steuer.
C’est un rien étonnant !
L’amateur du Mur Païen pense aussitôt à un réemploi de matériaux. Notre cimetière mérovingien serait construit à partir de blocs venant du Mur. Bigre !
Relisons cependant le texte de Voulot. Les dalles de grès formant les tombes sont reliées entre elles par un mortier, nous dit-il. Les encoches des pierres ne se correspondent pas. Voici exactement ce qu’écrit Félix : ‘Les trois dalles à entailles paraissaient si grossières qu’il est impossible de reconnaître sur deux d’entre elles la trace d’un instrument. Elles étaient trop minces pour avoir pu servir à une muraille quelconque. Elles n’étaient nullement appareillées : l’une se dressait aux pieds, la deuxième sur le côté méridional, la troisième était couchée sous le milieu du corps...’
Il semble en effet que le travail ne soit pas particulièrement soigné, dans cette tombe. On a plutôt l‘impression d’un enterrement à la ‘va-vite’. La remarque de Félix concernant l’épaisseur des pierres est également porteuse de question : les dalles des tombeaux ne font qu’une douzaine de centimètres d’épaisseur. Rien à voir avec les blocs du Mur Païen, beaucoup plus épais.
A-t-on délité des blocs déjà posés sur le mur pour les utiliser ?
A-t-on récupéré des blocs défectueux dans une des carrières toutes proches ?
Et pourquoi les pierres avec les encoches ne sont-elles présentes que dans une seule des tombes découvertes par Voulot et ses successeurs ? Cette tombe serait-elle plus récente que ses voisines.
Voilà beaucoup de questions. Comme le Mur Païen, nos tumuli du Mont Sainte-Odile n’ont pas encore livré tous leurs secrets !
- Photographies des tombes, EtF
- Photographies du mobilier funéraire, M. Châtelet
- Dessins du mobilier funéraire, F. Voulot et R. Forrer
- Dessin des pierres à encoches, K. Steuer
- Schémas, PiP
- Louis Levrault, Sainte Odile et le Heidenmauer, 1855
- Felix Voulot, Les Vosges avant l’histoire ,1874
- François Pétry, Le Mont Sainte-Odile, 1988
- Niklot Krohn, Die Spätmerowingerzeitliche Grabhügelnekropol auf dem Mont Sainte-Odile, 2012
- Heiko Steuer, Studien zum Odilienberg im Elsass, 2012
- Madeleine Châtelet, Juliette Baudoux, Le mur païen du Mont Sainte-Odile en Alsace, un ouvrage du haut Moyen Âge ?, 2016