Les Vœux du Mur Païen
Voilà 124 ans, Robert Forrer terminait ses travaux sur le Mur Païen. Il publiait les résultats de ses recherches dans un petit livre passionnant : ‘Die Heidenmauer von St. Odilien, ihre prähistorischen Steinbrüche und Besiedlungsreste’. Point final, à l’occasion de la nouvelle année, Robert envoyait à ses proches une carte de vœux dessinée par ses soins. La voici !
Le soleil se lève sur la plaine d’Alsace : il porte en son cœur le millésime 1900, celui de l’année qui commence. La section du Mur Païen représentée court du Schaffstein jusqu’au Wachstein. Robert s’est représenté debout sur le promontoire. Il vous salue.
Cent-vingt-quatre années plus tard, le Mur Païen reste au sommet du Mont Sainte-Odile un monument fascinant. Les promeneurs sont toujours plus nombreux à venir admirer cette construction et à s’interroger sur son histoire. Les hypothèses les plus diverses continuent de courir à propos de sa construction, de son but. Tout n’a pas été dit !
Qu’il nous soit permis d’émettre trois vœux. Le premier pour la sauvegarde du Mur, le second pour sa mise en valeur, le troisième pour une meilleure connaissance du Mur Païen.
Protéger l’ensemble d’une enceinte longue de plus de dix kilomètres est une gageure. Le temps, les pluies, le gel, l’érosion et aussi les humains ont marqué le Mur. Certains tronçons se sont effondrés, d’autres ont été démontés, considérés au Moyen Âge, comme de simple carrières pour les diverses reconstructions du Couvent du Mont Sainte-Odile ou l’érection des châteaux des Dreistein et Waldsberg. Plus proches de nous, la construction des routes d’accès au Mont et la mise en place des parkings n’ont pas été conduites avec la retenue qu’on aurait pu attendre. Ceci est le passé, il serait bien inutile de s’attarder.
Souhaitons simplement, que conscients de la valeur patrimoniale du Mur, les responsables accroissent les mesures de protection en sa faveur. Dans le passé, plusieurs demandes et plans d’actions en faveur du Mur ont été proposés.
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Proposition du chanoine Schir, 1856. L’idée principale était de ‘reconstruire’ plusieurs sections dans leur état ‘initial’. Les différents spécialistes n’ont su se mettre d’accord sur les travaux à mener. Abandon du projet.
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Projet du Reichsland, 1893. Même idée conductrice, même débat entre spécialistes, le projet est également abandonné.
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Proposition de Robert Forrer, 1921. L’idée est bien différente, Robert ne propose pas de reconstruire une partie du Mur, mais de sauver ce qui peut l’être : déboisement sur un mètre à un mètre cinquante des abords du Mur sur toute sa longueur, afin d’éviter l’extension des racines qui déstabilisent le Mur. Malheureusement, pas de mise en œuvre.
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Société pour la Conservation du Mur Païen, 1989. La seule action d’importance entreprise pour sauvegarder une partie du Mur est celle menée sous la direction de Hans Zumstein à la suite de ses travaux sur les portes de l’enceinte.
Hans avait découvert et mis à jour la Porte de Barr, qui porte aujourd’hui son nom Porte Zumstein. Il a publié ses résultats dans les Cahiers Alsaciens d’Archéologie , d’Art et d’Histoire. Suite à ses recherches, Hans s’est attaché à sauvegarder les vestiges de la Porte. Déboisement du site, dégagement de la porte et des sections attenantes du Mur, dépose et remise en place du parement, remontage des éléments de la porte, consolidation du site par la pose de deux assises supplémentaires liées par des tiges en acier.
Aujourd’hui, les résultats de cette opération de sauvetage sont probants : la Porte Zumstein a belle allure, elle est respectée et admirée par les promeneurs. Malheureusement, à ma connaissance, depuis cette date, malgré les engagements pris alors, aucune autre opération n’a été entreprise.
Alors, mon premier souhait pour 2024 serait que cette initiative soit poursuivie. Hans avait également étudié les autres portes de l’enceinte : porte Eyer, porte du Stollhafen, et porte de l’Elsberg. Située à l’extrémité nord du plateau, cette dernière est comparable à la Porte Zumstein. Le relevé effectué par Hans en 1971 est précis et détaillé. Malgré les demandes clairement exprimées de Hans, le site a été laissé à l’abandon depuis, il a été ‘malmené’, quelques pierres ont été déplacées, la végétation reprend inexorablement ces droits.
Que je sache, la voie forestière qui jouxte le site va être élargie cette année pour le besoin des forestiers. Ce serait l’occasion unique de protéger la Porte de l’Elsberg et de la mettre en valeur. Comme pour la Porte Zumstein : déboisement, pose de parement, remise en place des éléments déplacés, pose de deux assises complémentaires afin de consolider l’ensemble. Un petit geste pour un grand Mur !
Messieurs les responsables, s'il vous plait, en 2024, sauvez la Porte de l’Elsberg !
Pour notre deuxième souhait, commençons par rendre hommage aux Amis du Mont Sainte-Odile. Cette section ottrottoise du Club Vosgien fait énormément pour la mise en valeur du Mur Païen. Un sentier balisé d’un chevalet jaune permet de suivre le Mur sur l’ensemble de sa longueur. Sentier et balisage sont de qualité. Les bancs sont nombreux, ainsi que les panneaux donnant des explications succinctes mais bien utiles aux visiteurs.
Chose moins connue, les A.M.S.O. entretiennent également les sites emblématiques du Mur, belvédères, abris sous roches, kiosques et sources. Ce sont également des Amis du Mont qui dégagent régulièrement les tombes mérovingiennes et entretiennent les barrières protectrices des lieux. Travail de tous les instants, souvent méconnu, merci à eux !
Le promeneur qui marche tout au long du Mur Païen peut donc en apprécier la force et la splendeur. Mais qu’en est-il de l’observateur plus lointain ? Le touriste qui contemple le Mont à partir de la plaine discerne la silhouette du Couvent d’Odile, le connaisseur reconnaît les ruines du château de Landsberg et celles des Rathsamhausen et Lutzelbourg au dessus d’Ottrott. Mais qu’en est-il du Mur Païen ?
La formidable enceinte n’a pas toujours été noyée dans la forêt ! Il suffit de se reporter aux nombreuses cartes postales du début du siècle dernier : la vue était bien dégagée. Consultez le livre publié par Alphonse Troestler et Jean-Marie Le Minor, vous serez surpris. Selon les études des spécialistes (cf. l’article de Willy Tegel), lors de la construction du Mur, le Mont était alors beaucoup moins boisé. La ligne de fortification destinée à impressionner la plaine était visible de loin.
Alors, voici mon deuxième souhait pour 2014 ! Ne pourrait-on pas, sur quelques centaines de mètres reprendre sur une petite échelle l’idée de Robert Forrer exprimée en 1921 : dégager le Mur de toute végétation sur une des sections les plus emblématiques ?
Le Schaffstein et le Wachstein étaient des belvédères avec une large vue sur la plaine, ils contrôlaient la voie qui menait de Barr au plateau : aujourd’hui cerné de conifères, le visiteur ne comprend plus leur valeur militaire. Une simple coupe aux abords et entre ces deux promontoires, un entretien régulier des lieux, seraient fort didactiques pour le marcheur. Et la forteresse du Mur Païen serait à nouveau visible de la plaine.
Messieurs les responsables du secteur forestier de Barr,
merci de nous rendre en 2024 la vision stratégique du Mur Païen.
(Note : Le problème se pose de façon analogue au Rocher du Panorama, qui sous peu, faute d’action, portera bien mal ce nom.)
Les dernières campagnes de fouilles effectuées sur le Mur Païen sont celles de Stefan Fichtl (1994-1995) et de Jacky Koch (2004). Ceci paraît déjà bien lointain, on ne peut que s’étonner du peu d’intérêt porté ces dernières années à l’enceinte du Mont Sainte-Odile. Certes, le peu de mobilier archéologique mis à jour lors de ces deux campagnes n’a guère encouragé à la poursuite de tels travaux. Les enseignements et les débats qui ont cependant suivi les publications des chercheurs sont forts intéressants. Nous ne pouvons qu’encourager les personnes intéressées à se reporter à ces rapports (Cf. sources, en fin d’article).
Par ailleurs, les travaux publiés par Heiko Steuer (2012), Madelaine Châtelet et Juliette Baudoux (2015), Willy Tegel (2015) ont éclairé l’histoire du Mur Païen d’une façon jusqu’alors bien inattendue. Sans effectuer de nouvelles fouilles, ces chercheurs ont analysé tous les éléments connus concernant le Mur. Étude du mobilier archéologique, poteries, monnaies anciennes, objets retrouvés dans les tumulis, analyse des tenons de bois,… mais aussi, analyse des textes, comparaison avec les sites analogues. Le travail est considérable et admirablement présenté par les auteurs. L’hypothèse formulée par les chercheurs est la suivante : le Mur Païen pourrait être une construction plus tardive qu’attendue. Le Mur serait une construction mérovingienne, peut-être une réalisation du Duc Adalric, père d’Odile. (Nous reviendrons prochainement sur cette hypothèse, les arguments proposés, ainsi que sur les objections possibles.)
Quoiqu’il en soit, formulons un troisième souhait pour 2024. Le mystère du Mur Païen reste encore bien présent. Puisse-t-il inspirer de jeunes chercheurs ! Et que reprennent les études sur l’enceinte du Mont Sainte-Odile.
Les fouilles de Stephan ont porté sur les abords de la Porte Zumstein, le Mur Transversal Nord et les abords de la Grotte d’Etichon. Celles de Jacky concernaient la Porte d’Ottrott. Permettez moi de soumettre un autre champ possible d’investigations. A ce jour, à part deux coins de carriers, les recherches n’ont pas permis de retrouver les outils qui ont permis de construire le Mur : il faut chercher encore.
A ma connaissance, seuls les abords de la carrière C12 ont été sondés. C’était par Robert Forrer voilà plus d’un siècle. Pourquoi ne pas dégager et étudier une autre carrière, importante, un rien isolée ? La découverte d’outils serait un plus indéniable pour une meilleure compréhension du site. Je suggère la carrière C2 ou bien une des mardelles C1, proches du château du Hagelschloss. Simple avis d’amateur.
Chercheurs et doctorants, venez fouiller les abords du Mur Païen !
Après ces souhaits destinés au Mur Païen, Etienne et moi-même
présentons nos meilleurs vœux 2024 à nos lecteurs assidus
et aux nombreuses personnes qui nous ont accompagnés ces derniers mois
à la découverte du Mur lors de nos balades-conférences.
Nous continuerons à vous proposer articles et randonnées en 2024.
Merci de l’intérêt porté à nos humbles travaux.
- R. Forrer, Carte de vœux, 1900
- Hansi, le Mur Païen, L’Alsace racontée aux petits enfants d’Alsace et de France, 1914
- Les cartes proposées sont extraites de notre Carte Interactive du Mur Païen.
- R. Forrer, Die Heidenmauer von St. Odilien, ihre prähistorischen Steinbrüche und Besiedlungsreste, 1899
- F. Petry, R. Will, Le Mont Sainte-Odile, 1988
- H. Zumstein, Les portes du Mur Païen, CAAAH, 1992
- S. Fichtl, Le Mur Païen du Mont Sainte-Odile, 1995
- B. Schnitzler, Les projets de restauration aux 19ème et 20ème siècles, 2002
- J. Koch, Porte d’Ottrott du Mur Païen, 2004
- H. Steuer, Studien zum Odilienberg im Elsass, 2012
- M. Chatelet et J. Baudoux, Le Mur Païen du Mont Sainte-Odile en Alsace, 2015
- W. Tegel, Dendrotechnologische Datierung der Holzklammern aus der Heidenmauer auf dem Odilienberg, 2015
- J.M. Le Minor et A. Troestler, Album Mont Sainte-Odile, Gruss aus St . Odilienberg, 2016