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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

En haut du Kappelturm d'Obernai

14 Avril 2013 , Rédigé par PiP, vélodidacte Publié dans #lieu

HM 1604 - Hans Müller ou Heinrich Mosser, ou un autre encore ? On ne connaît pas le nom de cet homme qui a gravé un des nombreux écussons en haut du Kappelturm avec cette mention : HM 1604. Il était vraisemblablement un des guetteurs qui se sont relayés, jour et nuit, pendant six siècles en haut du beffroi d’Obernai pour assurer la sécurité de la Ville Impériale et de ses habitants.

Le cinquième étage du Kappelturm

Jusqu’en 1597, le beffroi d’Obernai ne comportait que quatre étages. Le clocher de grès rouge de la Kappelkirche avait été construit au treizième siècle et était dés l’origine surmonté d’un clocheton, le Krönlein, où logeaient déjà les veilleurs. Ce n’est qu’à la fin du XVIème siècle que le Kappelturm fut couronné par l’élégante construction de pierre rose que l’on admire aujourd’hui.

La Ville Impériale est alors florissante et le conseil peut s’offrir ce chef d’œuvre de la renaissance. La dépense est somptueuse : 1672 livres, 16 shilling et 16 deniers. Mais le résultat l’est tout autant. Le sommet est occupé par une construction octogonale posée sur quatre consoles avec des personnages grimaçants. On accède par un escalier sombre et étroit à vis à la galerie ornée d’une fine balustrade sculptée, décorée de quatre échauguettes surmontées de fleurons épanouis.

La décoration est magnifique, et on comprend la fierté des réalisateurs de l’ouvrage. Les plaques commémoratives nous rappellent leurs noms. Tout d’abord, les blasons des quatre bourgmestres de l’époque : Johann Rusz et Andresz Peimbel étaient les représentants des vignerons, Johann Muszer et Michel Gysz étaient tonneliers.

Obernai savait déjà faire du bon vin !
http://img.over-blog-kiwi.com/0/28/39/78/201304/ob_f5f98bdf6aebe7651f547156a6c1435a_3-blason.jpgLes maîtres artisans ont également signé leur œuvre : Christamm Sohm représentait la Ville, Sebastian Schach était ardoisier, Georg Windenman tailleur de pierre et Martin Voltz charpentier.
Le 'Guller', coq de cuivre et girouette des Obernois, est mis en place.

 

La vie des guetteurs du Kappelturm

Au centre de ce décor somptueux, un petit logement a été aménagé pour les guetteurs. Deux petites chambres, meublées de lits de camps, de tables rustiques et de tabourets. Au mur sont accrochés les cors et les trompettes. Un petit treuil permet de hisser des provisions sans avoir à quitter son poste de guet. Les équipes se relaient jour et nuit.
La surveillance est aisée : le beffroi culmine à 72 mètres. C’est considérable, les tours des fortifications atteignent tout juste 18 mètres, pour les plus élevées. La vue par dessus les murs est vaste sur la campagne avoisinante et le point de vue sur les Vosges unique. On distingue les châteaux de Guirbaden, les Ottrott et le Landsberg, la prévôté de Truttenhausen et bien entendu, le couvent du Mont-Sainte-Odile.

La surveillance des alentours était complétée par trois autres postes de vigies : les deux clochers des villages abandonnés d’ Ingmarsheim (au nord, vers Bischoffsheim) et de Finey (au sud, vers Goxwiller) étaient pourvus de veilleurs, ainsi que la tour qui dominait le Stadtberg (Mont National). Tous se voyaient d’une tour à l’autre.


Au Kappelturm, les consignes sont les suivantes : à l’approche de tout homme armé, coups de trompette. En cas de vol de bétail, on sonne le tocsin. Les guetteurs protégeaient les troupeaux et surveillaient les vignes, richesses de la Ville. Pour les incendies, le veilleur fait sonner le tocsin et indique la direction du feu à l’aide d’un drapeau rouge. La nuit, il agite un fanal. Les guetteurs surveillent également le faubourg, la Merzgasse est parfois agitée dans ces temps troublés…

La nuit, deux personnes se relaient toutes les demi-heures. Ils sonnent de la trompe toutes les heures et les ½ heures, ils doivent frapper d’un petit marteau sur la cloche extérieure… on savait ainsi qu’ils ne dormaient pas. Les manquements étaient réprimés : un oubli, ½ solde ; deux oublis, pas de solde ; trois oublis, licenciement….

Les conditions de travail étaient particulièrement difficiles en hiver. Mais les magistrats prenaient soin des veilleurs de leurs biens. Les comptes de la Ville font apparaître en 1681 l’achat de manteaux fourrés, de chaussettes et de bottes.

 

Sourions : en 1493, pour Carnaval, les guetteurs ont voulu prolonger les festivités et ont sonné onze heures à minuit. Les badauds étaient contents et ont bien ri, mais les plaisantins ont perdu leur salaire de la semaine.

Anecdote citée par X.Ohresser

Les cloches du Kappelturm

Jusqu’à la Révolution, le nombre de cloches s’est toujours accru, pour atteindre neuf en 1793. Sept furent fondues par les Révolutionnaires. Lors de la Guerre de 1914, les allemands saisirent également plusieurs cloches en place. Aujourd’hui, le beffroi contient six cloches, dont deux rescapées des temps anciens.

  • La plus ancienne ‘Elfuhrglocke’ fut fondue en 1429 par Jean de Strasbourg, Hans de Argtia, comme l’indique la belle inscription, toute en majuscules.
  • Le bourdon ‘Zwölfuhrglocke’ fut fondue par Jean Lamperti pendant les vendanges de 1474 dans une fosse creusée sur le rempart. Les comptes de la Ville nous rapportent les dépenses engagées, on y relève, entre autres, 38 harengs, 8 morues, des poissons pêchés dans les fossés de la ville, des poulets, des fromages, du  pain, et onze mesures de vins, soient 550 litres. Maître Lamperti et ses quatre valets avaient faim, chaud et soif ! Gageons cependant qu’ils n’ont pas tout bu.

Les cloches rythmaient alors la vie des habitants. Bien sûr, elles sonnaient pour les baptême, mariage et mort de chacun, mais aussi pour la vie quotidienne : début et fin du marché, ouverture et fermeture des portes de la Ville, couvre-feu et fermeture des tavernes.
Lors des grandes occasions, elles battaient à toute volée : visite des hôtes de marque, souverains, rois, évêques, mais aussi élection des échevins, des bourgmestres et des chefs des corporations.

Les cadrans solaires du Kappelturm

Pour sonner les heures, les guetteurs disposent depuis 1474 d’une horloge dans le beffroi. On peut supposer que l’horloge fonctionne mal, ou bien irrégulièrement, ou encore que nos veilleurs s’ennuient dans leur tour. Les graffitis, nombreux en haut du Kappelturm, confirment la longueur des heures. Alors, ils se tournent vers le soleil et décident de se confectionner un cadran solaire.
Nos guetteurs ont vu des cadrans mais n’en n’ont pas compris le fonctionnement, alors ils essaient, sans tenir compte que le beffroi n’est pas orienté (environ 20° de décalage avec le nord), sans tracer de méridienne. Les résultats ne sont pas à la hauteur de leurs espérances, alors ils recommencent, sans vraiment comprendre… et sans se lasser, très intrigués, curieux et refaisant les mêmes erreurs, consciencieusement. Témoins pas moins de douze cadrans sculptés sur le beffroi. Neuf sur la face sud, deux à l’est et un à l’ouest. Un des cadrans porte la date 1619.
La gravure est artisanale, effectuée par des gens simples, une facture maladroite, sans décor. Nos apprentis en ‘gnomons’ ont copié les formes, parfois tracé des lignes horaires, gravé des chiffres. Preuve de leur peu de culture, sur un même cadran, on retrouve, mêlés, des chiffres romains et des chiffres arabes. Nos veilleurs ne maîtrisaient pas vraiment l’écriture.
A la suite de leurs essais décevants, les guetteurs ont dû parler et raconter leur mésaventure. Un connaisseur est alors monté sur le beffroi, a gravé une méridienne et planté un style oblique, là où il fallait. Le problème était enfin résolu !
L’heure était exacte en haut du Kappelturm,… du moins, les jours où le soleil brillait !

Les cadrans solaires du Kappelturm restent un humble témoignage, fort émouvant, de gens simples d’un passé révolu.

Sources
  • J. Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
  • X. Ohresser, L’ancienne Kappellkirche et son clocher, SHABDO 1970
  • R. Rohr, Les cadrans solaires du Kappelturm, SHADBO 1980
Illustrations
  • Console sous une échauguette
  • Balustrade
  • Blason du bourgmestre Johan Muszer
  • Salle des veilleurs
  • Cloche extérieure
  • Cloche et charpente du clocher
  • Cadran solaire
  • Cadran solaire et sa méridienne
  • Gargouille de la balustrade
  • Deux des nombreux écussons gravés
  • Fleuron d’échauguette
  • Lithographie de Charles Bour 1850

Le choix des illustrations fut difficile.

Merci à Monsieur le Maire pour cette visite inoubliable!

Visite

Pour raisons de sécurité, l’accès au Kappelturm n’est pas autorisé. On peut néanmoins admirer le beffroi de chaque endroit de la ville. Nous conseillons le tour des remparts et une montée à pied au Mont National, de là haut, vous dominerez la ville comme les anciens guetteurs.
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Bref historique
  • Fin du treizième siècle, Obernai est cernée de ses remparts et l’église Saint Pierre et Paul est en dehors des murs. Les bourgeois doivent passer deux portes et deux fossés pour entendre la messe. La Ville décide de construire une chapelle dédiée à la Vierge . Celle-ci est dotée d’un clocher : le Kappelturm.
  • Première apparition dans les écrits en 1285, une chartre de Rodolphe de Habsbourg engage la famille Kagen à donner chaque année une livre de cire à la chapelle : ‘ein Pfund Wachsen das soll Albrecht Kagen oder seine nachkommen jährlich geben zu unserer Frauwen Fest an die Kapelle die nüweligen zu Ehenheim ist gemacht.’
  • 1474, la chapelle prend les dimensions d'une véritable église et devient "Kapellkirche". Elle reste dédiée à la Vierge.
  • 1596-1597, travaux d'élévation du clocher actuel.
  • 1679 à 1681, campagne de travaux qui agrandit l’église sans toutefois modifier le clocher.
  • 1791, Le beffroi est sauvé pendant la Révolution grâce à la substitution de la croix de la flèche par un bonnet phrygien peint en rouge
  • 1873, l’église Notre-Dame est détruite sur décision municipale. Le beffroi nous reste.
Le Kappelturm et les jours de marché

Si une villageoise des environs d’Obernai constate un jeudi, jour du marché, qu’à son retour son mari est quelque peu grisé et lent à se mettre au travail, elle fait cette remarque empreinte d’une profonde indulgence et d’une grande compréhension : ‘Que voulez vous, il a vu le beffroi d’Obernai !’

Anecdore citée par X. Ohresser

Lithographie de Charles Bour 1850

Lithographie de Charles Bour 1850

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O
Merci de nous faire partager votre travail ,je suis originaire d'Obernai avec la famille Dietrich .<br /> Je me régale de vos textes et illustrations ,moi qui suis à 600 km je découvre cette jolie ville .
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F
C'est vrai qu'elles sont jolies, tes photos du Kappelturm!
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P
Et le texte? tu as lu le texte ? Dans un article, il n' y a pas que les images, Franz ! Il te faut apprendre à lire !<br /> Sinon, j'ai pris de nombreuses autres vues, tu verras çà à ta prochaine visite ! Mach's gut!