Les Ecorcheurs devant Rosheim
Appelés par l ’Empereur Frédéric contre les Suisses, les Ecorcheurs du Dauphin Louis ont vite délaissé leur mission et envahi l’Alsace. Septembre 1444, le futur Louis XI s’installe à Châtenois et envoie ses troupes à la triste et sanglante renommée vers le Nord de l’Alsace. Quelques deux mille soldats réguliers et vingt cinq mille suppléants : les Ecorcheurs.
La guerre que Louis mène en Alsace est singulière. On l’a vu renoncer devant Bâle, il fera de même en Alsace et évitera soigneusement Mulhouse et Colmar. La Chronique de Schilter est précise, et nous permet de proposer la carte ci-jointe. Louis s’en prend aux villages qui sont rançonnés et détruits, et aux petites villes comme Saint-Hippolyte. Parallèlement à son avance, une deuxième vague d’ Ecorcheurs a attaqué au Nord, évitant Saverne et Molsheim, pour s’en prendre à des petites places telles que Wangen et Westhoffen. Certaines cités ouvrent leurs portes, séduites par des promesses de merci, jamais tenues. D’autres indiquées en rouge sur la carte, résistent avant de devoir se rendre. Une seule Ville Impériale sera attaquée par les Ecorcheurs, Rosheim.
Voici le déroulement des faits du 29 septembre 1444, rapportés par Johann Schilter.
Die von Rossheim haben die Gecken ingelossen !
Le passage suivant est véritable, et ceci ressort du dicton encore utilisé que j’ai entendu de la bouche même d’un habitant de Rosheim le 3 décembre 1612 : ‘Die von Rossheim haben die Gecken ingelossen !’
Ceux de Rosheim ont laissé entrer les Ecorcheurs !
Le jour de la Saint Michel, les Français se sont dirigés en grand nombre vers la Ville de Rosheim et le Maréchal de France a exigé de par son maître le Roi qu’on lui ouvre la ville. Alors la ville et ce pays seraient siens. Il voulait que ce fut ainsi, ou alors il saurait bien la prendre par la force avec les arquebuses et les armes à feu dont il disposait là, et alors il les tuerait tous. S’ils voulaient bien lui ouvrir gentiment et être obéissants, alors il leur laisserait le profit de cette bonne volonté, il se comporterait amicalement et les protégerait, alors il ne se passerait aucun malheur. De plus, pour les remercier de les voir laissé entrer, ils seraient quittes de toutes taxes et de toutes représailles, et devraient servir ensuite que leur seigneur, le roi de France, exclusivement et dans tout ce qu’il serait possible de faire. Attirés d’une telle façon par la promesse de leur sécurité et aussi par le beau discours, les cinq conseillers les plus importants se décidèrent à accepter et à prêter hommage au Seigneur et ils décidèrent un bon nombre de leur amis qui les suivirent et ils livrèrent donc la Ville Impériale, sans que les gens de la contrée le sachent ou le veuillent, ceux qui étaient sur les murs et les défendaient jusqu’à leurs dernières heures, ils durent abandonner leur garde et perdre la ville sans nécessité, sans combat ni résistance.
Le récit est représentatif des méthodes des Ecorcheurs. Intimidation, étalage de leur nombre et de leur forces, Louis dispose de l’artillerie royale de Charles VII, promesse de laisser la vie sauve à ceux qui se soumettent et de massacrer ceux qui résisteraient. Dans tous les cas, le résultat est le même, sauf paiement d’un énorme tribu, les Ecorcheurs se répandent dans la ville, violent, massacrent, tuent et pillent. Rosheim sera mise à sac, comme il fallait s’y attendre. De plus, Philippe de Jalognes, le Maréchal de France, décidera d’y installer ses quartiers, à l’abri des murs, et ‘ceux de Rosheim’ devront supporter l’occupant tout au long de la campagne. La reddition sans combat de Rosheim eut un grand retentissement dans toute l’Alsace.
Louis a évité Sélestat. Saint-Hippolyte a été prise d’assaut. Le château de Barr a été enlevé, et les habitants ont payé une forte somme pour éviter le pillage. L’ abbaye d’Ebermunster a négocié avec le Dauphin et évité le passage des Ecorcheurs dans ses dépendances. La famille d’Andlau a fait de même.
Après Rosheim, Philippe de Jalognes a pris Bischoffsheim, et les Landsberg lui ont ouvert les portes de Niedernai. Quatre mille cavaliers à Rosheim, les trois mille hommes du sire d’Orval à Niedernai, cernée de toutes parts, la Ville d’Obernai a fermé ses portes et se prépare à résister.
Le 7 octobre, le Dauphin, âgé alors de 21 ans, participe à l’attaque des remparts de Dambach. La défense de la ville est longue et l’artillerie royale ouvre deux brèches dans les murs. Lors de l’assaut final, le Dauphin est cloué à sa selle par une flèche qui lui traverse le genou. Il se retire à Châtenois. Charles VII, informé et inquiet, presse son fils de rentrer en France.
La blessure est légère, mais Louis se retire néanmoins, laissant sur place son armée, installant ses garnisons dans les villes occupées. Les Ecorcheurs resteront en Alsace jusqu’en février 1445, mettant le pays à sac.
Pendant toutes ces opérations, l’empereur Frédéric sera absent, l’armée tant attendue ne viendra pas et les Villes ne pourront compter que sur elles-mêmes. Plusieurs réunions se tiennent pour organiser la défense, sans réussir à réunir efficacement leurs forces. Des opérations de guérillas et de représailles sont cependant organisées par les Villes Impériales. Strasbourg, Sélestat et Obernai sont les plus actives. Ulric de Rathsamhausen zum Stein est alors prévôt d’Obernai. J. Gyss raconte les opérations conduites par Ulric cet hiver 1445 : Saint Hippolyte, Barr, Bernardswiller, reprise du château de Bischoffsheim… la résistance obernoise était bien réelle.
Parallèlement les négociations continuaient entre l’Empereur et Charles VII. La conférence de Trèves aboutit à un accord et les Ecorcheurs commencent leur repli, tout en continuant leurs dévastations et leurs crimes. Les Français stationnés au nord de l’Alsace se regroupent vers Blienschwiller, et rejoignent la Lorraine par le Val de Lièpvre. Au lieu-dit le ‘Geckenfelsen’, Gunther qui mène les troupes de Sélestat et Ulric celles d’Obernai ont tendu une embuscade, ils attaquent l’arrière garde des français dans ce défilé étroit. Les Ecorcheurs sont lourdement défaits, et une grosse partie de leur butin est récupéré par les Alsaciens. Trophée inespéré de ce combat, l’artillerie de Charles VII est aux mains des assaillants et ramenée à Sélestat !
Après de longs mois d’une guerre sanglante, l’Alsace n’oubliera pas les ‘Gecken’, les ‘ Kelsnider’ , ainsi qu’on nommait les Ecorcheurs en dialecte.
Terminons par cette terrible anecdote rapportée par Schilter, bien révélatrice des haines de l’époque.
Un jour, un Ecorcheur fit prisonnier un Suisse, mais il ne savait pas un mot d'allemand, de même que le Suisse ne parlait pas un mot de français. Alors vint à passer un habitant du Sundgau qui connaissait bien les deux langues. Comme l’Ecorcheur tenait le Suisse à la gorge et en exigeait cent couronnes de rançon, celui-ci consentait à les payer et eut même donné davantage, le Français demanda à l'Alsacien ce que le Suisse disait. L’Alsacien répondit qu'il ne voulait pas donner un pfennig, et l'étranger tua le malheureux sans autre forme de procès.
Interrogé pourquoi il n'avait pas dit la vérité, l'habitant du Sundgau répondit qu'il était bon alsacien et que ces deux-là n'étaient point de ses amis. Il aurait eu regret de laisser au Suisse la vie et au Français l'argent.
- A. Sablon, Louis XI, 2011
- P. M. Kendall, Louis XI,1971
- J. Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
- A. Tuetey, Les écorcheurs sous Charles VII, 1874
Le livre de Tuetey est d’une grande clarté et particulièrement bien documenté.
- J.Schilter, Chroniques de Koenigshoven, 1698
- Le Dauphin Louis XI, recueil d’Arras
- Carte de l’avancée du Dauphin , automne 1444, PiP
- Tour des remparts de Rosheim
- Remparts d’Obernai, tour située face à l’hôpital
- Meurtrière, remparts d’Obernai
- Entête du livre de Schilter, édition de 1698