La baie à colonnette du château du Dreistein Oriental
Les éléments architecturaux les plus attachants des Dreistein sont les deux superbes baies qui s’ouvrent sur le versant sud des châteaux oriental et occidental. De vastes dimensions, les deux ouvertures donnent une impression de légèreté et de luminosité, un rien inattendue dans un château du moyen âge. Certes, il s’agit des ouvertures des pièces d’apparat des demeures seigneuriales, éléments de prestige des châteaux d’alors ; on ne peut cependant que s’émerveiller de la hardiesse inhabituelle de ces deux éléments.
Cette impression de lumière est essentiellement due au fait que seuls subsistent en place les éléments porteurs des deux ensembles. Les remplages ont disparu, ils ont basculé, ou ont été précipités dans les fossés lors de la ruine des châteaux. Dans un article précédent, nous avons longuement décrit la grande baie du Dreistein Occidental. Aujourd’hui, nous entrons dans le burg qui lui fait face.
La façade Sud du Dreistein Oriental
Le promeneur peut se montrer surpris du nombre de fenêtres qui percent cette façade. La baie double avec sa colonnette, deux baies à coussièges encore en place, une troisième se trouvait plus à l’est, en direction du donjon, deux autres fenêtres de moindre importance ! Un tel nombre d’ouvertures n’affaiblissait-il pas les châteaux de l’abbaye de Sainte Odile ? En fait, pas vraiment. Les fenêtres sont situées aux étages supérieurs du château, elles donnent côté sud dans les basses cours aujourd’hui disparues et étaient donc protégées par les courtines extérieures.
La baie à colonnette du Stein Oriental
La comparaison de ces éléments avec les fenêtres des châteaux avoisinants marquent une spécificité des châteaux de Stein.
- Au Birkenfels, les grandes baies sont de dimensions plus modestes et le remplage reconstitué présente cinq fenestrons de forme rectangulaire.
- Au Kagenfels, les travaux en cours ont permis de retrouver, également, un remplage de forme rectangulaire, en cinq parts, similaire à celui du Birkenfels. (largeur : 3 mètres 70).
- Sur le site du Landsberg, la salle du palais, de plus vastes dimensions qu’aux deux Stein, était éclairée versant sud par une série de quatre baies géminées de dimensions plus modestes et dont les colonnettes étaient parallélépipédiques.
Les baies des Dreistein sont plus vastes, plus sophistiquées, indice sans doute de l’importance de l’ avouerie du Mont-Sainte-Odile et marque du prestige attaché au lieu.
La Baie double du Dreistein oriental
L’élément remarquable de cette façade est la baie double à banquettes. Les deux parties sont séparées par une fine colonne cylindrique, avec un chapiteau travaillé. La largeur de la baie est de 4 mètres 50. En fait, placée juste derrière, une deuxième colonne doublait la première, elle doit aujourd’hui gésir dans les fossés sous le burg. Le décor proposé par cette baie double et ses deux colonnes est plutôt rare dans les châteaux de cette époque. Les colonnes cylindriques ne sont pas la norme, on trouve le plus souvent des sections carrées ou hexagonales, comme celle retrouvée au Landsberg.
Si on voit des chapiteaux analogues dans les cheminées de plusieurs châteaux proches de Sainte-Odile : Kinzheim, Spesbourg et Ortenberg, nous n’en connaissons pas, encore en place, dans une fenêtre. Thomas Biller s’est interrogé sur ce fait et note des analogies avec ceux de la sacristie de la cathédrale de Mayence, datée de 1250. André Lerch propose une datation bien plus tardive 1375-1400. Qu’en penser ? L’ensemble du burg oriental nous paraît dater d’une même époque. Pas de réemploi de matériaux, structures homogènes, contrairement aux deux autres Stein, si souvent remaniés. Le château oriental semble construit d’une seule campagne. Le tout doit dater de la courte période de calme relatif qui a suivi l’ Interrègne : début du quatorzième siècle.
A la recherche de la réalité de jadis, examinons les images anciennes de notre château de Dreistein. Dessiné le 28 octobre 1836, voici le croquis que nous propose Louis Laurent-Atthalin du mur Sud du château. Ce dessin est intéressant à plus d’un titre !
- Etonnons-nous tout d’abord de l’angle choisi par Louis. L’image est encadrée par les murs d’un couloir. Il ne peut s’agir que du couloir d’accès à une bretèche du mur Nord. A cette hauteur et au vu de l’angle, Louis devait se tenir avec son carnet et ses crayons sur la petite bretèche tout en haut du mur. Etroite, fort instable au dessus d’un à-pic impressionnant ! Notre artiste était aussi un acrobate ! Ou alors, les ruines étaient plus accessibles en 1836.
- Le mur sud du burg est encore présent, plus d’un mètre, au dessus de la baie. On doit se trouver au niveau du chemin de ronde dallé, dont nous distinguons aujourd’hui la trace en haut du mur bouclier. Une petite fenêtre supplémentaire est ouverte à l’est de la baie.
- La baie était en bien meilleur état qu’aujourd’hui. Deux éléments perdus sont alors encore en place : le chapiteau de la deuxième colonne, aujourd’hui tombé, et à découvrir dans les fossés, et surtout la partie haute du remplage droit de la baie. Louis a nettement dessiné un bel oculus trilobé. Et c’est sur la base de cet élément que nous proposons une restitution de la baie, telle qu’elle devait être au moyen âge.
Voici la baie selon les relevés d’André Lerch en 2002.
Voici la baie reconstituée.
L’oculus trilobé dessiné par Louis Laurent-Atthalin donne l’ impression de cette forme décalée que nous avons retenue. En fait, il se peut qu’il ne s’agisse que d’un effet de lumière sur un oculus de forme plus classique.
Les oculi trilobés symétriques sont courants dans nos vieux burgs. Haut-Andlau et Spesbourg possèdent des remplages de ce type encore en place, mais malheureusement incomplets, brisés.
Plus ancienne, l’aquarelle d’ E.F. Imlin surprend par sa composition. Le château oriental est représenté vu du sud. Le rocher à l’avant porte une construction avec un arc, aujourd’hui totalement disparue. La fenêtre située à l’est est présente. La base de la tour barbacane qui protège la citerne et l’entrée est bien visible.
Par contre la baie double est bizarrement figurée. Elle semble être composée de deux baies séparées par un mètre de muraille. Ceci ne correspond pas à la réalité. Par contre, le remplage dessiné montre distinctement l’oculus trilobé, tel que notre ami Louis le dessinera quelques années pus tard. Emanuel Friedrich écrit explicitement sous son aquarelle : ‘gezeichnet nach der Natur’. Pourtant la restitution n’est totalement fidèle. C’est également le cas pour d’autres lavis et aquarelles du même auteur. ( voir article dédié à la Grande Bretèche). Imlin devait faire des relevés et prendre des notes précises sur le site, puis travailler ses peintures dans son atelier. Ce mode de travail expliquerait les détails fidèles et une composition d’ensemble plus discutable.
Terminons l’imagerie ancienne par cette photo datée des années 1900.
Les murs des Stein étaient encore élevés, le donjon oriental encore présent. La baie double à colonnette se détache nettement sur le ciel. Légère, aérienne, de toute beauté !
Les chevaliers de Rathsamhausen zum Stein avaient une bien belle demeure
à deux pas des couvents du Mont-Sainte-Odile !
Sources
- A. Lerch, Dreistein, châteaux du Mont Sainte Odile, 2002
- T. Biller, der frühe gotische Burgenbau im Elsass, 1995
- D. Demenge, Au pays de Sainte Odile, Louis Laurent-Atthalin, 2007
- Photographies de la baie avant et après travaux de 2008, PiP
- Dessin de Louis-Laurent-Atthalin,1836
- Tentative de restitution de la baie, PiP
- Oculus trilobé classique, PiP
- Aquarelle de E.F. Imlin, 1814
- Photographie d’archives, M.H., ~1900
- Oculus trilobé de l’église de Fouchy, PiP
Retrouvez nos articles consacrés aux Châteaux de Dreistein ! ( cliquez sur le lien )
A quelques kilomètres, de l'autre côté du Rhin, dans le palais du Château de Geroldseck, vous pouvez retrouver le même type de baie double, avec deux colonettes pour séparer les deux ouvertures.