La statue de Lazare Carnot
Sur le Mont National se dresse, à la lisière des bois, une statue de Lazare Carnot. Pourquoi ? Que vient faire Lazare à Obernai ? Il nous faudra voyager en Algérie pour comprendre.
Plusieurs Carnot ont laissé leur nom dans notre souvenir. Ne confondons pas.
- Sadi Carnot (1796-1832) fut le physicien qui énonça les principes de la thermodynamique. Carnot était le fils de Lazare.
- Sadi Carnot (1837-1894) fut Président de la République. Il était le neveu du précédent et donc le petit fils de Lazare.
Lazare Carnot était un général de la révolution française, Lazare Carnot dit ‘le Grand Carnot’. Lazare est né, en 1753, à Nolay. C’était un homme aux diverses facettes. Scientifique, il a travaillé sur les machines et les mécanismes, cherchant à en donner une image globale, un genre de modélisation avant l’heure. Il a également rédigé un traité de calcul infinitésimal. Poète à ses heures, Lazare a publié plusieurs livres de poésie, une ode ‘Le Rêve’ et même un Don Quichotte. Il admirait le poète persan Saadi de Shiraz, chantre des femmes et du vin, et c’est en son honneur qu’il appela son fils Sadi , le bienheureux. Mais, ce sont ses talents militaires qui lui apportèrent la gloire. Lazare Carnot rejoint la Révolution dés ses débuts et est élu député de la Législative puis de la Convention. Membre de la Montagne, il vote la mort de Louis XVI. Surnommé ‘l’Organisateur de la Victoire’, il remporte la victoire de Wattignies en 1793 sur les royalistes et leurs alliés. Il échappe à la Terreur et sa carrière se fait alors plus politique. Il fut successivement Membre du Directoire, Ministre de Bonaparte, pourtant il vote contre l’Empire ! Un temps oublié, voire proscrit, il est rappelé par l’Empereur après la retraite de Russie. Ministre et Comte d’Empire, régicide, il est banni lors de la Restauration et finit sa vie en exil en Allemagne.
Nous restons perplexes : aucun rapport avec Obernai !
Orléansville était le nom d’une grande ville de la colonisation en Algérie, située dans la plaine de l’Oued Cheliff, le plus grand fleuve du pays. Après l’indépendance, Orléansville fut rebaptisée un temps El Asnam pour devenir enfin Chleff. La ville et la région sont connues par les nombreux séismes qui les ont ravagées.
C’est non loin d’Orléansville que fut fondé, au lieu dit Mhabil, un petit village de colons : Carnot.
Carnot fut édifié en 1881 sur la rive droite de l’oued Cheliff pour recevoir une centaine de colons. Vingt et une familles venant de la région d’Alger s’installent, rapidement rejointes par cinquante huit familles du sud-est de la France métropolitaine. Ce sont des agriculteurs qui vont mettre les terres en valeur et des commerçants et artisans qui feront vivre le village. En 1900, ils sont 534 colons pour 3542 ‘indigènes’. Pendant cette période de colonisation, de nombreux villages furent ainsi créés de toutes pièces. Maisons blanches, rues en damier bordées de palmiers ou d’orangers, église au centre du village, placette avec la mairie et les commerces. Toute l’Algérie doit devenir française. On donne aux villages ainsi créés des noms ‘bien-de-chez-nous’, le nom de personnages historiques, souvent des militaires. Ainsi Mhabil deviendra Carnot.
Peu avant 1900, le maire de Carnot est un propriétaire foncier Monsieur Eugène Boutanet. Celui-ci décide d’agrémenter la place du village par une belle statue, ce sera la statue de Lazare Carnot, qui a bien du se demander ce qu’il venait faire là. Le bronze représente Lazare muni d’un tambour et d’une épée. Sur l’instrument, on peut lire ‘Wattignies’, en souvenir de la grande victoire de Carnot.
Quelques soixante ans plus tard, le 18 mars 1962, la France et le G.P.R.A.( Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) signent les accords qui mettent fin à la Guerre d’Algérie.
C’est la fin de la dépendance, le peuple algérien, longtemps opprimé et privé de ses droits élémentaires, fête sa victoire. Prudents, les colons les plus riches ont depuis quelques mois rapatrié l’essentiel de leur fortune. Les petits blancs, eux, sont atterrés : c’est la fuite devant les représailles du F.L.N., le choix entre la valise ou le cercueil. Les villages se vident en quelques jours. A Carnot, comme partout en Algérie ! Sur la place de la mairie, la statue de Lazare Carnot se dresse encore, symbole d’une France qui n’est plus là. Que va-t-elle devenir ? La réponse est étonnante.
Chaque village algérien avait son monument aux morts, ou bien une statue ; les villes possédaient en outre des tableaux, des œuvres d’art. Qu’allait devenir tout ce patrimoine ? La solution fut simple : l’armée française a rapatrié ces symboles dont les algériens ne voulaient plus. Les statues les plus réputées ont trouvé place dans nos musées, d’autres ont été revendiquées par des municipalités. La statue de Lazare Carnot n’a pas été demandée…Sa ville natale de Nolay en avait déjà une. Wattignies aussi. Personne ne voulait du ‘Grand Carnot’ !
Un historien a relu le testament de Lazare Carnot. Dans ses dernières volontés, en authentique patriote, le ‘Grand Carnot’ avait demandé à ce que ses restes soient inhumés en Alsace, dés que cette terre redeviendrait française. On a donc recherché une ville d’Alsace candidate à l’accueil de la statue du grand homme. Et c’est Obernai qui a été retenue. Les cendres de Lazare Carnot sont au Panthéon et la superbe statue orne un vaste parc en bordure de forêt, tout en haut du Mont National. Perdue, oubliée. C’est un endroit retiré, où très peu de gens se promènent. Lazare contemple la ville et son Kappelturm.
Dernier détail, le village de Carnot est devenu une véritable ville de plus de 20.000 habitants. Elle porte le nom d’El Abadia.