Léon IX, le pape alsacien
En 1048, Bruno d’Eguisheim devient pape sous le nom de Léon IX.
Bruno d’Eguisheim, seul pape alsacien, fut un pontife hors norme, voyageur et réformateur. Lors de ses passages en Alsace, Léon IX visita et dota de nombreuses abbayes. Sous son pontificat, Hohenburg et Niedermunster, les deux couvents du Mont -Sainte-Odile recevront une nouvelle chartre qui assurera leur essor tout au long du Moyen Age.
Ce texte, daté du 17 décembre 1050, est présenté et étudié dans un article séparé : La chartre de Léon IX, un faux en écriture.
A proximité directe d’Obernai, le voyageur suivra les traces de Léon IX dans les divers lieux qui ont vu son passage.
- L’abbaye d’Altorf était le lieu de sépulture de la famille d’Eguisheim. Léon dota l’abbaye des reliques de Saint Cyriaque.
- La petite chapelle Saint Jean à Eichhoffen fut consacrée par Léon IX.
- Le Dompeter à Avolsheim, réputé plus vieille église d’Alsace, reçut le pape en 1049.
- L’ église romane de Saint Pierre et Paul et ses magnifiques sculptures, à Rosheim.
- La crypte de l’ abbatiale d’Andlau et son ourse ont également reçu la visite du Pape alsacien.
Les passionnés traverseront les Vosges au col du Donon pour atteindre le village de Saint Quirin, et le pèlerinage créé par Léon IX.
Bien entendu, même s’il ne subsiste que peu des lieux que connut Léon IX, le Mont-Sainte-Odile et ses deux abbayes restent les sites privilégiés du souvenir de cet alsacien étonnant.
La vie de Bruno d’Eguisheim fut riche en évènements et haute en couleurs. Vous trouverez ci-dessous une chronologie des faits les plus marquants.
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Bruno d’Eguisheim 1002-1054
En l’an mil, les Eguisheim dominent l’Alsace. Ils comptent parmi les descendants du mythique duc Adalric, le père de Sainte Odile. Leurs domaines se répartissent du château de Dagsbourg au Nord (le Dabo), au château d’Eguisheim au-dessus de Colmar, en passant par le Burg de Hohenburg au-dessus de la villa comtale d’Ehnheim (Obernai). Hugues IV, le comte de Nordgau, a trois fils, Bruno le cadet est destiné à la prêtrise. Appelé à la cour de l’empereur Conrad II, qui est son cousin, Bruno restera plusieurs années dans l’entourage direct de l’empereur, où il est très apprécié. A la fois homme de cour, homme d’église et homme de guerre, Bruno la campagne menée par Conrad en Lombardie, où les villes se sont une nouvelle fois soulevées. C’est là qu’il apprend le décès de son évêque. Malgré son jeune âge, l’empereur Conrad nomme Bruno pour cette succession importante. Toul est alors à la limite occidentale de l’empire et l’empereur a toute confiance en Bruno.
Dès son intronisation, Bruno se révèle un évêque consciencieux, il montre rapidement les qualités du pape qu’il sera un jour. Croyant, religieux, il encourage la pauvreté et la chasteté des gens d’église, ce qui n’était pas courant pour un jeune noble de l’époque. Une de ses premières décisions sera de déposer les abbés de Moyenmoutier et de Saint Mansuy pour leurs mauvaises réputations. Bruno se rapproche de Cluny et il encourage la règle bénédictine dans les abbayes de son évêché. Son engagement spirituel ne l’empêche pas de rester un prince de l’empire et de reprendre les armes aux côtés de Conrad lors du conflit qui oppose celui-ci au roi de France à la mort de Rodolphe de Bourgogne. A la disparition de Conrad, son fils, le nouvel empereur Henri III marque le même attachement et la même confiance à l’évêque Bruno. Tous deux ont vécu de longues années ensemble à la cour et se connaissent bien.
L’Alsace est terre de l’empire germanique, un empire immense sans réelle unité qui s’étend de la Mer du Nord jusqu’au sud de Rome. Les pouvoirs locaux sont aux mains des seigneurs et des évêques et, à moindre mesure, des abbés. Le territoire est morcelé et en proie aux conflits d’intérêts des différents potentats. L’empereur Henri III réside dans le sud de l’Allemagne, mais ses préoccupations principales se situent au sud des Alpes.
En effet, à Rome, la situation de la Papauté est des plus confuses. Si le Nord de l’Italie fait bien partie de l’empire, les empereurs saliens sont le plus souvent en Souabe ou en Alsace. Les luttes pour accéder au Saint Siège opposent alors les familles italiennes dans un profond désordre. Au début du XIème siècle, les papes se succèdent et, certains ne sont guère portés vers la religion. On voit se succéder au saint Siège des personnalités étonnantes. En 1024, un simple laïc, préfet de Rome, devient pape sous le nom de Jean XIX. D’après les chroniques de l’époque, Jean garde ses prérogatives civiles et mène une vie licencieuse entouré de courtisans. A sa mort, son neveu, âgé de 12 ans, se voit élire à son tour sous le nom de Benoît IX. Ce jeune homme mène une vie de turpitudes et d’ignominie, de vols et de meurtres. Il est chassé par les habitants de Rome et remplacé en 1032 par Sylvestre III. Celui-ci aurait acheté, fort cher, les voix nécessaires à son élection. La lutte se poursuit entre les deux prétendants à la papauté. Benoît mettra même le siège devant Rome qu’il finit par envahir. Un an de scandales plus tard, Benoît IX feint de se retirer de la lutte pour épouser une de ses cousines. Il est ‘remplacé’ alors par un de ses anciens conseillers Grégoire VI. La ville de Rome compte dès lors, dans ses murs, trois pseudo papes, menant grande vie et comptant chacun leurs partisans. C’est alors que l’empereur, lassé de ces luttes sans fin qui sèment le désordre dans l’Empire, décide de remettre un peu d’ordre dans l’ Eglise et entre en Italie à la tête d’une forte armée.
Henri III réunit un concile à Sutri en 1046, où il fait démettre les trois prétendants. L’empereur choisit pour pape un des prélats de son entourage, l’évêque de Bamberg, qui sera sacré sous le nom de Clément II. Ceci fait, Henri repart pour la Souabe. Malheureusement, le ‘pape allemand’ meurt empoisonné par le parti italien quelques mois plus tard. Tout est à refaire. Henri III pousse alors l’évêque de Brixen à se porter candidat au saint Siège. A peine arrivé à Rome, le nouveau pape, Damase II, meurt subitement de façon inexpliquée. Las des intrigues et des conjurations romaines, Henri III convoque la diète à Worms pour élire un troisième pape parmi ses proches. Un homme fort, respecté de tous, et en qui il a toute confiance, ce sera Bruno d’Eguisheim, l’évêque de Toul.
On devine la perplexité et le peu d’empressement de l’évêque après les assassinats de ses deux prédécesseurs. Bruno commence par se déclarer indigne d’un tel poste, il se prétend trop jeune…cherche à éviter cette promotion dangereuse. Mais la diète de Worms entérine le choix de l’empereur. Et Bruno doit obtempérer. Prudemment, le nouveau Léon IX attendra quelques mois avant de se rendre à Rome où il sera intronisé le 12 février 1049 malgré l’opposition tenace du parti italien. La situation qu’il va trouver à Rome est des plus difficiles. Le pseudo pape Benoît IX résiste toujours dans sa place forte de Tusculum non loin de Rome. L’arrivée du nouveau pontife, imposé par les étrangers du nord, est loin d’être aisée : les italiens ne le soutiennent guère. De plus, après des années de luttes opiniâtres pour le pouvoir, les caisses du Vatican sont vides. Cruellement vides. La sécurité même du Pape à Rome n’est pas assurée. Les premiers gestes de Léon IX seront pesés, étudiés. Il ne peut se permettre le moindre faux-pas. Malgré toutes ces menaces, les premières semaines du pape alsacien seront consacrées au premier d’une longue série de conciles. Puis, Léon IX prend une sage décision, très moderne en fait, et totalement inattendue pour l’époque, la seule décision qui s’imposait: s’éloigner de Rome, reconstruire une image exemplaire de la papauté et assainir les finances de l’Eglise. Léon IX sera un pape réformateur et voyageur.
De fait, les déplacements de Léon IX seront nombreux tout au long de son pontificat. A chaque halte importante, réunissant toujours un grand nombre de prélats, Léon IX organise un concile destiné à réformer l’église dans les deux domaines qui lui tiennent à cœur. Tout d’abord, Léon soutient une lutte farouche et novatrice contre la simonie, contre le mariage et le concubinage des prélats, choses alors courantes dans l’empire. En deuxième lieu, Léon IX cherche à restaurer les finances de l’église en instituant la dîme alors inconnue en delà des Alpes, et en dotant abondamment les diverses abbayes qu’il visite. La dîme, comme son nom l’indique, frappe du dixième de leurs revenus les paysans et artisans qui sont assujettis.
Son premier voyage durera six mois. Six mois de déplacements et de rencontres avec les princes et les évêques de l’empire. Pavie, Cologne, Toul, Reims, Mayence, et, dès 1049, une première visite en Alsace. Léon IX ira se recueillir sur les tombes de ses parents à l’abbaye d’Altorf et sur celles de ses deux frères. Il séjournera à l’abbaye d’Andlau, où il est reçu par sa cousine Mathilde, abbesse du lieu, puis à Sainte Croix en Plaine. Étonnamment, on ne trouve pas de trace de son passage à Hohenburg en ce mois de décembre 1049, mais rien n’indique qu’il n’ait pas gravi le Mont-Sainte-Odile.
Son passage à Rome en début 1050 sera de courte durée. Léon IX repart pour le Sud de l’Italie pour organiser la reconquête de la Sicile et de la Sardaigne, occupées par les musulmans. Les déplacements de la cour papale sont incessants.
A l’automne 1050, toujours aussi peu assuré de sa sécurité personnelle à Rome, le Pape est de nouveau sur les routes pour une vaste tournée au Nord des Alpes. Valais, Pays de Vaud, Besançon, Toul. Léon IX entre alors en Alsace et nous le retrouvons en décembre à Ehnheim (Obernai) sur le chemin qui mène à l’abbaye d’Hohenburg (Mont Sainte Odile).
Deux siècles plus tôt, Hohenburg a été créée par Odile, devenue depuis la sainte patronne de l’Alsace. Le couvent domine la plaine à l’ouest d’Obernai et partage le sommet du Mont avec le vieux château fort de son père le duc Adalric. A peu de distance, en contrebas, Odile a fait édifier un deuxième couvent : Niedermunster. C’est à l’occasion de sa visite à Hohenburg que Léon IX fait rédiger la bulle JL4244 qui permettra aux deux couvents du Mont Sainte Odile leur expansion durant plusieurs siècles.
Le texte de cette chartre, fort contesté, est présenté dans ce blog.
Une année après son passage en Alsace, Léon IX souhaite chasser du sud de l’Italie les Normands qui l’occupent ainsi que la Sicile. Il fait le siège et prend la ville de Bénévent. Suite à ce succès les Normands sont pourchassés et leur chef un nommé Drognon est assassiné. La situation dégénère en un conflit général. Léon fait appel à Byzance, mais les troupes envoyées sont écrasées. Léon en alors appelle à l’Empereur qui se refuse à envoyer des troupes. Les opposants aux réformes de Léon commencent à redresser la tête, en France, en Italie et en Allemagne aussi. Léon négocie, cède Bamberg, puis Fulda à l’Empire, mais sans succès. Léon recrute alors une troupe de véritables mercenaires, pour ne pas dire de bandits, attirés surtout par l’appât du gain. Le retour en Italie à la tête de telles troupes n’est guère glorieux. Pourtant Léon compte toujours sur sa petite armée et l’aide de Byzance pour battre les Normands. Néanmoins, Léon est vaincu et fait prisonnier lors de la bataille de Civitella. Revers du destin, Léon IX restera prisonnier pendant huit longs mois dans la ville de Bénévent qu’il avait libérée quelques mois plus tôt.
Pendant sa captivité, Léon IX essaie, par de nombreux courriers, de se rapprocher de Constantinople. Le patriarche de Constantinople Michel Cérulaire refuse les avances du pape et se proclame patriarche universel. Le légat de Léon doit s’enfuir précipitamment de Byzance. C’est le Schisme avec l’Eglise Orthodoxe.
En mars 1054, Léon est de retour à Rome. Sa défaite militaire contre les Normands, son échec dans le tentative de conciliation avec l’Eglise de Constantinople ont fini de ruiner son image auprès des italiens qui n’avaient jamais réellement accepté ni ses réformes, ni même la présence d’un étranger sur le trône de Rome. De plus, Léon IX est revenu à Rome, malade, très diminué. Se sentant proche de la fin, Léon se fait transporter en litière à la Basilique Saint Pierre. Le 19 avril, Léon IX meurt. La foule romaine n’avait pas attendu sa mort pour envahir et piller le palais de Latran.
Quelle triste fin pour ce Pape réformateur et sincère ! Laissons le dernier mot à Prosper Alfaric qui terminait ainsi la biographie de Bruno d’Eguisheim en 1933.
« Avec lui l'Eglise perd un chef qui lui était vraiment dévoué, qui ne cherchait point son intérêt personnel, comme un trop grand nombre de ses prédécesseurs, mais qui voulait sincèrement le bien ».
Cette brève biographie du pape Léon est illustrée de sculptures qui ornent les églises autour du Mont. Dans l'ordre d'apparition dans le texte : Abbatiale d'Andlau, Dorlisheim, Scharrachbergheim, Bourgheim, Fouchy, Sélestat et Saint Jean les Saverne.