La vigne dans l’Hortus Deliciarum
La vigne et le raisin sont présents dans les récits de la Bible. Tout naturellement, Herrade de Landsberg a repris ces images dans l’Hortus Deliciarum. Nous vous proposons d’admirer une planche peu connue de l’Hortus : le Pressoir Mystique.
Le symbole du Christ foulant le raisin revient dans de nombreux textes des penseurs de l’église catholique. Les lectures au fil des siècles seront diverses : image de la Passion, symbole de l’ Eglise, illustration des sacrements…
Dans les Evangiles, l’image du pressoir est déjà présente. Mathieu, Marc et Luc nous racontent la parabole des vignerons meurtriers.
‘Un homme a planté une vigne, il l' a entourée d'une clôture, il a creusé un pressoir et bâti une tour …’ Mathieu 21;33
Ce thème est repris à l’identique par Marc et Luc. Le pressoir n’est mentionné que par Mathieu. Le symbolisme tourne plutôt autour de la vigne et du fils du vigneron, image du Christ, que du pressoir lui-même.
Jean utilise l’image de la vigne, mais bien différemment. Jean donne sa lecture de la parabole citée par les trois autres évangélistes, sans reprendre la partie narrative.
« Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève ; tout sarment qui donne du fruit, il le nettoie, pour qu’il en donne davantage. Mais vous, déjà vous voici nets et purifiés grâce à la parole que je vous ai dite : Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut pas porter du fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi. »
Le dessin de l’Hortus est d’une autre veine et semble issu de la lecture de textes postérieurs, parmi eux, Augustin d’Hippone et Isidore de Séville. Notre Herrade connaissait ses classiques ! La composition est complexe et propose de nombreuses lectures. Il faut s’y attarder.
Le dessin d’Herrade est cerné par les anges qui gardent la vigne, le raisin et le vin. En bas, à gauche, le Christ accueille le lépreux guéri dans le monde des croyants. A droite, les prophètes Enoch et Elie, à l’approche de la fin du monde accueillent les juifs avec leurs chapeaux pointus, et les païens. Tous vont pénétrer dans le deuxième cercle. Là les attendent, à gauche, le pape et sa tiare pointue, un évêque, deux moines, deux anachorètes hirsutes et deux nonnes. Ils représentent l’Eglise. A droite, ce sont les laïcs qui sont représentés. On reconnaît un roi, peut-être Salomon, et une reine. Tous apportent des grappes de raisins, qui sont jetées dans le cuveau carré. En bas de ce deuxième cercle, trois apôtres versent le raisin. Les lecteurs confirmés de l’Hortus reconnaissent Pierre, Paul et Etienne. A droite, un saint, que nous n’avons pas reconnu, actionne la vis en bois du pressoir.
Au centre de l’image, le Christ, pieds nus, foule le raisin. Il tient le bas de son vêtement dans ses mains. Légèrement penché vers l’avant, sa position montre l’effort dans le travail accompli, le rendu des drapés est saisissant de vérité. Le jus de la treille coule dans un baquet.
Nous laisserons à chacun, selon ses convictions, la lecture de l’œuvre d’Herrade. La composition est exceptionnelle. Herrade atteint le sommet de son art.
Pour compléter cet article, nous vous proposons plusieurs dessins de l’Hortus ayant également trait à la culture de la vigne.
- Noé plante la vigne, il cueille le raisin et il boit le vin, très digne, assis sur un tabouret. On sait ce qu’il advint un peu plus tard, qu’Herrade ne raconte pas… (Genèse 9,18-27). Notez le petit gobelet de bois utilisé par Noé, c’était celui utilisé couramment au temps d’Herrade.
- Les renards dans les vignes. La vigne symbolise le peuple de dieu et les renards les hérésies et les faux prophètes. Ce thème est tiré du Cantique des Cantiques. (Cantique 2,15)
- Le cellier où repose le vin du Seigneur.
A deux pas du couvent d’Hohenburg, où Herrade compose l’Hortus, l’abbesse de Niedermunster fait restaurer la grande croix reliquaire. Sur la face arrière de la croix, aux extrémités de la poutre horizontale, deux panneaux d’argent repoussé évoquent également la vigne.
A gauche, Josué et Caleb sont représentés portant une immense grappe de raisin. Cet épisode est tiré des Nombres : Moïse envoie des espions en Canaan et leur demande de rapporter les fruits de ce pays. Il veut savoir si la terre est fertile.
“ Ils arrivèrent jusqu’à la vallée d’Eschcol, où ils coupèrent une branche de vigne avec une grappe de raisin, qu’ils portèrent à deux au moyen d’une perche; ils prirent aussi des grenades et des figues. On appela cet endroit vallée d’Eschcol, vallée de la grappe, à cause de la grappe que les fils d’Israël cueillirent ” (Nombres 13:23-24)
Sur la branche droite de la croix, vous reconnaissez le Pressoir Mystique. Le thème était important sur le Mont Sainte Odile.
Les environs du Mont Sainte Odile étaient déjà au Moyen Age une région viticole ! Herrade n’a eu aucun mal à trouver un modèle pour son pressoir. Nous vous proposons une agréable promenade dans le village de Mittelbergheim. Un sentier balisé vous propose un petit tour dans le passé du village.
Plusieurs pressoirs anciens sont en place, et l’un d’eux rappelle bigrement celui de l’abbesse d’Hohenburg !
- E & J.G. Rott, Hortus Deliciarum, 1945
- J.C. Wey, Hortus Deliciarum, 2009
- C. Wilsdorf, Comment la Croix parvint à Niedermunster, 2012
- Images de l’Hortus, tirées des deux publications citées plus haut.
- Dessins de la Croix de Niedermunster, détails, Pierre Aubry, 1669