Les sculptures de l’ église Saint-Laurent à Dorlisheim
L’église Saint Laurent est souvent oubliée dans les guides, délaissée par les promeneurs trop pressés. Au centre du village, situé dans un petit jardin orné de buis, le lieu jouit d'un calme agréable, reposant. Il est
fermé en dehors des offices.Cet édifice roman présente de belles sculptures, très anciennes et des plus intéressantes. Nous vous proposons d’admirer celles qui ont retenu notre attention. Un véritable bestiaire du moyen âge !
Dorlisheim était au moyen âge une petite bourgade. Sa situation au débouché de la vallée de la Bruche, sur une voie de passage fort empruntée, lui a valu le ‘privilège’ de voir passer toutes les vagues d’invasion de l’Alsace de cette période troublée. C’est dire si l’église Saint Laurent a connu des vicissitudes.
De la période romane primitive ( ~1150) nous reste la nef soulignée par une belle ligne d’arcatures soulignées d’un fin liseré et des bandes lombardes. Le portail et la tour sont venus à la fin du XIIème siècle.
L’église fut fortement remaniée au XIIIème siècle au moment de l’apparition du gothique.
Au XVIème siècle, les voûtes ont été décorées de fresques polychromes.
L’église et son histoire sont décrites en détail dans un manuscrit créé en 2001 par un groupe de passionnés. Nous encourageons sa lecture et citons ci-après un extrait du texte accessible sur Internet.
1150 - Construction de l’église romane de Dorlisheim. L’abbaye d’Altorf bénéficie de ses revenus
1200 - Construction du chœur
1255 - Sur transaction de l’évêché de Strasbourg, l’église est incorporée aux biens de l’abbaye cistercienne de Haute-Seille. ( Hohenfrost)
1300 - Construction du clocher
1524 - Les villageois adressent une requeste au Conseil de Treize de Strasbourg afin de solliciter le remplacement du prestre catholique par un pasteur protestant.
1525 - Printemps des gueux. Andreas Preunlein, dit Prunulus, est le premier pasteur protestant de Dorlisheim. Prédicateur de la Réforme, il presche la passion.
1526 - Mort de Prunulus par pendaison, sur le lieu-dit ‘Gallieplatz’
1554 - L’abbaye de Haute Seille rend à la ville de Strasbourg ses droits de patronage
1686 - Début du simultaneum à Dorlisheim.
Le chevet de l’ église Saint Laurent n’est pas celui d’origine. La dernière travée de la nef a disparu, peut-être suite à un accident, et l’ensemble fut repris à la période gothique. Fort heureusement, les pierres sculptées romanes ont été préservées et réemployées. Il semble qu’elles aient été disposées sans grande cohérence, mais le visiteur prendra plaisir à les admirer.
- La chasse au lapin. Les scènes de chasse sont nombreuses dans la statuaire romane. A Andlau, la frise de l’abbaye propose le cerf et l’ours. Dorlisheim se veut plus modeste. Ici, un homme sonne du cor, il est armé d’une fronde. Devant lui, deux chiens (?) poursuivent un lapin.
Mais chassait-on vraiment le lapin avec une simple fronde ? Et en sonnant du cor ? - Le lion. Sur le chevet également, un lion ailé pose sa patte sur un livre. Il s’agit vraisemblablement du Lion de Marc. Le chevet roman de l’ église de Dorlisheim devait présenter les symboles des quatre évangélistes, comme sa voisine de Rosheim.
Un bélier et des éléments de frise à palmettes complètent la décoration extérieure de l’église. La frise complète devrait être de toute beauté.
Le porche de l’église protège un portail richement décoré. De longues torsades et un cordon de vigne avec grappes et feuillage encadrent la porte. La partie supérieure représente deux dragons ailés crachant le feu sur une tête de lion.
Sur le mur sud, un troisième dragon est sculpté sur une des baies romanes de la nef.
A l’entrée du chœur, sous un chapiteau, un petit personnage se tient la tête tout en se lissant la barbe. Il semble plongé dans une profonde perplexité.
Le même thème est traité dans l’église romane de Rosheim, par le Maître des Gémeaux. A Rosheim, la sculpture est située à gauche du portail ouest lorsqu’on entre dans l’église. La posture est légèrement différente, mais la parenté est évidente.
Le sculpteur de Dorlisheim devait être un élève du maître de Rosheim.
Dans la nef, côté nord, vous pouvez admirer un bas-relief étonnant. Deux personnages s’approchent d’un troisième homme qui leur fait face. Le premier présente ostensiblement un calice.
Selon certains spécialistes, il s’agit de la rencontre d’ Abraham avec Melchisedek et le roi de Sodome. Cet épisode de la vie d’Abraham nous est conté dans la Genèse. Lors du conflit avec les tribus de Canaan, Abraham, encore nommé ‘Abram’, délivre son frère Lot à l’aide de trois cent dix huit soldats lors de la bataille de Dân. Il rentre victorieux, avec un butin important. Abraham est accueilli par les rois de Sodome et de Shalem. Melchisedek, roi et prêtre de Shalem, lui offre du vin et du pain.
‘Il revenait de battre Kedorlaomer et ses alliés, dans la vallée de Shawé, la vallée du Roi, quand le roi de Sodome vint à sa rencontre. Melchisédech, roi de Shalem, prêtre du dieu Elyôn, apporta du pain et du vin, et bénit Abram.’
Ce thème de l’offre du pain et du vin, préfiguration de l’eucharistie, est souvent représenté dans cette période romane.
Il est traité de façon plus symbolique à Murbach dans le chœur de l’église abbatiale
Plus proche du Mont, on le retrouve également à Obernai, sur un tableau de l’église Saints Pierre et Paul.
Et voici, l’image plus élaborée que nous propose, à la même époque, Herrade de Landsberg dans l’Hortus Deliciarum. Soldats, prisonniers, butin… Melchisedek, en habit de prêtre, présente trois galettes de pain et une cruche de vin.
Un détail nous interroge. A Dorlisheim, les rois de Shalem et de Sodome semblent nimbés. Pourquoi donc cet attribut réservé habituellement à la sainteté ?
Le bas-relief est daté par R. Will des environs de 1160.
La dernière sculpture décrite dans notre article se situe à l’extérieur de l’église, à l’angle sud-est. Elle est d’une facture fort différente de celles présentées plus haut. Moins de volume, plus de simplicité. La pierre fait partie des contreforts du chevet. On y découvre une chaussure à lacet et une petite hachette. La plupart des spécialistes du site y trouve la marque de la corporation des savetiers. Nous préférerons y voir le symbole des Rustauds et le souvenir de la Guerre des Paysans de 1525. La sculpture serait alors de date plus récente que celles qui l’entourent, et ceci expliquerait la différence notoire du travail de l’auteur.
Ce ‘Bundschuh’ serait un bel hommage à Prunulus, le pasteur de Dorlisheim, pendu pour avoir pris le parti de la révolte.
Dorlisheim se trouve sur la piste cyclable qui joint Molsheim et Obernai, en passant par Rosheim.
Pourquoi ne pas profiter de votre excursion par une visite conjointe du Musée de la Chartreuse à Molsheim, de l’église Saints Pierre et Paul de Rosheim, de la Maison Romane avant la découverte d’ Obernai et de son Kappelturm. ?
- R. Will, Répertoire de la sculpture romane en Alsace, 1955
- T. Jost Manuscrit de l’Eglise Romane de Dorlisheim, 2001
- J.P. Fuhry, Sculpture romane en Alsace, 2002
- S. Braun, Alsace romane, 2010
Le manuscrit de Thomas Jost peut-être consulté sur le site internet dont voici l’adresse.
http://manuscritmedieval-tomtom.blogspot.fr/
- Sculptures romanes de l’église de Dorlisheim
- Schéma de l’église Saint Laurent, PiP
- La rencontre d’Abraham et de Melchisedek, Hortus Deliciarum
- Sculpture du puits renaissance de Dorlisheim
Retrouvez nos articles dédiés à l' Hortus Deliciarum
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