La Guerre des Paysans à l’abbaye d’Altorf
‘Jede Pflanze, die mein Vater nicht gepflanzt hat, wird ausgerottet ’
Chaque plante que mon Père n’a planté, elle doit être éliminée.
Ainsi prêchait Clément Ziegler, jardinier, au printemps 1525 sous les murs d’Obernai. Nous sommes à la veille de la révolte des Paysans, le Bundschuh qui va soulever le peuple d’Alsace contre l’Eglise Catholique et les puissants de l’époque. Pour Clément, prédicateur évangéliste, ces plantes nuisibles, ce sont les prêtres, les moines et les nobles, tous les puissants qui écrasent le petit peuple sous les impôts et les taxes.
Le 12 avril, le Landvogt d’Unteralsass conseille aux braves gens de rester chez eux. Pourtant deux jours plus tard, tous se retrouvent à Dorlisheim, devant les portes de la Commanderie de Saint-Jean. Plusieurs milliers de paysans déjà ! Deux conseillers de la Ville de Strasbourg ont été dépêchés. Andreas Preunlin, dit Prunulus, le prédicateur évangéliste de Dorlisheim lit la Bible à l’office religieux. Erasme Gerber de Molsheim, Jörg Ittel, prévôt de Rosheim, et leur adjoint Peter Diebold enflamment la foule. Tous les acteurs du drame qui va se jouer sont présents. On parle de Joseph Worf, ce tailleur de Molsheim, prédicateur qui s’est vu arrêté par les servants de l’abbaye d’Altorf. L’abbé Kilian aurait traité les prédicateurs de vauriens et d’hérétiques ! Ils auraient dîné avec le Diable !
Le matin du 17 avril, une trentaine d’hommes se présente aux portes de l’abbaye ; ils demandent du pain et du vin. Quelques heures plus tard, trois mille hommes s’installent dans les murs et prennent l’abbé en otage. Plusieurs moines s’enfuient et se réfugient à Dachstein, dans la citadelle de l’évêque. Deux courriers sont envoyés le soir même à Strasbourg. Ils sont signés ‘die ganze Versammlung christlicher Brüder zu Alfdorf’ , le rassemblement des frères chrétiens d’Altorf. Les prédicateurs de Strasbourg sont invités à Altorf pour des pourparlers avec les Paysans. Un tribunal est ouvert en plein air, pour juger les moines et leur abbé Kilian. Jörg Ittel, préside. Prunulus assiste aux débats. Les représentants de Strasbourg cherchent à éviter les débordements. La situation de la Ville tout au long du soulèvement paysan sera difficile. Acquise à la Réforme, mais dotée de nombreux intérêts dans les villages, la Ville cherchera, sans grand succès, à éviter les outrances. L’église et le couvent sont cependant pillés et les Rustauds s’installent dans les murs d’Altorf.
Les Strasbourgeois tenteront encore plusieurs rencontres. Les envoyés de Strasbourg, Wurmser et Herlein devront attendre plusieurs heures devant les murs avant d’ être reçus. Debouts, alors que les représentants des paysans sont assis dans les chaires du cloître, ils doivent subir le discours de Jörg Ittel.
‘ Que nous voulez-vous ? et pourquoi troubler notre repas ?’ Il frappe du poing sur la table….‘ Est-ce tout ce que vous avez à dire ? voilà longtemps qu’on nous traite comme des esclaves, nous en avons assez des corvées, des dîmes et des taxes ! Nous savons, mieux que la Ville de Strasbourg, ce qui nous concerne. Lorsque nous en aurons fini avec nos oppresseurs, les nobles, les moines et les prêtres, alors nous ferons nos comptes avec les Villes ! Partez d’ici aussi vite que vous le pouvez ! Sinon on pourrait vous donner une toute autre réponse, et celle-là, vous ne l’oublieriez pas rapidement !’
On voit qu’il reste peu de place pour les négociations. Les Rustauds menacent même les Villes.
Le 30 avril, Strasbourg tente un ultime arbitrage pour faire libérer l’évêque Kilian. La réponse, négative, est signée Zacharias Bengel, l’évêque restera aux mains des Paysans.
Les réserves de l’abbaye sont vite épuisées par la troupe de plusieurs milliers d’hommes. Les Paysans vont déserter Altorf pour fondre sur Marmoutier. Puis sur le couvent de Saint Jean , proche de Saverne. La troupe d’Altorf sous la direction d’Erasme Gerber fera son entrée dans Saverne le 12 mai ! Première ville aux mains des Rustauds. Un véritable triomphe pour les Paysans !
Mais nos Paysans étaient allés trop loin…. Le Duc de Lorraine passe les Vosges avec ses troupes bien armées. En quelques jours, les Rustauds seront défaits. L’armée de secours des Paysans est massacrée à Lupstein, les occupants de Saverne se rendent et sont exécutés par les Lorrains. La défaite de Scherwiller quelques jours plus tard ( 20 mai ) termine la sanglante chevauchée des Lorrains. Près de trente mille de morts chez les pauvres gens qui avaient cru à des jours meilleurs !
Erasme Gerber est pendu à Saverne. Jörg Ittel sera écartelé à Strasbourg quelques semaines plus tard.
Les années qui vont suivre verront la vengeance des puissants !
Un terrible besoin de vengeance fait suite à ce soulèvement populaire. Les communes qui ont participé au soulèvement se voient taxées. Les parents des Paysans reconnus nommément doivent également rembourser les ‘victimes’. Les veuves et orphelins des Paysans tombés se voient privés des ¾ de leurs avoirs en vue de ‘dédommagement’. Ces sanctions pèseront de nombreuses années sur les familles.
L’abbé Kilian est élu le 13 sept 1510. L’acte de son élection porte cinq signatures :Theobald Murer, Anton Schürmeyer, Jakob Scholl, Bernhard Wülfersheim, et la sienne. En 1510, il n’y a que cinq moines à Altorf ! Nous sommes loin de la splendeur de l’abbaye, lors de la visite du pape Léon. Comme les abbayes sœurs, Altorf souffre du vent de la Réforme, les moines se font rares et les abbayes sont délaissées. Vingt cinq ans avant l’arrivée des Paysans, l’abbaye n’est déjà que l’ombre d’elle même.
La réputation des lieux n’est pas des meilleures. En 1508, suite aux plaintes de l’abbé Friedrich et de Jakob Scholl auprès de l’évêque. le moine Guilherin de Schaimpina a été incarcéré puis banni de l’évêché…
Peu après son élection, en 1515, l’abbé souhaite agrandir son domaine, il achète des biens à Altorf et à Griesheim. Pour ce faire, il emprunte 500 florins-or, à 4 % d’intérêts, payable en nature. Dix ans plus tard, les Rustauds envahissent l’abbaye, Kilian aura des difficultés à régler ses dettes !
Comme ses collègues, Kilian, après la révolte, voudra se faire indemniser. Kilian déposera six plaintes auprès du tribunal de Spire :
- 1 contre Rudolf Wolf de Westhoffen, et Peter Diebold de Marlenheim, plainte posée en 1532
- 2 contre Hans Martin Stephan, hôtelier à Molsheim, qui lui aurait volé du sel, du vin et du lard, lors du pillage, plainte de 1532
- 3 contre Heintz Kloster et Hans Lorentz de Wangen, pour pillage, plainte de 1533
- 4 plainte de 1542, contre les villages de Duppigheim, Enzheim, Kolbsheim et Osthoffen pour participation au pillage
- 5 plainte de 1543, dans les mêmes termes, contre Dorlisheim, Enzheim, Kirchheim, Marlenheim et Nordheim
- 6 contre Valentin Schaeffer, hôtelier à Obernai Martin Bick à Marlenheim, pour pillage et enlèvement de l’abbé.
On voit que l’abbé Kilian attaque aussi bien les personnes que les villages pour récupérer son dû. Kilian déclare des dommages chiffrés à 36.000 florins ! Le résultat des procès de Kilian est mal connu… il semble que la procédure fut longue et n’ait guère répondu aux attentes de l’abbé.
Quelques années plus tard, le même Kilian connaît d’autres déboires, avec les Bourguignons !
‘Les Bourguignons sont arrivés avec une compagnie et cinquante cavaliers. A la tombée de la nuit, ils m’ont fait appeler à la conciergerie. Alors, je leur ai demandé ce qu’ils voulaient. Avec leurs piques, ils m’ont malmené, courant autour de moi, ils ont forcé la porte et se sont précipités dans l’abbaye. Ils ont égorgé et dévoré de nombreux paons et d’autres volailles. Ils m’ont pris les clefs de la cave, ils se sont fait apporter du bon vin qu’ils ont bu. Vers minuit, ils sont descendus dans la cave, ils ont goûté tous les tonneaux. Le vin courant ils l’ont laissé couler par terre, ils ont volé les bons vins, deux barriques de chaque, de trente ohms ( 45 litrespar ohm). Ensuite, j’ai envoyé en cachette un messager au général Geispitz. Il est intervenu… alors, ils ont brisé et cassé toutes les fenêtres….’
C’était le 18 février 1550. A la mort de l’abbé, le comptable effectue un inventaire des biens. Il décompte :
- 62 quintaux de froment et d’orge
- 630 ohms de vin vieux et nouveau ( plus de 28.000 litres)
- 3 chevaux de selle avec harnachements
- 12 chevaux de trait
- 6 cochons gras et 47 autres à engraisser
- 49 vaches et taureaux, 6 veaux ….
Le nombre de moines n’avait pas augmenté. Mais l’abbaye d’Altorf était à nouveau prospère.
Les Paysans de 1525, eux, avaient tout perdu.
L'histoire du Bundschuh au pied du Mont Sainte Odile. ( Cliquez sur le lien )
- Michael Sattler, Kurze Geschichte des Benedikter Abtei von Altdorf, 1887
- Archangelus Sieffert, Altdorf Geschichte von Abtei und Dorf, 1950
- Jean Rott, La Guerre des Paysans et la Ville de Strasbourg, 1975
- Alphonse Wollbrett, De Wasselonne à Ribeauvillé en 1525, 1975
- Francis Rapp, La répression dans les territoires de l’évéché de Strasbourg, 1975
- Dessins de Pierre Nuss, extraits du livre de A. Sieffert
- Photographies de l’abbaye, PiP
- Schéma de l’abbaye au XVIIIème siècle selon M. Sattler, PiP
Je me suis amusé à retrouver les lieux où Pierre Nuss avait posé son chevalet pour effectuer les magnifiques croquis qui ornent le livre de Sieffert. Chaque dessin est accompagné d’une photographie prise ces derniers jours. Quelques explications.
Cette pierre gravée fut retrouvée dans les gravas du moulin, elle est située aujourd’hui dans la cour du cloître. On peut lire en latin : ‘Sous Bernhard, le 30ème abbé de ce lieu, en l’an 1568, cet édifice fut construit.
L’abbé était Bernhard Münchberger, il semble qu’il ait construit le moulin de l’abbaye.
Le puits porte la date de 1739, et puis la mitre et autres attributs de l’abbé Anton Gug. L’abbaye possédait trois puits dans ses murs.
La pierre porte une inscription en latin : ‘année 1360, ici repose le frère Conrad de Gugenheim, cellerier, moine et cantor de ces lieux’.
L’abbé Beda a laissé ses armoiries sur l’hôtel de l’abbaye situé à Molsheim. Elles figurent aujourd’hui sur la porte de verre à l’entrée de l’église.
BAZA pour Beda Abt zu Altorf. On retrouve ce monogramme sur les murs du village.