Le kiosque et le trésor de monsieur Jadelot
Lorsque vous descendez de Sainte-Odile vers Barr, un rien au dessus du château de Landsberg, sur le versant sud de la Bloss, vous vous trouvez soudain ‘dans’ le kiosque Jadelot. Et oui, le chemin traverse le kiosque, de part en part. Le promeneur en reste un instant interdit ! Et puis, il regarde autour de lui et il comprend. Côté sud, le kiosque s’ouvre en un large balcon, et la vue sur les Vosges est unique. Les châteaux du Haut Andlau et du Spesbourg, la Hungerplatz, et puis, tout au fond, le Haut-Koenigsbourg ! La vue est magnifique ! Allez-y !
Enfin, comblé par ce panorama unique, le randonneur se retourne vers le kiosque et s’étonne. Il admire ! Construction octogonale, base de pierres taillées en grès, charpente de pin, cloisons couvertes d’écorces, ce kiosque est unique et enchanteur ! Côté nord, la paroi porte, réalisées en bois de bouleau, les armes de la Ville de Barr.
Ils sont nombreux les abris qui accueillent les promeneurs dans nos Vosges. Mais, un kiosque comme celui-ci, on n’en voit guère ! Aussi bien dans sa forme que dans sa structure, cet abri ne ressemble à nul autre. La charpente, complexe, et simple à la fois, sidère par ses lignes souples et son envolée. La structure octogonale est inédite, peu fonctionnelle, certes, mais si belle. Qui donc a pu imaginer un tel édifice, en pleine forêt ?
Au dessus de la porte qui mène vers le Landsberg et Barr, un panneau du Club Vosgien nous explique de façon sibylline que le kiosque fut édifié ‘sous le second Empire par le garde-forestier-général Mr. Jadelot’. Notre kiosque aurait près de 150 ans ! Mazette !
Jadelot était un garde forestier attaché à la Ville d’Obernai et à son domaine forestier. Mais ce n’est pas son seul titre de gloire. Pour en savoir plus, reportons-nous en juin 1870, lors de la séance de la Société pour la Conservation des Monuments Historiques d’Alsace. Nous sommes le 13 juin, Monsieur Spach préside l’assemblée, l’abbé Straub rédige le compte-rendu suivant.
‘La réunion a lieu à 2 heures. Sont Présents : MM. Lehr, Levrault, Merck, de Morlet, Rodolphe Reuss et l’abbé Straub, secrétaire en fonctions, MM. Jadelot, garde général des forêts d’Obernai, P. Petit-Gérard et Sabourin de Nanton assistent à la réunion.
…. Après avoir déposé sur le bureau les ouvrages offerts à la Société depuis la séance du mois de mai, M. Spach donne la parole à M. Jadelot, qui entretient le comité de plusieurs découvertes faites à l'occasion de récents travaux près de Sainte-Odile et près du Purpurkopf. Une médaille en bronze de grand module, des briques d'ancien carrelage et des pierres taillées ont été déterrées à l'emplacement de la nouvelle route de Sainte- Odile. Environ 500 monnaies romaines, parfaitement conservées, ont été trouvées dans la forêt de Rosheim, près du Purpurkopf. Ces monnaies de petit module présentent les types de Gordien le Jeune, de Philippe l'Africain, de Caracalla, d'Antonin, de Maxime, de Balbin, de Gallus, de Decius, etc., avec environ 80 revers différents. A 300 mètres environ de l'endroit où cette découverte a eu lieu, les ouvriers ont rencontré un tronçon de voie ancienne avec traces de dallage. M. Jadelot y reconnaît un reste de voie romaine allant de Gresswiller au Purpurkopf pour se diriger de là au Champ-du-Feu. Les travaux de terrassement qui se font sur une grande étendue de terrain, promettent d'intéressants résultats et sont soumis à une continuelle surveillance. Après l'achèvement des travaux, un travail d'ensemble sur les résultats obtenus sera présenté par M. le garde général des forêts.
M. le président remercie M. Jadelot de cette intéressante communication et du zèle intelligent avec lequel les travaux de fouille ont été exécutés…..'
Ainsi donc, notre forestier a découvert une voie romaine et un trésor au pied du Purpurkopf, au nord-ouest du Mont Sainte Odile dans la vallée de la Magel. Le 6 juillet de la même année, la société archéologique se réunit à nouveau, sous la présidence du préfet Monsieur Isidore Salles. Le compte-rendu nous apprend quelques détails complémentaires.
Louis Levrault, membre titulaire de la Société d’Archéologie, s’est rendu sur place avec M Jadelot pour examiner la ‘voie romaine’, qui s’étend sur près de trois kilomètres de long entre le ‘Purpurschloss’ et le ‘Teuffelseck’. On parle ici d’un amas de rochers de grès situé au dessus de Laubenheim. Levrault explicite ses remarques : la direction de la voie est régulière, sa largeur est en moyenne de trois mètres, on trouve traces de pavement irrégulier, avec par endroit une sous-couche de chaux et de tuiles pulvérisées… Levrault y voit des indices suffisants pour aller dans le sens de Jadelot et penser à une voie romaine secondaire : une ‘diverticula’. Il pense à une voie d’accès entre la vallée de la Bruche et le poste militaire romain du Purpurkopf. Suit une brève description de l’enceinte triple du Purpurkopf et de la citerne, récemment déblayée par les soins de Jadelot.
Puis Levrault revient au trésor découvert par Jadelot.
‘ Ce qui donne à la route signalée par M.Jadelot une valeur et une signification, c’est dans son voisinage immédiat la mise à jour d’un vrai trésor, d’un amas de monnaies et de médailles romaines. Plus de quatre cents pièces semblaient enterrées ou plutôt disséminées , les unes presque à fleur de terre, les autres à diverses profondeurs jusqu’à 40 centimètres au dessous du niveau du sol. M. Jadelot présume que ces monnaies auraient été enfouies au pied d’un arbre ; que cet arbre aura été violemment renversé ; le trésor, soulevé par les racines, se serait trouvé ainsi répandu, et l’humus de 15 à 16 siècles se serait accumulé lentement sur ces témoins de la décadence de l’empire romain…. Les pièces , qui pour la plupart sont d’une belle conservation, et quelques unes d’une grande rareté appartiennent, aux règnes éphémères de Gordien, de Philippe, des trente tyrans. M. Jadelot a promis de choisir dans son trésor les doubles, et d’en doter notre collection naissante. Nous lui devons un gré infini de la généreuse intention’.
Les lois étaient bien différentes de celles d’aujourd’hui et Jadelot est l’heureux propriétaire d’un trésor ! Il offre quelques pièces à la Société pour la Conservation des Monuments Historiques en Alsace, et que fait-il du reste ? On ne sait. Il nous plait à penser que Jadelot songe à laisser sur le Mont-Sainte-Odile, le souvenir de son passage dans les forêts qu’il a tant arpentées. Ce sera la construction de ce kiosque, très particulier, avec cette vue magnifique sur les Vosges du Sud.
Vent, gel, pluie, neige, tempêtes…. Cent cinquante ans ont passé. Si la charpente du kiosque a gardé ses lignes épurées et sa force, la toiture a souffert des ans et des intempéries. En partie arrachée l’hiver passé, la toiture inquiétait les amoureux des lieux. La vieille charpente allait-elle résister à un nouvel hiver ?
Cet automne, les bénévoles des ‘Amis du Mont-Sainte-Odile’ ont décidé de sauver le kiosque Jadelot. Nous vous proposons quelques images du chantier entrepris par cette section du Club Vosgien, si active sur le Mont.
Les travaux de réfection de la toiture du kiosque Jadelot, automne 2014
A l’instigation, pressante, de notre très cher Président, la couverture du kiosque a été restituée ‘à l’identique’. Le faîtage, les supports, la toiture, rien n’a changé ! A votre prochaine visite, vous verrez le kiosque tel qu’il a été réalisé par Jadelot sous Napoléon III. Merci à toute l’équipe des Amis du Mont !
( travaux en cours de finition à ce jour 16/12/2014)
Nous n’avons pas retrouvé la trace du trésor découvert par Jadelot. Qu’est-il devenu ? Nous ne savons pas. A partir des comptes-rendus de la Société pour la Conservation des Monuments Historiques en Alsace, nous avons recherché des images des monnaies romaines retrouvées par Jadelot, pour reconstituer son trésor. Admirez le trésor du Purpurkopf !
- Antonin, règne 131-161
- Caracalla, règne 211-217,
- Gordien le Jeune, règne en 238
- Philippe l'Africain, règne 244-249
- Decius ( Trajan Dèce ), règne 249-251
- Gallus, règne de 251-253
- Maxime, ( alias Pupien ), règne en 268
- Balbin, règne en 268
Les empereurs cités règnent, quelques années, entre de IIème et le IIIème siècle. Le trésor découvert par Jadelot a été dissimulé, au pied d’un arbre, au cœur de la forêt vosgienne, près d’une voie romaine, après l’an 268. Par qui ? pourquoi ? Le mystère reste entier ! Rêvez !
Bulletin de la Société pour la Conservation des Monuments Historiques d’Alsace, IIème série, 8ème volume, 1871
- Photographies des travaux, GaD
- Photographies du kiosque, PiP
- Le trésor, montage PiP à partir d’images trouvées sur le net.
Cet article est dédié à un ami, chercheur de trésors qui se reconnaitra.